Jean-François LECUIVRE, lauréat du Concours de nouvelles organisé par la Jeune Chambre internationale d'Arlon

  Audrey AERTS, Quentin DUCHESNE, Laura VANDENDRIESSCHE et Lucas DEWAMME nominés

En janvier 2009, les élèves de 5°G sciences-langues et 9 élèves de 6°G sciences ont rédigé une nouvelle pour un concours dont le thème était : « une rencontre déterminante ». Ce samedi 25 avril, cinq d’entre eux ont été conviés par la Jeune chambre internationale d’Arlon à la remise des prix.


Des extraits des meilleures nouvelles ont été lus par le président du jury, Monsieur Paul Mathieu. Dans la catégorie Jeunes, trois textes ont été publiés dans un recueil. Parmi ceux-ci, On ne peut pas se fier aux kangourous d’un jeune auteur fort créatif : Jean-François Lecuivre.


Le jury a également nominé quatre autres nouvelles, toujours dans la catégorie Jeunes, retenues pour leur qualité. Il s’agit des nouvelles d’Audrey Aerts, de Quentin Duchesne, de Laura Vandendriessche et de Lucas Dewamme. Si elles ont séduit les cinq membres du jury, c’est certainement parce que ces élèves n’ont pas choisi la facilité. Ils ont abordé le thème avec originalité. S’écartant d’un schéma prévisible (rencontre amoureuse ou amicale), leurs rencontres déterminantes ne sont pas forcément humaines ou pas forcément rationnelles…

 
 
  Lucas Dewamme : "Quand viennent les os"
  Laura Vandendriessche : "Une rencontre inestimable"
  Quentin Duchesne : "Une rencontre déterminante"
  Audrey Aerts: "Si seulement quelqu’un pouvait croire en mon récit…"
  Jean-François Lecuivre : "On ne peut pas se fier aux kangourous"

C'était un kangourou. Aucun doute là-dessus. Je suis encore capable de reconnaître une saloperie de kangourou lorsque j'en croise un dans un café. Parce que c'est dans un café que je suis tombé sur la bestiole! Elle était là, accoudée au bar en train de siroter un verre dont je ne distinguais pas le contenu. Ce qui fait que non seulement je me demande aujourd'hui ce que faisait un kangourou dans un café mais aussi ce qu'il pouvait bien boire...ça me travaille rien que de vous en parler. Mais le plus grave, c'est qu'il était bel et bien devant moi! Dans un établissement traditionnellement réservé aux humains! Il aurait dû gambader dans les steppes australiennes ou bien là où gambadent habituellement ceux de son espèce! Mais pas assis sur mon tabouret personnel que diable! Rendez- vous compte du choc que j'ai pu ressentir. Je termine ma journée de travail, comme tous les jours. Et comme tous les jours, je me dirige vers mon troquet favori pour me rafraîchir la gorge et les idées. Je pousse la porte plein d'entrain, déjà prêt à lancer mon cri de guerre: « Patron, comme d'habitude! » J'ai failli m'étrangler alors que je terminais le mot« patron» ! Il était là juste devant moi! Sirotant son verre sans se soucier du monde, avec cet air propre aux kangourous. Vous savez, cet air qui dit: « Je suis un kangourou alors la ramène pas trop » .Trop abasourdi par cette rencontre, je suis sorti et j'ai titubé au hasard des rues cherchant en vain une raison à la présence de cet animal. Je ne sais comment j'ai fini par rentrer chez moi mais depuis ce jour je vois des kangourous partout, docteur, pouvez-vous m'aider ?

