Schumann
: Manfred On
connaît bien l'ouverture de Manfred ; qui en revanche pourrait réciter le
texte de Byron que Schumann utilisa lorsqu'il composa son poème dramatique
à Dresde, en 1848 ? Cette oeuvre, quelque part entre Egmont et Lélio,
c'est Liszt qui en assura la création à Weimar, en 1852... Avant même d’avoir apposé le point final à son opéra Genoveva,
l’été 1848, Schumann met en chantier Manfred pour déclamation
(parlé), soli, chœur mixte et orchestre. L’étrange partition
commence par une vaste ouverture orchestrale et se continue avec quinze numéros,
passablement inégaux de forme, longueur et orchestration, certains chantés,
d'autres parlés sur un fond symphonique, disposés aux endroits appropriés
dans le poème dramatique de Byron*, allégé d’un bon tiers, dans la
traduction allemande de Karl Adolph Suckow (1839). Schumann, qui songea aussi au Corsaire et à Sardanapale de
Byron comme sujets d'opéra, notait dès ses dix-huit ans : « Grande
excitation intérieure - lecture au lit : Manfred de Byron - nuit
effroyable. » Fin juillet 1848, il redécouvre donc le texte, dresse aussitôt
le livret et compose « avec une passion et une ardeur encore jamais
ressenties » en commençant par l’ouverture. Sur les traces de Berlioz
Schumann conduit lui-même, en mars 1852 à Leipzig, la première audition
de l'Ouverture, que Moscheles estime « la plus magnifique chose que Robert
ait écrite ». C'est Liszt qui prend en charge au théâtre de Weimar, les
13 et 17 juin 1852, la création intégrale et scénique du dramatisches
Gedicht, en l'absence du compositeur, malade, mais d'après ses
instructions.
Un décor gothique Le drame a pour décors le château gothique du comte Manfred et les neigeux
sommets suisses de la Jungfrau. Tel Faust, Manfred pratique les sciences
occultes. Mais, lance-t-il à l'Esprit malin, « je n'ai pas acheté mon
pouvoir magique par un pacte, je l'ai conquis par la supériorité de mon
intelligence ». Ce grand désabusé n'a aimé qu'un être, son double, sa sœur
morte de son amour. Pour revoir une dernière fois l'image d'Astarté,
Manfred convoque les forces surnaturelles. Sans lui dire si elle lui a
pardonné, ni si elle l'aime encore, Astarté, auréolée d’une diaphane
orchestration, annonce à Manfred sa mort prochaine. A travers le poème «
très sauvage, métaphysique et difficile à comprendre », Schumann
s'identifie à cet être de douleur et de folie, épris d’une trop proche
et trop lointaine bien-aimée.
Brigitte François-Sappey http://www.radiofrance.fr/chaines/orchestres/journal/oeuvre/fiche.php?oeuv=40000012 |