Compositeur français " Le temps de Debussy est aussi celui de Cézanne et de Mallarmé : cet arbre à triple tronc est peut-être l’arbre de la liberté de l’art moderne. " Pierre Boulez
Rien ne destinait Debussy à la musique : ni ses parents, qui tenaient un commerce de porcelaine à Saint Germain en Laye, au 38 rue au Pain et qui le destinaient à la carrière de marin, ni sa famille (ou proches) n’avaient aucun don musical. C’est grâce à son parrain, Achille Arosa, banquier et collectionneur d’art qui habitait Cannes, qu’il découvrit la mer, Corot et la peinture impressionniste, et qu’il prit ses premières leçons de piano avec Cerutti. Mais ses dons musicaux ne furent vraiment découverts que grâce à Mme Mauté de Fleurville, élève de Chopin, qui lui transmit l’amour du piano, l’instrument du grand compositeur romantique.
Les années d’apprentissage – Le Conservatoire (1873-1884) 1873 Debussy est admis au Conservatoire de Paris dans la classe de solfège de Lavignac : maître et disciple s’estimèrent beaucoup mutuellement et échangèrent souvent leurs réflexions sur la musique ou l’enseignement musical. Debussy obtint sa première médaille de solfège en 1876. 1875 Il entre dans la classe de piano de Marmontel, mais là, l’entente fut beaucoup moins sereine : l’élève n’aimait pas trop les exercices (ses progrès pianistiques s’en ressentirent et il ne remportera qu’un 2ème prix de piano en 1877 plus en tant que musicien que virtuose…), mais adorait déchiffrer et préludait souvent les œuvres du grand répertoire par des arpèges ou des accords dont le " baroquisme " épatait son professeur qui se rendait bien compte malgré tout des qualités exceptionnelles de ce disciple récalcitrant (" Ce diable de Debussy n’aime guère le piano, mais il aime bien la musique "). Debussy n’obtint aucune récompense en harmonie, il se rebellait souvent contre l’enseignement d’Emile Durand, fade, routinier, et parfois à la limite du vulgaire. 1879 Marmontel le recommande à la passionnée égérie russe de Tchaïkovski, Mme Nadedja von Meck, qui était à la recherche d’un pianiste déchiffreur pouvant également assurer l’enseignement musical de ses enfants. Grâce à ses trois séjours d’été) en Russie, prolongés par des voyages en Autriche et en Italie, Debussy sortit de son milieu étroit parisien, s’enrichit sur le plan culturel et fit des rencontres déterminantes : à Venise il rencontre Wagner, à Vienne il entend Tristan pour la première fois, en Russie il découvre les chants tziganes, Moussorgski et Boris Godounov. 1880 Debussy prouve ses dons naturels d’improvisateur, de transcripteur et de réducteur en remportant dans la classe de Bazille un 1er prix d’accompagnement. C’est à cette époque qu’il entre dans la classe de composition d’Ernest Guiraud et qu’il se lie d’amitié avec lui (l’enseignement de Guiraud, très ouvert, le faisait réfléchir sur son art et sa technique). 1881-83 Rencontre des époux Vasnier, événement capital pour sa culture générale et musicale : Vasnier était un architecte cultivé, grand amateur d’art, qui lui fit connaître le monde de la poésie et de la peinture ; quand à Mme Vasnier, il en fut plus ou moins épris et écrivit pour elle ses premières mélodies (elle était soprano aigu), notamment le premier cycle des Fêtes galantes sur des poèmes de Verlaine et la célèbre Mandoline. Debussy allait souvent les voir dans leur villa de Ville-d’Avray, il y trouvait le calme et un certain raffinement intellectuel nécessaires à son épanouissement. Vasnier l’encouragea fortement à préparer le prix de Rome. 1884 Il remporte le prix de Rome avec sa cantate L’Enfant prodigue, révélant ses dons dramatiques et lyriques ainsi que l'influence (peut-être calculée..) de Massenet. Ce qu’il en dit est assez significatif de son besoin d’indépendance notoire : " Quelqu’un me frappa sur l’épaule et me dit d’une voix haletante : " Vous avez le prix !… " Que l’on me croie ou non, je puis néanmoins affirmer que toute ma joie tomba ! Je vis nettement les ennuis, les tracas qu’apporte fatalement le moindre titre officiel. Au surplus, je sentis que je n’étais plus libre. " Et Marmontel, souvent agacé par cet élève récalcitrant se souvint de ses facéties dans sa classe de piano : " Ah ! le coquinos ! Il se régalait encore dans ma classe des harmonies de Chopin ! J’ai bien peur qu’il ne les trouve plus assez salées… "
