Variations faustiennes Gérard Condé Compositeur et Musicographe |
Source de l’un des plus grands mythes littéraires « modernes », la légende de Faust a aussi inspiré de nombreux compositeurs. Et parmi eux, Berlioz occupe une place centrale.
Simple « histoire » au XVIe siècle (La Tragique Histoire du docteur Faust, du dramaturge anglais Christopher Marlowe en 1592), la vie du docteur Faust devint « légende » au xixe siècle, puis véritable « mythe » au xxe siècle. Plus que le roman de Friedrich Maximilian von Klinger (Vie, exploits et descente aux Enfers de Faust, 1791) ou le poème dramatique de Nikolaus Lenau (Faust, 1836), ce fut la révélation du drame de Goethe (auquel il travailla de 1773 à 1832) qui modifia le statut et amplifia la portée de ces aventures extraordinaires, découvertes par le poète en 1768 sous la forme d’un spectacle de marionnettes. Quand l’opéra s’empare de Faust C’est à partir des années 1790 que, porté par la vogue du fantastique noir, Faust prend la relève de Médée ou d’Armide. Le nécromancien succède ainsi aux magiciennes, pour le plus grand bonheur du théâtre lyrique : l’opéra excelle en effet dans le registre du merveilleux et, de surcroît, les sujets à portée morale avaient remplacé les exploits galants dans le goût du public. Carl Maria von Weber, qui dirigea la création du Faust de Ludwig Spohr à Prague en 1816, note que le librettiste « a traité ce sujet connu, dont l’étoffe est si riche, d’une façon qui s’écarte totalement des nombreuses versions précédentes. [...] Peut-être aussi cette profusion vient-elle de l’argument lui-même, qui suscite une fantaisie plus grande (pour l’usage théâtral) que n’importe quel sujet ». Goethe, qui regrettait que Mozart soit mort trop tôt pour mettre en musique son premier Faust dans la ligne de La Flûte enchantée, dut avoir connaissance, comme directeur du théâtre de Weimar, d’opéras-comiques inspirés plus ou moins fidèlement de son drame. On sait du reste qu’il se réjouissait des trahisons lorsqu’elles rencontraient l’approbation du public. Des sources d’inspiration multiples Dans les Conversations de Goethe avec Eckermann (1836-1848), l’écrivain révèle que, pour mettre son Faust en musique, il avait songé à Meyerbeer. Or, à la mort de ce dernier, on trouva chez lui, à Berlin, les esquisses d’un Faust d’après... le roman de Klinger ! On y voit notamment Faust et Méphistophélès se promenant aux Enfers et découvrant sur les bords du Styx l’arbre de la science, dont le héros doit cueillir le fruit. Le livret de Robert le Diable (1831), du même Meyerbeer, conserverait la trace de ce projet : le personnage de Bertram serait un avatar de Méphistophélès, le « rameau vénéré » du troisième acte évoquerait le fruit de l’arbre de la science, la valse infernale de Robert serait un air chanté au bord du Styx, enfin la scène religieuse de l’acte V rappellerait la scène de Pâques. Certaines autres pages musicales sont inspirées de Lenau : la Danse dans l’auberge (Méphisto-Valse) et la Procession nocturne de Franz Liszt (1860), ainsi que la Procession nocturne d’Henri Rabaud (1910). Et c’est dans la pièce de Marlowe et la tradition du théâtre de marionnettes que Ferruccio Busoni trouvera la matière de son Doktor Faustus (1924). Mais, en dépit de cette diversité, Goethe reste bien la principale source des adaptations musicales de la célèbre légende.
Wagner et Faust : une rencontre inachevée On
peut du reste s’étonner que la figure goethéenne de Faust ait attiré
les compositeurs lyriques car, à la différence des héros d’opéras,
essentiellement actifs, le compagnon de Méphistophélès se laisse plutôt
mener par le bout du nez. C’est ce que Richard Wagner souligne dans
une lettre à Mathilde Wesendonck datée de 1858 : « Entendre
et réentendre que Faust est le type humain le plus important créé
jusqu’à maintenant par un poète, voilà ce qui m’a irrité. Le désespoir
dont Faust fait preuve face au monde peut avoir deux origines : ou
bien il procède de la connaissance du monde, et alors le héros est
digne de pitié en se précipitant à grands frais dans ce monde qu’il
méprise [...], ou bien Faust n’est qu’un rêveur et un pédant qui
n’a point compris l’essence de l’univers [...]. Ainsi ce Faust
n’est à mes yeux que l’occasion manquée ». Toutefois, si cette ouverture reste orpheline d’une symphonie ou d’un opéra jamais écrits, elle fut précédée, dans l’œuvre de Wagner, par une série de compositions sur des passages du drame de Goethe : Chœur de soldats, Ronde de paysans sous les tilleuls, Chanson de Brander, Marguerite au rouet, Sérénade de Méphistophélès, etc.
