Robert SCHUMANN

Zwickau , 8 juin 1810- Endenich, 29 juillet 1856

Ouverture de Manfred

 

 

 

MARTIN, John 

English painter (b. 1789, Haydon Bridge, d. 1854, Douglas, Isle of Man)

Manfred and the Alpine Witch
1837 Watercolour, 388 x 558 mm          Whitworth Art Gallery, Manchester

 

 

Schumann : Manfred

On connaît bien l'ouverture de Manfred ; qui en revanche pourrait réciter le texte de Byron que Schumann utilisa lorsqu'il composa son poème dramatique à Dresde, en 1848 ? Cette oeuvre, quelque part entre Egmont et Lélio, c'est Liszt qui en assura la création à Weimar, en 1852...
 

Avant même d’avoir apposé le point final à son opéra Genoveva, l’été 1848, Schumann met en chantier Manfred pour déclamation (parlé), soli, chœur mixte et orchestre. L’étrange partition commence par une vaste ouverture orchestrale et se continue avec quinze numéros, passablement inégaux de forme, longueur et orchestration, certains chantés, d'autres parlés sur un fond symphonique, disposés aux endroits appropriés dans le poème dramatique de Byron*, allégé d’un bon tiers, dans la traduction allemande de Karl Adolph Suckow (1839).
 *Manfred (juin 1817) est le drame poétique de Byron qui, sans doute, marqua le plus les écrivains et les artistes romantiques. L'oeuvre fut commencée durant le séjour en Suisse, après le voyage dans les Alpes bernoises en septembre 1816, et le troisième acte fut écrit à Venise, au début de 1817. Byron n'avait pas lu le Faust de Goethe, mais M.G. Lewis, de passage à la Villa Diodati, lui en avait donné une traduction approximative, de vive voix, qui l'avait fortement frappé.

Schumann, qui songea aussi au Corsaire et à Sardanapale de Byron comme sujets d'opéra, notait dès ses dix-huit ans : « Grande excitation intérieure - lecture au lit : Manfred de Byron - nuit effroyable. » Fin juillet 1848, il redécouvre donc le texte, dresse aussitôt le livret et compose « avec une passion et une ardeur encore jamais ressenties » en commençant par l’ouverture.
 

Sur les traces de Berlioz

 

Schumann conduit lui-même, en mars 1852 à Leipzig, la première audition de l'Ouverture, que Moscheles estime « la plus magnifique chose que Robert ait écrite ». C'est Liszt qui prend en charge au théâtre de Weimar, les 13 et 17 juin 1852, la création intégrale et scénique du dramatisches Gedicht, en l'absence du compositeur, malade, mais d'après ses instructions.

Ni singspiel**comme l’Oberon de Weber, ni musique de scène comme le Songe d'une nuit d'été de
Mendelssohn, mais apparenté à ces œuvres par un certain féerique anglais, Manfred est difficile à réaliser. Sa réelle dimension d'un théâtre de l'imaginaire rejoint celle du Lélio et du Faust de Berlioz. Soutenu ou non par la musique, Manfred, le rôle-titre, est entièrement déclamé, de même que ceux de Némésis, la fée des Alpes, le chasseur, Arimane, l'abbé de Saint-Maurice, le Geist (esprit infernal) et l'apparition d'Astarté, tandis que chantent le monde surnaturel des esprits et le chœur liturgique.
**
genre d'opéra typiquement allemand rappelant l'opéra comique par son alternance de passages chantés et de dialogues parlés.

 

Un décor gothique
 

Le drame a pour décors le château gothique du comte Manfred et les neigeux sommets suisses de la Jungfrau. Tel Faust, Manfred pratique les sciences occultes. Mais, lance-t-il à l'Esprit malin, « je n'ai pas acheté mon pouvoir magique par un pacte, je l'ai conquis par la supériorité de mon intelligence ». Ce grand désabusé n'a aimé qu'un être, son double, sa sœur morte de son amour. Pour revoir une dernière fois l'image d'Astarté, Manfred convoque les forces surnaturelles. Sans lui dire si elle lui a pardonné, ni si elle l'aime encore, Astarté, auréolée d’une diaphane orchestration, annonce à Manfred sa mort prochaine. A travers le poème « très sauvage, métaphysique et difficile à comprendre », Schumann s'identifie à cet être de douleur et de folie, épris d’une trop proche et trop lointaine bien-aimée.
Après avoir adoré l’œuvre de Schumann, Nietzsche a prétendu que le compositeur, en quête de pardon et de rédemption, aurait édulcoré Byron. A l’opposé, Tchaïkovski affirme : « Je suis si accoutumé à associer le Manfred de Byron à la musique de Schumann comme une seule et même chose que j'ignore comment aborder le sujet, comment évoquer une autre musique que celle imaginée par Schumann pour lui. » La partition est là pour donner raison au Russe.

 

Brigitte François-Sappey

http://www.radiofrance.fr/chaines/orchestres/journal/oeuvre/fiche.php?oeuv=40000012