Connaître la Turquie

La Turquie et les Etats-Unis

Pays carrefour, la Turquie est depuis longtemps une alliée privilégiée des Etats-Unis. Membre de l’OTAN, elle possède des frontières directes avec l’Irak, l’Iran et la Syrie. Jusqu’en 1991, elle est aussi à la lisière de l’URSS. Elle joue même un rôle important pendant la Guerre Froide. Par exemple, en 1962 déjà, les missiles Jupiter des bases américaines menacent directement le territoire soviétique...
Ce lien est fondé sur les intérêts croisés et complémentaires des deux puissances : économique pour la Turquie, géopolitique pour les Etats-Unis.
A partir de 2003, une réelle tension existe entre alliés. La Turquie hésite à s’engager dans le conflit irakien dont elle craint les évolutions, notamment un autonomie du Kurdistan. Le parlement oriente finalement le pays vers une « neutralité » : interdiction pour les troupes américaines de stationner sur le sol turc, autorisation de son survol par les avions de la coalition. Mais, la tension est à son comble entre Ankara et Washington en juillet 2003, lorsque des troupes américaines arrêtèrent des militaires turcs dans le nord de l’Irak…
Sébastien Carlier et Yannick Rekinger

Panorama économique turc

Pendant le dernier tiers du XXème siècle, la Turquie connaît une instabilité économique chronique, due à sa fragilité politique et à l’endettement de l’État et des holdings. En février 2001, cette situation débouche sur une grave crise financière, imposant une intervention du FMI sur une période triennale (2002-2004). Une politique d’austérité s’ensuit, avec un gel des dépenses publiques et des réformes structurelles (désétatisation massive, décentralisation, dérégulation et libéralisation quasi totale des investissements étrangers…).
Enfin, la mise en œuvre des réformes demandées par l’Union Européenne, en vue d’une harmonisation du droit économique et d’une adhésion éventuelle, permettent de mobiliser l’épargne et d’attirer les IDE (investissements directs à l’étranger).
Ceux-ci, le tourisme et la relance de la consommation privée sont désormais les principaux moteurs d’une croissance économique soutenue.
Clément Pecheur et Emeline Schmit

Les relations de la Turquie avec l’Union Européenne

Dès 1959, la Turquie souhaite adhérer à la Communauté européenne. La Turquie a été officiellement reconnue candidate pour l’adhésion le 10 décembre 1999 au sommet européen d’Helsinki, étant un pays associé depuis 1963.
Les principaux freins relatifs à l’adhésion sont officiellement le respect des Droits de l'Homme, notamment à propos du problème kurde, l’implication de l’armée dans la politique turque, la responsabilité du pays vis-à-vis des Arméniens.
La situation économique du pays est également un sujet de préoccupation.
Si des progrès sont constatés à propos de nombreux dossiers (les prisons, l’endettement du pays, la langue kurde, etc.), les autorités turques refuse toujours de reconnaître le génocide arménien.
Pour certains, la Turquie n’est pas européenne, ni par la géographie, ni par l’histoire. Leurs opposants font valoir que la Turquie fait partie d'organisations européennes comme le Conseil de l'Europe et l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe. De son coté, la Turquie souligne son implication dans l’Histoire de l'Europe depuis 400 ans, essentiellement à travers l’Empire Ottoman.
L’arrivée d’un pays à 95 % musulman constitue aussi une inquiétude pour l’Europe traditionnellement chrétienne, mais de plus en plus athée. À l’opposé, pour les partisans de l’adhésion, l’intégration de la Turquie est supposée encourager le multiculturalisme et contribuer à stabiliser le Proche-Orient.
Gaëlle Allard et Léonie Guerlot

Le génocide arménien

Le génocide est un crime qui consiste à détruire ou à tenter de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Ce terme est apparu la première fois en 1944 pour caractériser le massacre des Juifs et des Tziganes par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Il a été utilisé rétrospectivement pour désigner les crimes commis contre les Arméniens par les Turcs.
Ce massacre a eu lieu entre 1915 et 1917. Le nombre d’Arméniens déporté et tué varie entre 600 000 et 1, 5 millions selon les sources. Le gouvernement turc refuse la responsabilité de cette page d’histoire.
Pourtant, les plus hautes autorités de l’Etat ont décidé de détruire les Arméniens, comme le prouve le message envoyé aux Jeunes Turcs par le ministre de l’intérieur : « Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l’âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n’ont pas leur place ici. » Au cours des mois suivants, tous les Arméniens de l’Empire sont tués ou déportés. Des convois d’hommes, de femmes, de vieillards et d’enfants sont soumis à une longue marche dans des conditions épouvantables. Les traînards sont tués, un grand nombre de déportés est exécuté au cours du trajet.
Aujourd’hui, si la république turque refuse toujours de reconnaître l’existence du génocide arménien, la Belgique l’a fait depuis 1998.
Lindsay Gérard et Aurélien Gillet