Le livre de chevet d’Hector Berlioz Ces couplets qui, tranchant par leur forme sur le reste du drame, appelaient le chant, furent d’ailleurs mis en musique par la plupart des compositeurs de l’époque. Beethoven, qui songea lui aussi à écrire un Faust, se contenta de la Chanson de la puce, comme Moussorgski ; Liszt choisit Le Roi de Thulé, de même que Schubert, qui immortalisa Marguerite au rouet mais illustra aussi le Chant de Pâques, la Prière de Marguerite devant la Madone et une Scène de l’église, dans un style proche de celui de l’opéra. Fécond compositeur de ballades, Karl Lœwe fut à peu près le seul, avec Schumann, à s’aventurer, dès 1834, dans le second Faust, auquel il emprunta cinq fragments. Mais toutes ces œuvres se contentent d’un accompagnement pianistique. Berlioz le premier prit conscience, dès 1828, de la richesse sonore contenue en puissance dans le drame que Nerval venait de traduire. « Le merveilleux livre me fascina de prime abord, écrit-il dans ses Mémoires (chap. xxvi) ; je ne le quittai plus ; je le lisais sans cesse, à table, au théâtre, dans les rues, partout. Cette traduction en prose contenait quelques fragments versifiés, chansons, hymnes, etc. Je cédai à la tentation de les mettre en musique. » Il commença par la Ballade du roi de Thulé, dont l’inspiration « en style gothique » se présenta à lui dans la voiture qui l’amenait à La-Côte-Saint-André. Ensuite, la composition des sept autres morceaux fut menée rondement.
Les Huit Scènes de Faust : une première approche Les
Huit
Scènes de Faust se
présentent avant tout comme des études de caractères, chaque titre étant
suivi d’un commentaire : Chant
de la Fête de Pâques,
« caractère religieux et solennel » ; Paysans
sous les tilleuls,
« gaîté franche et naïve » ; Concert
de sylphes,
« caractère doux et voluptueux » ; Écot
de joyeux compagnons,
« joie grossière et désordonnée » ; Chanson
de Méphistophélès,
« raillerie amère » ; Le
Roi de Thulé,
« caractère simple et ingénu » ; Romance
de Marguerite,
« sentiment mélancolique et passionné » ; Chœur
de soldats,
« joyeuse insouciance » ; Sérénade
de Méphistophélès,
« effronterie ». Robert Schumann et Franz Liszt Quinze
ans plus tard, Schumann composa à son tour, entre 1844 et 1853, des Scènes
de Faust destinées
à être exécutées dans la continuité, mais qui, comme déjà les
pages de Berlioz, prennent en compte la discontinuité d’un drame qui
se plaît à juxtaposer des tableaux sans souci de cohérence théâtrale.
Empruntant également au second Faust,
paru entre-temps, l’œuvre de Schumann accorde une moindre place à
l’amour du héros pour Gretchen : la première partie est vue
pour ainsi dire du point de vue de la jeune fille ; la deuxième
est consacrée à Faust, confronté à la vieillesse et à la mort ;
la dernière partie verra la rédemption de l’homme grâce à
l’intercession de l’Éternel féminin. Le moteur de l’inspiration
de Schumann ne fut pas les couplets propices au chant (qu’il laissa de
côté), ni l’élément fantastique, mais la nature intérieure des
personnages, la force qui les meut, le doute qui les accable, et la
progression de l’abîme (de la condition humaine) vers la lumière (de
la transfiguration).
La Damnation de Faust, « légende dramatique » Entre-temps,
Berlioz avait tiré, de ses Huit
Scènes, La Damnation de Faust (1846),
qui, sans se passer des mots, récuse la représentation. Bien que
l’ouvrage soit plus souvent donné avec décors et costumes depuis
l’adaptation de Raoul Gunsbourg en 1893, Berlioz entendait que les émotions
de l’auditeur reposent exclusivement sur la qualité de son
imagination auditive. D’ailleurs, à l’époque, le drame de Goethe
lui-même paraissait davantage destiné à la lecture qu’à la scène.
