Charles Koechlin

 Paris 1867-Le Canadel 1950

Biographie     extrait(s)

Biographie

Compositeur et pédagogue

Charles Koechlin en 1932

"Il faudra pour l'entendre un public qui ne soit pas préssé" disait de lui Gabriel Fauré.

Charles Koechlin naquit à Paris en 1867. Issu de la grande bourgeoisie alsacienne son grand-père, Jean Dollfus, avait fondé une filature à Mulhouse et son père était dessinateur pour l'industrie textile, sa cousine était la femme de Gabriel Bouffet Ses origines familiales, pas plus que ses aspirations personnelles, ne le destinaient à être compositeur : peut-être fallut-il, jeune et brillant polytechnicien, qu'il tombât gravement malade, une tuberculose contractée pendant la seconde année l'obligera à interrompre ses études, pour qu'il se souvienne qu'il avait, tout au long de son enfance, passionnément aimé et joué la musique de Bach. Ce fut donc naturellement qu'il entra au Conservatoire, dans les classes de Massenet, Gédalge et Fauré ; il avait vingt-deux ans. Il chantera dans les chœurs et c'est par des œuvres vocales qu'il commencera sa carrière de compositeur : poèmes de Théodore de Banville, de Leconte de Lisle. Il écrira En mer, la nuit d'après Heinrich Heine que les Concerts Colonne donneront en 1904, l'Automne, suite symphonique, des mélodies sur des poèmes de Verlaine et de Samain. A ces maîtres remarquables il garderait la reconnaissance d'un homme et d'un musicien épris de liberté, dans le plus souverain dédain des modes et des jugements de ses contemporains.

Souvent considérée comme touffue en raison de sa complexité polyphonique, son oeuvre imposante - plus de deux cents numéros d'opus - aborde tous les genres à l'exception de l'opéra : musique de chambre, mélodies, choeurs, ballets et bien sûr symphonies... sa partition la moins méconnue sont le poème symphonique les Bandar-Log, (Opus 176) d'après le Livre de la jungle de Kipling et l'hommage au cinéma de sa Seven Star's Symphony, où sont convoqués sur l'écran noir de la musique Douglas Fairbanks, Greta Garbo, Marlene Dietrich, Charlie Chaplin ?

Charles Kœchlin a laissé plusieurs pièces d'après le Livre de la jungle de Rudyard Kipling, composant à différentes périodes de sa vie, chants et poèmes symphoniques illustrant certains passages du texte. Au fur et à mesure, le compositeur édifie un ensemble disparate qui ne respecte pas la narration de Kipling :  l'ordre de composition donne les Trois poèmes, op. 18 : (Berceuse phoque, Chanson de la nuit dans la jungle, Chant de Kala), La Course du Printemps, op. 95, La méditation de Purun Bhagat, op. 95, La Loi de la jungle, op. 175 enfin, la page la plus célèbre : Les Bandar-log, op. 175. Fresque gigantesque  la composition s'étalera de 1899-1901 pour la première partie ("3 poèmes") à 1925-1927 pour le deuxième volet ("la course de printemps").

Au total, le cycle composé, forme une fresque évocatrice d'une heure et vingt minutes, créée à Bruxelles en 1946, puis à Paris, en 1948. Voyageur imaginaire, d'une invention évocatrice puissante, Koechlin transporte la matière de l'orchestre, aidée des voix, dans les confins exotiques, déployant une sensibilité active dans l'expression des climats et des sensations de la Nature.
Mystère et brumes sur les forêts profondes, souvenirs étincelants entre maints phénomènes harmoniques, la musique se substitue à la narration de Kipling sans cependant épuiser ni affadir le propos littéraire d'origine.
L'évocation du peuple des singes (Bandar Log), la carrière du jeune Mowgli (Course du Printemps) sont quelques unes des réussites musicales du cycle, dans lequel Koechlin sait aussi être sarcastique et allusivement critique vis-à-vis de certains de ses collègues musiciens, dont il s'ingénie à épingler les tics de composition, ici intégrés dans l'évocation des singes agités. Mais la féerie l'emporte toujours, tant l'inspiration recherche avant tout la suggestion des mondes lointains, suscitant notre besoin de découverte et d'évasion. Koechlin se révèle maître des vapeurs atmosphériques, un conteur musicien et un poète à l'égal de son cycle plus ancien, les Heures Persanes.