Voilà ce que j'ai raconté à mon psy. Il s'est montré très compréhensif, et m'a expliqué ce que je voulais entendre. Selon lui, ce kangourou représente l'image du père disparu, et comme mon père buvait, il est normal que je rencontre cette vision paternelle dans un bar. Les visions de kangourous qui s'ensuivent s'expliquent par le fait de la recherche du père. Je n'ai pas très bien saisi tout ce qu'il a dit, mais je me sens déjà plus rassuré. J'ai évité de lui dire que mon père ne buvait pas une goutte d'alcool et qu'il n'avait absolument pas disparu puisqu'il vivait dans le village d'à côté. Mais qui suis-je pour remettre en question le diagnostic d'un médecin ? En tous cas, mes problèmes de kangourous me tracassent beaucoup moins. Ma femme m'a convaincu que ce n'était qu'une Ah-Lucie-Nation. Là non plus je n'ai pas bien compris, mais ma femme a toujours raison alors...Et puis je me dis que ce kangourou devait être le produit de mon imagination.

Je n'ai pas vu de kangourous depuis que j'en ai parlé à ma femme. Je me sens soulagé. Bientôt je serai prêt à retourner au bistrot. Si ce n'était ces gens bizarres qui semblent m'observer, on pourrait dire que j'ai retrouvé une vie normale. Ils restent discrets mais j'ai l’œil. On ne me berne pas comme ça. Je les ai vus me suivre depuis ma maison jusqu'à mon travail. Et de mon travail jusqu'à ma maison ! Ils n'ont pas l'air méchants mais je n'aime pas qu'on me suive. Question de principes! S'ils continuent de me suivre je vais finir par en attraper un et je lui ferai avouer ce qu'il me veut. Je sais me montrer très persuasif au besoin. Ils vont voir de quel bois je me chauffe! Une fois que j'aurai demandé la protection de la police...

Ils m'ont abordé avant que je contacte la police. Ils se sont approchés de moi alors que je marchais seul dans une rue. Ils étaient trois, et, comme ils n'avaient pas l'air agressif (et qu'ils me bloquaient toute retraite), je ne me suis pas enfui. L'un d'eux, qui devait être le chef étant donné qu'il avait un plus chic chapeau que ses acolytes, me toisa du regard (L'effet fut quelque peu gâché puisque l'homme mesurait deux têtes de moins que moi, chapeau compris). Il me posa alors une unique question, presque en chuchotant : « Est-ce toi qui as vu le kangourou? ». Je lui ai répondu que ce n'était pas un kangourou mais l'image de mon père disparu et que de toute façon mon imagination me jouait sans doute des tours et que ce n'était qu'une...heu ah oui...une Ah-Lucie-Nation! A peine ces mots prononcés, le comportement de mes interlocuteurs a changé du tout au tout. Le chef chapeau chic s'est incliné devant moi en balbutiant que j'étais le fils du Grand Kangourou Céleste (on sentait les majuscules dans son intonation) et qu'il fallait immédiatement en avertir le grand prêtre. Ses acolytes m'ont empoigné par les épaules, m'ont soulevé de terre et ont suivi leur chef qui disparaissait déjà en courant au coin d'une rue. Il n'a cessé de courir qu'une fois arrivé devant la façade lugubre d'une banque. Il a ouvert la porte avec une inutile discrétion et est entré, suivi par ses sous-fifres portant toujours ma personne de plus en plus effrayée et ahurie. Il s'est ensuite dirigé vers le dernier guichet de l'allée. Celui qui est toujours fermé. (Dans toutes les banques, quel que soit l'univers où l'on se trouve, il y a toujours un guichet fermé au fond. Personne ne sait à quoi il peut servir ni les secrets qu'il renferme). Devant le guichet, mon kidnappeur a frappé huit fois la petite clochette censée faire accourir un employé. Ensuite, un long silence est tombé, aussitôt suivi d'un silence beaucoup plus court. Au terme de ce silence est apparu derrière le guichet un homme à l'air épuisé qui haussa les sourcils, tourna deux fois sur lui-même, montra son index puis sautilla sur place. Mon kidnappeur répondit en hochant la tête, puis il poursuivit par un clin d’œil, puis un autre, sautilla sur place, se gratta la tête, leva la jambe droite et refit un clin d’œil. L'homme à l'air fatigué lui a serré la main puis il a actionné un levier qui se trouvait sous le guichet. Pendant un instant, rien ne s'est passé, puis d'un coup, le guichet a pivoté et laissé la place à un escalier s'enfonçant dans les sous-sols de la banque et du monde.