Berlioz a donc trouvé le ferment de son inspiration dans la conviction
que la musique pouvait aider l’irreprésentable à prendre corps.
Gounod, chant du cygne faustien L’opéra
de Gounod, créé au Théâtre-Lyrique le 19 mars 1859, est
beaucoup plus fidèle au premier Faust, même s’il donne à Marguerite
une place centrale. Gounod avait découvert le drame de Goethe en 1838
et, comme Berlioz, l’avait gardé à portée de main. Il nota les
premières esquisses à Capri l’année suivante. Pour lui aussi, le
rapprochement avec le Freischütz
et Don
Giovanni,
les deux sources de sa vocation musicale, allait de soi. Malgré les critiques dont il a fait l’objet, le Faust de Gounod, qui avait rejeté dans l’ombre celui de Spohr, n’a pas subi la concurrence de ses successeurs. Mefistofele d’Arrigo Boïto (1868), avec son prologue dans le ciel et ses emprunts au second Faust, n’est pas sans qualités, mais l’inspiration musicale est inégale et l’efficacité dramatique s’en ressent. Quant au Doktor Faustus de Busoni, il reste un ouvrage trop atypique et énigmatique pour conquérir jamais une véritable popularité. © SCÉRÉN - CNDP |
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On pense souvent à l’œuvre de Goethe en parlant de Faust,alors que ce personnage a connu une longue histoire littéraire et a inspiré des pièces de marionnettes, des opéras, des films et même des bandes dessinées … Voici quelques dates non exhaustives du cheminement de ce mythe… Le Faust de la légende 1587 Un récit populaire anonyme relate, 47 ans après la mort de Faust,l’histoire mystérieuse de ce personnage qui se disait magicien, docteur,alchimiste, astrologue. "L’histoire du docteur Johann Faust"avec une préface au lecteur chrétien afin qu’il se méfie du diable et de la magie qui est idolâtrie. Le Faust de Marlowe 1589-1592 Faust n’a guère mis de temps à traverser les frontières ! Dès 1588 est imprimée à Londres une "Ballade de la vie et de la mort du docteur Faustus, le grand sorcier" qui inspirera un jeune poète,Christopher Marlowe (contemporain de Shakespeare). La carrière populaire de Faust au 17e et 18e siècle Le drame populaire, réintroduit par des comédiens anglais en Allemagne,se retrouve sur les tréteaux dans les foires et les théâtres de marionnettes.
Le Faust romantique - 18e siècle Le "Faust" de LESSING (1755) dont il nous reste quelques fragments. Celui de KLINGER (1791), initiateur du mouvement poétique "Sturm und Drang". Le "Premier Faust", première partie de la tragédie de GOETHE commencée en 1797et publiée seulement en 1808. Goethe mettra les soixante dernières années de sa vie a rédiger le "Second Faust" qui ne sera publié qu’après sa mort.
Le Post-romantisme En 1829"Don Juan und Faust" de Christian DIETRICH GRABBE En 1836-1840 "Faust Ein Gedicht" poème de Nikolaus LENAU
Le Faust moderne Création musicale
1846 Hector BERLIOZ "La damnation de Faust 1851 Robert SCHUMAN "Szenen aus Goethes Faust" 1859 Charles GOUNOD "Faust — Opéra en 5 actes" 1924 Ferruccio BUSONI "Doktor Faust"
Filmographie
1925 Friedrich Wilhem MURNAU, "Faust ", sur un scénario de Hans Kyser, avec Gösta Elman, Emil Jannings, Camilla Horn. 1946 René CLAIR, La beauté du diable, avec les dialogues de Armand Salacrou, avec Michel Simon, Gérard Philippe, Nicole Besnard. 1955 Claude AUTANT-LARA, Marguerite de la nuit, d’après Mc-Orlan, avec Michèle Morgan, Yves Montand, Jean-François Calvé, Pierre Palau. 1991 Josiane BALADKO, Ma vie est un enfer, sur un scénario de Josiane Balasko, avec Josiane Balasko, Daniel Auteuil, Richard Berry, Bertrand Blier. |
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Voir aussi : |