Commentaire
Dès les premières pages, Le livre noir a toutes les apparences de la romance ou de la saga familiale puis, rapidement, le lecteur a l’impression de s’engager dans un roman d’aventures, d’un type bien singulier cependant. Les événements et les péripéties qui se succèdent sont davantage le fruit de l’imagination du protagoniste, un jeune avocat délaissé par sa compagne, qui cherche en priorité, en lui-même et dans son passé, les raisons de cette énigmatique disparition. En outre, la douloureuse errance à travers une Istanbul mystérieuse et fantomatique ont peu de choses en commun avec les longues chevauchées dans d’immenses espaces auxquels les maîtres du genre ont habitué leurs lecteurs.
La quête du héros – ou du anti-héros – est toute intérieure. Il se cherche lui-même, il s’interroge sur sa maladresse maladive, ses difficultés d’expression, son caractère introverti ou s’apitoie sur son physique ingrat en décrivant lui-même son « visage asymétrique ». On en arrive alors à n’être plus surpris à ce qu’il se perde dans le dédale des rues de la mégalopole à l’instar du Minotaure. Peut-être est-ce là une métaphore de toute existence, où l’objectif ultime – chimérique parfois - que chacun assigne à sa vie, conduit l’homme souvent à errer sur des chemins bien différents des lignes droites sur lesquelles il semblait s’être engagé ?
Continuellement, le doute et l’incertitude planent sur l’ouvrage. On s’inquiète bien sûr du sort de Galip et de la réussite de ses entreprises, mais, en partageant ses pensées, on partage aussi ses inquiétudes et ses interrogations. Avec lui, on cherche à comprendre Ruya, à comprendre Djélâl, à comprendre l’autre qui est toujours plus complexe et plus profond qu’on ne peut le penser a priori. Proposés en alternance avec le récit des aventures de Galip, les articles de Djélâl, aux titres poétiques (« Le jour où se retireront les eaux du Bosphore », « La boutique d’Alâaddine ») et aux sujets mystérieux, concourent grandement à nourrir cette réflexion métaphysique.