Le problème kurde

Après la fin de la première guerre mondiale, le Traité de Sèvres de 1920 prévoit la constitution d’un Etat kurde indépendant. Trois ans plus tard, le Traité de Lausanne rend cette création caduque. Les puissances alliées accordent l’annexion de la majeur partie du Kurdistan au nouvel Etat turc, le reste étant repartit entre l’Iran, l’Irak et la Syrie. Dès 1924, une loi turque interdit toutes les écoles, associations et publications kurdes. L’existence du peuple kurde est niée et sa langue interdite. Des centaines de milliers de Kurdes sont déportés et massacrés.
Il y a encore peu d’années, les Kurdes – au nombre de 20 millions, 26% de la population – étaient confrontés à l’exode, à la destruction de leurs villages, à la torture, aux assassinats.
L’Etat turc, pour ce faire, joue sur une large indifférence internationale.
Malgré de timides avancées sous la pression européenne, la Turquie ne propose pas de solution véritable à la question kurde.
Attentive à l’autonomie des Kurdes au nord de l’Irak, l’armée turque y fait régulièrement des incursions militaires, sous prétexte de liquider ce qui reste du PKK. Ce parti de résistance (Partiya Karkeren Kurdistan, parti des travailleurs du Kurdistan) s’est replié dans cette région depuis septembre 1999, date du cessez-le-feu décrété par leur chef emprisonné, Abdullah Öcalan.
Malika Bastien et Nadège Thiry

La communauté turque en Belgique

La population originaire de Turquie représente en Belgique plus de 90.000 personnes, venues quasi-exclusivement des régions rurales d’Anatolie. Cette population, dont le nombre augmente, a moins de 25 ans.
L’arrivée des familles s’est essentiellement effectuée dans la décennie septante.
Le quart des Turcs de Belgique, ayant entre 16 et 26 ans, a déjà fondé sa propre famille. Ils se marient plus jeunes et préférentiellement avec des personnes de leur communauté, voire même de leur famille élargie. Les mariages « mixtes » sont plus rares.
A peine un quart des turcs adultes est capable de lire aisément en français et/ou en néerlandais.
Un tiers des jeunes parvient à obtenir un diplôme d’études secondaires mais seulement 4% réussissent des études supérieures. Si 26% des travailleurs turcs sont au chômage, les autres sont employés sans qualification précise (Horeca, bâtiments) ou suivent le chemin paternel. Les emplois ont aussi un caractère « ethnique » : médecine, sciences sociales ou encore gestion sont valorisés, rendent service à la communauté d’origine.
La majorité des Turcs est concentré dans les quartiers plutôt défavorisés des grandes villes.
En synthèse, les Turcs présentent un certain retard par rapport aux indicateurs « classiques » de l’intégration : qualité de la scolarisation, maîtrise de la langue du pays d’accueil, sécularisation de la vie culturelle, etc.
Sofia Högström et Cécile Willemin

Les Droits des hommes et des femmes en Turquie

Sous le pression de l’Union Européenne, le gouvernement turc s’est engagé à mener une politique de « tolérance zéro» à l’égard de la torture. Ainsi, à la suite de réformes, toute personne détenue a désormais droit à un avocat. Mais, si nombre d’actes de tortures recensés est en diminution, le recours à un avocat n’est pas systématique et les visites médicales font défaut.
Le projet de code pénal discuté actuellement devant le parlement devrait inclure des peines plus importantes pour les responsables d’actes de torture. Des sanctions sont prévues pour les fonctionnaires et les magistrats qui seraient trop indulgents à l’égard de tels actes.
Des progrès importants ont été réalisés en matière de liberté d’expression. En effet, un certain nombre de restrictions ont été levées. Pourtant, des gens sont toujours emprisonnés pour leurs opinions et plusieurs sujets restent tabous : voir les ennuis d’O. Pamuk avec la justice… En outre, certains médias continuent à faire l’objet de poursuites et de sanctions administratives.
A propos des syndicats, la Turquie ne s’est pas encore adapté aux articles 5 (Droit syndical) et 6 ( Droit de négociation collective incluant le droit de grève) de la charte sociale européenne. Des restrictions y subsistent toujours…
Quant aux femmes turques, leur sort légal s’améliore lentement, par exemple à propos des « crimes d’honneur ». Si la Cour constitutionnelle a cassé la loi sur l’adultère en 1996, loi considérée comme discriminatoire à l’égard des femmes, si des tribunaux concernant les affaires familiales ont été créés, plusieurs graves problèmes subsistent : une femme violée ne peut engager de poursuites contre son agresseur que si elle arrive à prouver qu’elle était vierge avant le viol ; les policiers n’ont pas à se justifier de leurs actes de discrimination à l’égard des femmes ; la violence domestique touche un tiers des foyers turcs ; l’analphabétisme chez les femmes reste important.
Françoise Bolland et Alice Vandenbussche