Climats réservés, flottants et même énigmatiques. La progression expressive  des Heures Persanes, suit une gradation savamment mesurée. Tout d’abord composé pour le piano (1919), le cycle fut repris et orchestré en 1921.
Dès le début, de « sieste, avant le départ », l’esprit semi conscient, s’égare entre des mondes inconnus. C’est un prélude préparatoire qui nous fait perdre pieds, rompant avec nos repères familiers, pour mieux nous plonger dans les eaux qui suivent. L’étrange côtoie l’énigmatique, et presque la torpeur d’une hypnose avec « La Caravane » qui d’ailleurs, est « un rêve, pendant la sieste »… Et puis, ce qui semblait évanescent, inoffensif voire badin, se précipite ou plutôt se dévoile, avec « L’escalade » : rythme plus appuyé des cordes, révélant ce qui est à l’œuvre dans une apparente inertie du rêve. Suivent les tableaux, d’un vénéneux effet, à partir de « matin frais », conçus comme des épisodes flamboyants, parlant à nos sens, d’une subtilité de couleurs, d’accents, d’introspection, magicienne. Koechlin, par la voix d’un orchestre et d’un chef en état de grâce, nous envoûte littéralement. Le chant de l’orchestre semble pénétrer dans des univers aussi vastes qu’inconnus, ouvrant des perspectives inexplorées entre Debussy et Ravel.

« Car le songe est plus beau que la réalité,
car les plus beaux pays sont ceux que l’on ignore,
Et le plus beau voyage, est celui fait en rêve.
 »

Ces vers concluant le Voyage extrait du cycle Shéhérazade de Tristan Klingsor, ont longuement inspiré Charles Koechlin. Ils donnent même les clés, pour comprendre une œuvre musicale, bercée par le rêve et la poésie.

Conteur persan, le compositeur convoque toutes les ressources d’une écriture imagée, véritable manifeste de la suggestion et de la féerie. C’est à peine si « A travers les rues », nous détourne par ses tutti plus éclatants, de notre torpeur fascinée. Le musicien se délecte à passer de la langueur sereine, à la volupté extatique (« Chant du soir », puis « Clair de Lune sur les terrasses »).
Un continent qui puise sa richesse époustouflante dans la lecture assidue des poètes : lui-même a écrit combien ses compositions sont des émanations du rêve et des mondes poétiques. L’imaginaire et l’inconnu lui parlent davantage que les voyages effectués. Lui qui visita la Grèce et la Turquie, l’Algérie et le Maroc, ne connut jamais la Perse. C’est donc l’idée d’un orient aussi lointain qu’inépuisable qui s’écoute tout au long de ses « Heures Persanes » : c'est le journal musical d’un rêveur cherchant à capter de nouveaux horizons, repoussant toujours les limites des mondes visibles (dans le sens des mirages évoqués par Loti). Sa musique nous parle de l’agonie d’un monde, sur lequel un nouveau se lève (narration évocatoire parfaitement construite des cinq épisodes formant comme un livre parcouru, la suite du « Conteur », ou encore, les lévitations de la dernière étape : « clair de lune sur la place déserte ».

Le poète maîtrise aussi la langue moderne : polytonalité et atonalité sont constamment sollicitées pour nous faire entendre la résonance de l’Ailleurs. Un ailleurs d’autant moins abstrait qu’il nous tire vers l’avenir.
Koechlin nous offre le temps de l’œuvre (presque une heure), plusieurs paysages inoubliables qui sont à la fois des illuminations et des contemplations transcrites. Il y flotte un parfum de paradis perdu, d’Eden approché dont il exprimerait par la musique, la fascinante nostalgie.

A la mort de Koechlin, en 1950, Claude Rostand soulignait qu'aucun compositeur de sa génération n'avait manifesté une telle négligence vis-à-vis de sa publicité personnelle. Cette humilité qui le desservit ne l'empêcha pas de se tenir à la pointe de la création musicale, et de l'affirmer haut et fort dès 1909 en participant aux côtés de Ravel à la création de la très remuante Société Musicale Indépendante (SMI).

Mais le portrait serait incomplet si l'on oubliait qu'il fut aussi, et peut-être surtout, un pédagogue très écouté. "Partout où se donnait du beau, du rare et du nouveau ", écrivait Claude Rostand, "on apercevait cette silhouette légendaire : visage de prophète à la barbe fluviale, chapeau à larges bords, ample pèlerine de berger, mains noueuses, et ce regard vert dont quatre-vingt-quatre années d'un travail de tous les instants n'avaient éteint ni l'éclat, ni la vivacité".

Charles Koechlin enseigna en France et aux États-Unis, fréquenta et conseilla les musiciens du Groupe des Six, eut Francis Poulenc et Henri Sauguet parmi ses élèves. Et ses Études sur les notes de passage, son Traité d'orchestration et son Traité d'harmonies font encore autorité auprès des musicologues. Par ailleurs, KOECHLIN orchestra Pelléas et Mélisande de Fauré et Khamma de Debussy.

Avec ses 225 numéros d'opus, KOECHLIN édifie une des oeuvres les plus imposantes de sa génération.

« L'esprit de mon œuvre et celui de toute ma vie est surtout un esprit de liberté. » 

    Épitaphe gravée sur la stèle funéraire de Charles Koechlin.

extraits

 

Le Bruissement des feuilles - Les chants de Nectaire,2° série, op.199


Voir aussi:

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