Orhan Pamuk trad. Munevver Andac, Le livre noir , Paris, Gallimard, 1995 (Istanbul, 1990), Folio n° 2897, 716 pages

Résumé

Istanbul se couvre d’une neige abondante. Elle efface les pas de Galip comme le temps gomme ses souvenirs. Et ses souvenirs, il les fouille, il les ressasse, surtout ceux de sa vie de couple, interrompue brutalement, le jour où Ruya a disparu. Un départ plutôt qu’une disparition, comme les dix-neuf mots qu’elle a laissés - pas un de plus, pas un de moins - portent à le croire. Il n’y a là rien qui soit de nature à l’éclairer sur les raisons qui ont motivé son acte. Le mystère est complet et l’énigme reste entière à l’image du portrait imprécis que ses souvenirs s’efforcent de dresser de sa compagne.
Elle parlait peu, vivait recluse dans leur petit appartement, lisait avidement des romans policiers mais il n’y avait rien qui permît vraiment de l’assimiler à une femme au foyer, « cette créature entourée d’enfants et de détergents ».
Galip se lance toutefois dans des recherches pour la retrouver ainsi que son cousin Djélâl qui semble s’être volatilisé lui aussi. La coïncidence prête à toutes les suppositions.
Ce journaliste anticonformiste tenait avec succès une rubrique originale dans un grand quotidien de la capitale. Il avait l’habitude de dissimuler ses diverses adresses et de multiplier les numéros de téléphone, ce qui passait pour une fantaisie aux yeux de ses collègues et de ses lecteurs.
Cela n’est évidemment pas de nature à le rassurer et encore moins à faciliter sa quête. Galip se replonge dans les lectures des articles, y cherchant des indices. L’investigation promet d’être longue, délicate tant les pistes semblent être brouillées, tant la ville d’Istanbul apparaît labyrinthique, tant les questions sur sa vie et sur son couple sont nombreuses. Quelle qu’en soit l’issue, un désir surpasse tous les autres…, celui de comprendre…

Commentaire

Dès les premières pages, Le livre noir a toutes les apparences de la romance ou de la saga familiale puis, rapidement, le lecteur a l’impression de s’engager dans un roman d’aventures, d’un type bien singulier cependant. Les événements et les péripéties qui se succèdent sont davantage le fruit de l’imagination du protagoniste, un jeune avocat délaissé par sa compagne, qui cherche en priorité, en lui-même et dans son passé, les raisons de cette énigmatique disparition. En outre, la douloureuse errance à travers une Istanbul mystérieuse et fantomatique ont peu de choses en commun avec les longues chevauchées dans d’immenses espaces auxquels les maîtres du genre ont habitué leurs lecteurs.
La quête du héros – ou du anti-héros – est toute intérieure. Il se cherche lui-même, il s’interroge sur sa maladresse maladive, ses difficultés d’expression, son caractère introverti ou s’apitoie sur son physique ingrat en décrivant lui-même son « visage asymétrique ». On en arrive alors à n’être plus surpris à ce qu’il se perde dans le dédale des rues de la mégalopole à l’instar du Minotaure. Peut-être est-ce là une métaphore de toute existence, où l’objectif ultime – chimérique parfois - que chacun assigne à sa vie, conduit l’homme souvent à errer sur des chemins bien différents des lignes droites sur lesquelles il semblait s’être engagé ?
Continuellement, le doute et l’incertitude planent sur l’ouvrage. On s’inquiète bien sûr du sort de Galip et de la réussite de ses entreprises, mais, en partageant ses pensées, on partage aussi ses inquiétudes et ses interrogations. Avec lui, on cherche à comprendre Ruya, à comprendre Djélâl, à comprendre l’autre qui est toujours plus complexe et plus profond qu’on ne peut le penser a priori. Proposés en alternance avec le récit des aventures de Galip, les articles de Djélâl, aux titres poétiques (« Le jour où se retireront les eaux du Bosphore », « La boutique d’Alâaddine ») et aux sujets mystérieux, concourent grandement à nourrir cette réflexion métaphysique.

Malika Bastien, Nadège Thiry, Clément Pecheur

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