La Turquie, puissance régionale

Les Etats-Unis et l’OTAN ont fait de la Turquie une alliée de choix. Cette alliance leur permet de contrôler cette région du monde, d’assurer leur hégémonie sur les régions du Proche et du Moyen-Orient . Elle lui permet aussi de surveiller une partie de la route du pétrole.
Si la Turquie, attentive à l’évolution du Kurdistan, au problème chypriote, se veut une puissance stabilisatrice, elle s’inquiète aussi de ses intérêts politiques et économiques.
Elle s’interroge sur son indépendance par rapport aux Etats-Unis qui lui permet (ou lui permettrait) de jouir d’un certain prestige chez ses voisins… Une implication turque en Irak aurait, par exemple, conduit à de très sérieuses complications en assimilant la Turquie à une force d’occupation… Elle redoute aussi une aventure américaine en Iran, confrontation qui pourrait embraser la région.
Damien Haineaux et Thomas Roger

La Turquie et « sa » démocratie

La Turquie est l’un des seuls pays du monde musulman qui soit une démocratie. En effet, le peuple turc a le droit de vote. La République est parlementaire. Le Président, chef de l’Etat, est nommé par l’assemblée nationale pour un mandat de sept ans et choisit le premier ministre. Quant au pouvoir législatif, il est détenu par l’Assemblée nationale qui compte 550 sièges, renouvelés tous les cinq ans.
Les femmes ont le droit de vote depuis 1935.
Pourtant, l’entière application des droits démocratiques reste difficile, notamment dans la liberté d’expression. Pensons à O. Pamuk et à sa prise de position à propos du génocide arménien…
En outre, l’armée occupe encore une place très importante dans la direction du pays, garante de la laïcité et de l’héritage de M. Kémal.
La possible adhésion à l’Union Européenne accélère les réformes qui favorisent une entière démocratie (diminution du pouvoir de l’institution militaire, protection des minorités, etc.)
Depuis mai 2000, le nouveau Président de la République est l’ancien président de la Cour constitutionnelle, Ahmet Necdet Sezer.
Quant aux élections législatives anticipées de novembre 2002, elles ont bouleversé le paysage politique : pour la première fois depuis 15 ans, un seul parti gouverne le pays (AKP, Parti de la Justice et du développement, libéral-conservateur). Depuis 2003, le premier ministre est Recep Tayyip Erdogan.
Au Parlement, deux partis sont dans l’opposition : le CHP (Parti républicain du peuple, centre gauche) et le DYP (parti de la juste voie, centre droit)
Antoine Corentin et Laurie Lambert

Le problème de Chypre

En 1960, une république chypriote est proclamée avec à sa tête un président grec (Makarios) et un vice président turc (Dr Küçük). Tout deux détiennent le pouvoir exécutif et disposent d’un droit de veto. La chambre se compose de 15 Turcs et de 35 Grecs
Mais, dès 1963, des affrontements éclatent entre les deux communautés. Les Turcs se retirent alors du gouvernement et demandent la partition du pays.
Malgré l’intervention des Nations unies pour maintenir la paix, des tensions et coups d’État se succèdent jusqu’en 1974. La Turquie, jugeant menacés les intérêts de sa communauté, intervient militairement. En deux jours, elle occupe toute la partie nord de l’île (37% du territoire). Les Grecs vivant dans cette partie de l’île ( 180 000, plus du tiers de la population) sont déplacés. La Turquie exigent le transfert vers le nord des 40.000 Chypriotes turcs restés au sud.
Après les expulsions, les Chypriotes turcs et de nouveaux colons s’approprient illégalement terres et maisons. Cette politique d’épuration ethnique se poursuit de façon intensive de 1975 à 1977 (internement, exil, etc.)
En 1983, la République turque de Chypre du Nord est proclamée, reconnue par la seule Turquie.
En 1990, la République de Chypre (partie grecque) dépose une demande d’adhésion à l’Union Européenne. Malgré les tentative de paix et les réformes en Turquie, l’impasse demeure. Seule, la partie grec est admise dans l’Union depuis mai 2004. En avril, un référendum visant à réunifier l’île avait obtenu 75,4% de non parmi les Chypriotes grecs et 68 % de oui parmi les Chypriotes turcs…
Wendy Dropsy