La construction d’un langage musical propre – La vie de bohème (1884-1892) 1884-87 A l’instar de celui de Berlioz, le séjour à la villa Médicis fut très mal vécu par Debussy : il s’ennuie, il trouve l’atmosphère guindée irrespirable et ses camarades musiciens, peintres ou sculpteurs grossiers… Il y composera Zuleïma Diane au bois et le Printemps, œuvres plus ou moins terminées, qui ne satisfont ni Debussy, ni l’Institut. Les rapports de l’Académie des Beaux-Arts sont très éloquents : " Monsieur Debussy semble tourmenté du désir de faire du bizarre, de l’incompréhensible, de l’inexécutable "… La cantate la Damoiselle élue, d’après Rossetti, reste la seule œuvre achevée de la période romaine, préfigurant pourtant Pelléas par certaines harmonies et couleurs orchestrales. 1887-89 Il revient à Paris et se lie avec la belle Gabrielle Dupont, dite Gaby, qui fait vivre le ménage de ses maigres revenus. Il fait la connaissance de Mallarmé et de ses célèbres " mardis " dans son appartement de la rue de Rome. Mallarmé, ainsi que tous les symbolistes de l’époque, adorait Wagner et Debussy ne faillit pas à cet engouement pour le maître de Bayreuth : il fit deux voyages à Bayreuth en 1888 et 1889, y entendit Parsifal Tristan et Les Maîtres chanteurs et en revint " follement wagnérien ". En 1889, il découvre la musique d’Extrême-Orient à l’Exposition universelle et lit la partition de Boris Godounov que Saint-Saëns avait rapportée de Russie. Toutes ces influences furent profondes, même si les productions qui suivirent montrent un style déjà très personnel : aparaissent pour piano et voix les Ariettes oubliées d’après Verlaine et les Cinq Poèmes de Baudelaire où l’on sent la présence permanente de Wagner mais de façon contradictoire, et dont le Jet d’eau en est le point culminant. Après cette œuvre, Debussy se sentira libéré de l’influence trop pesante de Wagner et pourra se tourner vers d’autres horizons. 1890 Debussy fait la connaissance de Satie qui l’influencera peut-être occasionnellement, mais il ne faut pas attribuer à Satie la découverte d’un vocabulaire harmonique, seul, Debussy sut le porter à un haut degré de raffinement.
Les premiers chefs-d’œuvre – L’enfantement de Pelléas (1892-1902) 1893 Debussy compose son Quatuor à cordes, œuvre déjà très personnelle et dont le ton, volubile et changeant, n’obéissait plus aux schémas traditionnels viennois ; Debussy, plus proche de César Franck (notamment dans l’andantino), unifie les 4 mouvements classiques par un thème principal et crée une harmonie et une écriture instrumentale d’essence toute nouvelle. L’accueil du public à la première audition (par le Quatuor Ysaye le 29 décembre) fut plutôt réticent ; Paul Dukas par contre fut plus enthousiaste : " Mr Debussy se complaît particulièrement aux successions d’accords étoffés, aux dissonances sans crudité, plus harmonieuses en leur complication que les consonances mêmes… ". 1893-94 Le 22 décembre 1894, la première audition du Prélude à l’après-midi d’un faune s’avère triomphale (l’œuvre fut bissée) ; composé entre 1892 et 1894, ce premier chef-d’œuvre incontesté révèle le poète moderne de la musique : invention d’une rythmique, d’une harmonie appropriées, souplesse et liberté de l’expression, légèreté et délicatesse des timbres, orchestration arachnéenne et colorée propre à Debussy qui va mettre en valeur certains instruments (flûte, cor ou harpe). Et surtout Paul Dukas résumera ainsi l’essentiel de l’écriture debussyste : " L’idée engendre la forme ". Notons la réaction enthousiaste de l’inspirateur de l’œuvre, Mallarmé, qui remerciera le jeune compositeur en un poème : " Sylvain
d’haleine première Le
17 mai 1893, Debussy voit au théâtre des Bouffes parisiens la pièce de
Maeterlinck, Pelléas et Mélisande : il en fut vivement
impressionné, comme tous les jeunes intellectuels d’alors fortement intéressés
