La
Fantastique, une oeuvre célébrissime ? Certes. Mais qui cache des
projets dramatiques. Allons-y voir d'un peu plus près... même si c'est
à Copenhague que Myung-Whun Chung dirige Berlioz à la tête de
l'Orchestre Philharmonique.
En 1830, année de la création de la Fantastique, la vie musicale
en France, mais aussi dans les autres pays d'Europe, se limite à la
musique vocale le plus souvent destinée au théâtre. Grétry, Auber, Hérold,
Boieldieu, Catel ou Berton, tous compositeurs d'opéras, mais aussi de
romances et de musique sacrée, sont les musiciens du jour. Le concert
public n'est pas encore entré dans les mœurs et la Salle des concerts du
Conservatoire, l'une des toutes premières au monde, ébauche à peine son
existence. Le temps est loin des pièces symphoniques viennoises, qui de
Haydn à Mozart, agrémentaient les salons princiers.
Dans les années précédant la Fantastique, Berlioz n'envisage pas
de se soustraire à la règle. En 1825, âgé de vingt et un ans, il définit
ainsi à son oncle Victor, les raisons de sa vocation : «Ce sur quoi je
compte principalement, c'est une certaine puissance motrice que je sens en
moi, un feu, une ardeur que je ne saurais définir, qui se dirige
principalement vers un seul point : la grande musique, dramatique ou
religieuse.» Gluck, Spontini ou
Lesueur guident alors ses pas. Et de
fait, à côté de diverses cantates et romances, ses premières
compositions d'envergure seront deux opéras (Estelle et Némorin
et les Francs-Juges - aujourd'hui perdu pour le premier, incomplètement
restitué pour le second) et une Messe (récemment redécouverte).
Beethoven, l'effrayant géant
Nul doute que les premières exécutions françaises de symphonies de
Beethoven au Conservatoire (en 1828, 1829 et 1830), seront un facteur déterminant
: "A présent que j'ai entendu cet effrayant géant de Beethoven, je
sais à quel point en est l'art musical, il s'agit de le prendre à ce
point-là et de le pousser plus loin" (lettre du 11 janvier 1929 à
Edouard Rocher). C'est, d'une certaine manière, l'objectif fixé par la Fantastique.
Les influences littéraire n'en président pas moins à la genèse de la
symphonie. Le premier projet se réclamait de Faust. «J'ai dans la
tête depuis longtemps une Symphonie descriptive de Faust qui fermente ;
quand je lui donnerai la liberté, je veux qu'elle épouvante le monde
musical» écrit Berlioz au début de l'année 1829. «Toujours sous
l'influence du poème de Goethe, j'écrivis ma Symphonie fantastique»,
ajoutera-t-il plus tard dans ses Mémoires. Deux mouvements évoquent
particulièrement la pièce de Goethe : "Rêveries, Passions" et
"Songe d'une nuit de sabbat", certainement inspirés par la scène
du "Cabinet d'étude" et la "Nuit de sabbat".
Mais Goethe ne semble pas être le seul inspirateur.
Hugo (Ronde du Sabbat, le Dernier Jour d'un condamné), Thomas de
Quincey (Confessions d'un mangeur d'opium), Hoffmann (les Contes
fantastiques, la Vie d'artiste) ou Chateaubriand (René),
apparaissent aussi en filigrane. Ajoutons aussi les circonstances
biographiques, elles mieux connues, les passions pour Harriet Smithson et
Camille Moke, toutes traces dont le programme de cet Episode de la vie
d'un artiste (titre primitif de l'œuvre, qui devait plus tard devenir
celui de la Symphonie fantastique et de sa suite Lélio)
porte la marque.
Corrections & perfectionnements
Cela étant, on aurait tort de considérer l'année 1830, toute chargée
de symboles qu'elle soit, comme celle de l'œuvre définitive. A l'instar
de la plupart de ses compositions, Berlioz n'aura de cesse de corriger, réviser,
peaufiner, à l'épreuve notamment des concerts qu'il aura donnés.
On peut ainsi, selon les sources conservées, distinguer plusieurs états
d'une partition écrite et retouchée de 1828 à 1845. Pour simplifier :
celle exécutée le 5 décembre 1830, celle remaniée de façon importante
et décisive jusqu'en 1834 (dont s'inspirera
Liszt pour sa transcription),
et celle définitive de 1845 que Berlioz fera éditer, qui comporte
surtout des retouches de détail. (Voir à ce propos l'article de
Jean-Philippe Navarre, "La Symphonie fantastique en devenir",
dans le Cahier Berlioz, éd. L'Herne.)
Pierre-René Serna
http://www.radiofrance.fr/chaines/orchestres/journal/oeuvre/fiche.php?oeuv=10000008
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