Institution militaire et politique

L’armée turque assure un rôle politique constant dans les institutions républicaines.
Garante de la laïcité et de l’héritage « moderniste » kémalien, elle intervient directement en 1960 et 1980, indirectement en 1971 et 1997. Ne voulant pas instaurer une dictature, son but est le maintien ou la mise en place d’un système politique intégrant les valeurs propres à l’institution militaire, conférant à celle-ci une influence déterminante sur la société. Le Conseil de Sécurité nationale, fondé en 1961, garantit à l’armée ce poids déterminant, même si officiellement son rôle est consultatif.
Forte de près de 820000 hommes, l’armée connaît aujourd’hui une distribution sociale plus équilibrée. Les officiers ne viennent plus systématiquement des classes aisées.
L’institution militaire continue à jouir d’une image prestigieuse, sans guère de rivale. Très nombreux sont les citoyens turcs qui se sentent mieux représentés par elle que par la classe politique.
L’armée est aussi insérée dans la vie économique du pays. De nombreux officiers supérieurs sont actionnaires de sociétés nationales et multinationales. Les mêmes, une fois à la retraite, deviennent souvent membres de maints conseil d’administration.
Jusqu’en 1980, elle limite l’influence de l’Islam dans la société, Islam qui est marginal en son sein. Pourtant, au cours des années 80, une synthèse « turco-islamique » est voulue en partie par l’armée, pour contrer les « dérives gauchistes ». La constitution de 1982, largement inspirée par les militaires, veut « dépolitiser » la société autour d’un ordre moral à forte connotation religieuse. En réalité, il s’agit d’une véritable « démocratie autoritaire » défendant l’Etat contre la société et la société contre l’individu. Celui-ci est enfermé dans le triptyque famille-mosquée-caserne.
Mike Bastien et Maxime Vingerhoets

Etat laïc et religion

La Turquie est un Etat laïc dont l’immense majorité de la population est de confession musulmane (99%). Une infime minorité est chrétienne ou juive, vestige de l’Empire ottoman du début du XXème siècle. C'est le seul pays musulman à s’être engagé dans un processus de laïcisation aussi radical, inscrite dans la constitution.
Depuis 1928, l’islam n’est plus religion d’Etat. En 1937, une loi précise même que « l’Etat turc est républicain, nationaliste, laïque et réformateur ».
La Turquie n’est pourtant pas un état strictement laïc dans le sens où il n’y a pas de séparation entre la religion et l’Etat mais plutôt une mise sous tutelle de la religion par l’Etat. Chacun reste cependant libre de ses croyances.
Paradoxalement, un renforcement de l’Islam est le fait de la junte militaire qui prend le pouvoir en 1980. Elle s’en sert pour lutter contre les idées de gauche. Depuis, des cours de religion sont organisés dans les écoles publiques… En 1986, une loi interdit même le blasphème sous peine de prison.
Il faut les victoires électorales des Islamistes en 1994 et 1995, la formation du gouvernement de Necmettin Erbakan en 1996, pour que l’armée, organisation tutélaire du régime turc laïc, engage de nouveau le combat (débat sur le foulard, sur les écoles religieuses, etc.)
L’Etat, par le biais de la Direction des affaires religieuses, gère les mosquées, nomme les imams et finance les manifestations.
Mais, que reste-t-il vraiment de la laïcité prôné par Atatürk ?
La série d’attentats survenus à Istanbul en 2003 et 2004, visant à la fois des synagogues, des institutions britanniques, et le sommet de l’OTAN, a révélé que des groupuscules violents, notamment islamistes, restent actifs dans le pays. Elle a montré que l’Etat turc, pro-occidental, musulman et gouverné par un parti issu d’une tradition islamique, relaie la tension internationale qui lie politique et religion.
Charles Henry, Arnaud Robin et Tiffany Schloremberg

 

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