par le symbolisme. Encouragé par ses amis, il décida de la mettre en
musique et pour cela alla voir Maeterlinck à Gand en novembre ; voici
ce qu’il dit du poète belge : " à propos de Pelléas,
il me donne toute autorisation pour des coupures… Maintenant au point de
vue musique, il dit n’y rien comprendre, et il va dans une symphonie de
Beethoven comme un aveugle dans un musée… ". 1897-99 Il
écrit les Trois Chansons de Bilitis sur des poèmes de
Pierre Louÿs,
équilibre habile entre la prosodie et le chant pur et qui témoigne de son
amour pour la voix ; composition à cette époque des Nocturnes (Nuages,
Fêtes et Sirènes) : inspirée par la peinture de Whistler, cette
œuvre maîtresse sort définitivement des schémas symphoniques
traditionnels. L’harmonie et la couleur instrumentale forment un ensemble
parfaitement homogène dont la fraîcheur et la beauté nous ravissent
toujours. Matériellement et affectivement, notons que ces années 1897-99 furent difficiles pour Debussy : la meilleure amie de Gaby, Lily Texier, employée dans une maison de couture, devient sa femme le 19 octobre 1899 (Gaby tentera de se suicider). 1900 Debussy commence à être recherché, il fréquente les cafés élégants, rencontre des personnalités telles que Léon Daudet, Reynaldo Hahn, Marcel Proust… Sa situation matérielle s’améliore grâce à sa collaboration à la Revue blanche : avec Monsieur Croche antidilettante, recueil de ses articles critiques, il prouve sa verve impitoyable et un anticonformisme qui ne date pas d’hier… 1902 L’année de Pelléas Depuis longtemps, les amis de Debussy avaient essayé de faire accepter Pelléas par un directeur de théâtre, en vain. Ce n’est qu’en 1898 qu’André Messager parvint à convaincre Albert Carré, le directeur de l’Opéra-Comique. Mais une brouille éclata entre Maeterlinck et Debussy : Maeterlinck réservait le rôle de Mélisande à sa femme, Georgette Leblanc, alors que Debussy souhaitait confier le rôle à une écossaise, Mary Garden. Maeterlinck, furieux, lui enleva son autorisation, intenta même un procès, mais Debussy gagna. Pelléas put enfin être représenté le 30 avril 1902, mais dans une ambiance des plus houleuses créée par Maeterlinck et ses amis (on en vint même aux mains…). Messager, qui dirigeait l’œuvre, garda son sang froid et l’œuvre put être terminée. La critique ne comprit rien à ce chef-d’œuvre et témoigna de sa bêtise et de son incompétence ; Camille Bellaigue, camarade de Debussy au Conservatoire de Paris trouve que Pelléas " fait peu de bruit ", mais qu’il s’agit " d’un vilain petit bruit "… Toutefois la deuxième représentation fut un triomphe. Debussy devient un compositeur célèbre et reconnu par ses pairs. Pelléas
et Mélisande est unique dans l’histoire de l’opéra moderne :
en totale opposition avec Wagner, l’écriture vocale procède du récitatif
mélodique, et est discrètement soutenue par l’orchestre. Pour le piano (1902-1912) Debussy avait déjà écrit pour le piano (2 Arabesques, la Suite bergamasque, Clair de lune, Pour le piano…), mais sa conception nouvelle de l’utilisation du piano trouve son apogée à cette époque : apparaissent les Estampes (1903), Masques et L’Isle joyeuse (1905), les 2 recueils d’Images (1905-07), Children’s Corner (1906-08). Avec les 2 livres de Préludes (1909-12) aux titres évocateurs (Voiles, Le vent dans la plaine, Des pas sur la neige, Brouillards, La terrasse des audiences au clair de lune…), notons que c’est la musique qui génère le titre et non le contraire ; Debussy prouve une fois de plus, et notamment dans ses 24 Préludes, que la couleur et les thèmes musicaux priment ainsi que parfois une grande audace harmonique. Il n’ira pas plus loin dans l’écriture pianistique ; la recherche des sons, la priorité donnée aux timbres et aux couleurs, les harmonies complexes, les rythmes, la variété et la fluidité des évocations sonores font de ces pièces des monuments fondateurs de la littérature pianistique du 20ème siècle. En 1903, Debussy fait la connaissance d’Emma Bardac, femme belle, brillante, musicienne. Abandonnant sa femme Lily, il la rejoint à Pourville en 1904. Le scandale va éclater et provoquer sa fuite à Jersey, puis à