Commentaire
La simplicité peut passer pour un défaut en matière de littérature. Pourtant, c’est l’impression qui domine lorsqu’on entame la lecture du Château blanc. Un décor penchant vers le lugubre, doté d’une atmosphère des plus prenante, ne laissant à aucun moment l’attention du lecteur se relâcher. Une histoire, à la fois simple et déroutante, éveillant néanmoins l’intérêt par ses thèmes et par sa cohérence. En ce qui concerne les personnages, pas davantage de difficultés. Pamuk organise l’action autour d’une poignée de personnages qui s’avèrent aussi attachants qu’intrigants, tout en restant pour le lecteur, des plus faciles à cerner.
Cette simplicité permet à l’auteur de concentrer son roman sur la psychologie des personnages et sur les rapports qu’ils entretiennent. On perçoit aisément cette volonté de l’auteur de cibler certains faits tout en laissant transparaître ses idées. En effet, l’auteur donne tout au long du récit son avis sur divers sujets, pas par des interventions directes, mais bien par des morales implicites. Ainsi, on découvre le point de vue de l’écrivain turc sur des questions ayant trait à la politique, la philosophie, mais aussi à la religion. Tout cela par l’intermédiaire des différents personnages, représentant chacun une facette de la société. On peut dès lors considérer ce roman comme une analyse plus que valable du choc des civilisations entre l’Orient et l’Occident, notamment en matière de croyance. Ce livre – on l’aura compris - n’est pas l’œuvre d’un islamiste forcené, mais celle d’un écrivain vivant au cœur du problème, subissant aujourd’hui encore les conséquences de ces tensions, et portant un jugement précis et éclairé sur des problèmes d’actualité. Il nous en apprend beaucoup sur la culture turque, ainsi que sur la société turque dans son ensemble.
Derrière cette ingénuité toute de façade, Orhan Pamuk, en narrant l’histoire d’une amitié entre deux hommes qui, quoiqu’ils soient d’origines très différentes, se ressemblent tellement qu’on en arrive à les confondre, interroge le lecteur sur sa condition d’être humain et propose un questionnement de type ontologique en nous renvoyant sans cesse à une interrogation fondamentale : Qu’est-ce que l’homme ? Le roman s’inscrit dans l’illustre lignée des contes philosophiques voltairiens, où, sous le couvert de l’anecdote et de la fable, anodine en apparence, il invite à réfléchir sur les problèmes importants qui préoccupent l’humanité « en tous temps et en tous lieux », selon l’expression consacrée.
L’écrivain turc est un écrivain moderne (ou postmoderne, selon certains) qui aime se jouer de son lecteur, qui apprécie modifier les points de vue et les narrateurs, qui cherche à le troubler ou à le surprendre par des artifices narratifs. A titre d’exemple, le livre est précédé d’une épigraphe adressée à sa sœur Nilgun Darvinoglu et d’une introduction signée par Farouk Darvinoglou sans qu’on nous en dise davantage sur ces personnes. Rien ne permettrait de douter de leur existence, si La maison du silence, un roman du même auteur écrit plusieurs années auparavant, ne faisait d’eux des personnages fictionnels. Orhan Pamuk ne finit jamais d’étonner ses lecteurs.