C'est lorsque je suis enfin arrivé en bas des marches que j'ai rencontré le grand prêtre. C'était un homme de petite taille à la peau toute ridée. Il semblait avoir du mal à se déplacer. Du moins c'est ce que je croyais jusqu'au moment où il s'est mis à sautiller dans ma direction. La distance entre lui et moi était tout de même importante et pour passer le temps, j'ai regardé tout autour de moi, pour me faire une idée de l'endroit où je me trouvais. Premier point important, je flottais toujours à vingt centimètres du sol. Sans aucun doute à cause de mes porteurs. Le deuxième point important est que partout où mon regard se posait, il y avait des kangourous. Du moins des représentations de kangourous. Je doute que ces animaux soient à l'aise si profond sous la terre. Le grand prêtre était arrivé à ma hauteur. C'est alors que mes porteurs m'ont laissé tomber pour saluer le grand prêtre en sautillant autour de lui. Le grand responsable de tout ça se trouvait juste devant et il y avait une question que je devais absolument lui poser: « Nom de Dieu mais est-ce qu'on va enfin m'expliquer ce que c'est que ce délire ? » Et le grand prêtre m'a tout expliqué. Deux fois.
«Nous sommes adeptes du culte du Grand Kangourou Céleste et suivons ses enseignements. Pour nous, ce kangourou est notre messie, celui censé nous guider vers la paix éternelle. Le Grand Kangourou Céleste est né du mélange entre de la poussière d'astéroïde et un mystérieux liquide fluo. Il a dérivé dans le vide interstellaire depuis sa création et jusqu'à aujourd'hui, il y dérive toujours. Mais un jour viendra où sa route croisera celle de la terre. Et ce jour-là, tous ses adeptes seront sauvés de la malveillance du genre humain. Sa venue sera annoncée par des apparitions de kangourous dans les grandes villes. Mais ces apparitions ne seront visibles que par une seule personne : L 'Ailu. Cet Ailu aura pour tâche de nous mener à l'endroit où le Grand Kangourou Céleste percutera la terre. Si il n'y avait que ça, tout serait simple. Hélas, mille fois hélas, pour se rendre à l'endroit sacré de la Percussion, il nous faut sortir de notre temple souterrain. Or, selon les paroles du premier prophète du Grand Kangourou Céleste, les hordes d'éléphants de l'antéchrist nous élimineront tous si nous sortons en trop grand nombre à l'extérieur. Vous avez vu le Kangourou, vous êtes donc l'Ailu, C.Q.F.D. Vous êtes le seul à pouvoir combattre l'antéchrist. Il vous faut le trouver et le détruire. Jusqu'ici, rien d'alarmant, vous avez le pouvoir du Kangourou en vous ! Le problème est le suivant: Nous n'avons aucune idée de la façon dont on peut détruire, l'antéchrist, d'où il peut se trouver, aucune idée de son apparence, ni même aucune preuve de son existence. Mais nous ne pouvons courir le risque! Vous avez tout compris ? Bon je vais vous réexpliquer depuis le début, ensuite nous vous chasserons d'ici, vous pourriez attirer l'antéchrist dans notre temple. Que le Grand Kangourou Céleste vous couvre d'amour vous et votre hamster jusqu'au prochain big-bang! "

Voilà où j'en suis... Je commence à avoir très faim, je dois trouver le moyen de détruire une créature qui n'existait sans doute que dans l'imagination d'un vieillard qui se croyait un prophète, je suis l'élu d'une bande de mecs sautillants. En plus, ils m'ont relâché très loin de ma maison et la seule chose que j'ai envie de faire pour l'instant, c'est de dormir, certainement pas de sauver le monde. J'aurais dû casser la figure de ce kangourou au bar ! J'aurais au moins pu m'asseoir au comptoir et avoir un moment de détente. J'avoue que ça m'a manqué ces derniers jours. Ce con de marsupial ne pouvait-il pas se contenter de sautiller au lieu de fonder une religion ? On ne peut vraiment pas se fier aux kangourous...

 
 
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