Dieppe, où il terminera La Mer. Après avoir divorcé tous les deux, Emma (redevenue Emma Moyse) et Debussy se marièrent en 1905. Désormais Debussy vécut une vie tranquille et à l’abri du besoin square du Bois-de-Boulogne où le 30 octobre 1905 naquit sa fille chérie, dite Chouchou (pour qui il écrira Children’s Corner). Pelléas triomphe dans le monde entier, le grand compositeur français a atteint la célébrité. Autres chefs-d’œuvre (1904-1912) 1904-05 Debussy compose un poème symphonique, La Mer, en 3 parties : De l’aube à midi sur la mer, Jeux de vagues, Dialogue du vent et de la mer. Cette fois-là, la musique illustre à merveille les titres, les couleurs orchestrales, sans cesse changeantes, se meuvent dans une structure musicale riche, la conception des timbres y est audacieuse et très nouvelle. On peut dire que La Mer fait partie, peut être avec Jeux, des œuvres visionnaires de Debussy. Il écrit aussi de nouveaux recueils de mélodies, Trois chansons de France, la seconde série des Fêtes Galantes, le Promenoir des deux amants (1904-10), d’un style parfois dépouillé. 1906-12 Les Images pour orchestre consacrées à l’Écosse pour Gigues, à l’Espagne pour Iberia, et à la France pour Rondes de printemps restent encore peu jouées, sauf Iberia qui brille par sa couleur orchestrale (notamment dans les Parfums de la nuit, chef-d’œuvre d’évocation). 1910-11 Diaghilev demande à Debussy de collaborer avec Gabriele d’Annunzio à une œuvre sur le thème de Saint Sébastien (avec Ida Rubinstein comme principale interprète). Le Martyre de Saint Sébastien, composé en 3 mois, fut donné au théâtre du Châtelet le 22 mai 1911. Le succès fut médiocre ; critiquée par l’archevêque de Paris (supportant mal le mélange paganisme-christianisme), l’œuvre souffre d’un manque d’homogénéité, le texte et la musique sont trop disparates. Debussy ne s’en préoccupera plus. Dernières grandes compositions (1912-1917) 1912-13 Sur un argument et une chorégraphie de Nijinski, Debussy compose un ballet, Jeux, pour la compagnie de Diaghilev sur le thème de la jalousie amoureuse entre deux jeunes filles et un jeune homme. " Apologie plastique de l’homme de 1913 " selon Diaghilev, ce ballet fut représenté pour la première fois le 15 mai 1913 au Théâtre des Champs-Élysées sous la direction de Pierre Monteux, qui dirigera au même endroit le 29 mai Le Sacre du Printemps de Stravinsky dont la modernité agressive et scandaleuse oblitérera le raffinement et l’écriture toute aussi moderne de l’œuvre de Debussy. On s’aperçoit aujourd’hui avec le recul que Jeux fait partie des œuvres les plus remarquables de la dernière période de Debussy : parfaitement construite, cette œuvre est pensée pour la danse. Selon Boulez surtout, " Jeux marque l’avènement d’une forme musicale qui, se renouvelant instantanément, implique un mode d’audition non moins instantané. " En 1913, apparaissent les Trois Poèmes de Mallarmé, mélodies qui montrent un Debussy proche de l’atonalité. 1914-15 Debussy
continue à signer ses plus belles pages (plus nationaliste depuis le début
de la guerre, ennemi de Schönberg, il va les signer " Claude
Debussy, musicien français " : en 1915, il dédie à
Chopin ses deux livres d’Études pour piano, chefs-d’œuvre de la
littérature pianistique. 1915
est aussi l’année de En blanc et noir pour 2 pianos, aux couleurs
sombres, " Ces morceaux veulent tirer leur couleur, leur émotion du
simple piano, tels les " gris " de Vélasquez " en dira
Debussy.
CATALOGUE DES ŒUVRES PRINCIPALES Œuvres
chorales et dramatiques |
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Prélude à l’après-midi d’un faune |
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La Mer - II. Jeux de vagues |
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Fin de la première partie de "La Mer" |
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Fêtes, deuxième des Trois Nocturnes* |
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Golliwog's Cake Walk Children's Corner No 6 |
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* Nuages, fêtes, Sirènes Voir aussi:
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