Benoit BAUDUIN, lauréat du concours (Catégorie C - nés en 1990-1991)

Benoit BAUDUIN, élève de 4e Générale Scientifique, est lauréat du plus grand concours international d’écriture (8000 participants) à destination des lycéens de toute la francophonie.

Voici son texte, un récit fantastique écrit dans le cadre du cours de français.

 
 
    Regard mortel (Le texte en format PDF)

Dans ce train qui me ramène chez moi, la tête appuyée à la fenêtre, je me prends à rêver. Ma vie me paraît tellement formidable.
Je viens de décrocher un fabuleux contrat pour mon employeur grâce à mon projet publicitaire. Ma maquette, grandeur nature, a ravi Monsieur Petroons. Cet important promoteur immobilier a été subjugué par l’originalité de mon plan du centre commercial habilement inclus dans un lotissement de nouvelles habitations, parsemées d’ espaces verts et d’aires de jeux pour les enfants. Belle réalisation, en effet, un endroit idéal pour une vie paisible et agréable. Je suis assez fier de moi.
Je rejoins une épouse fantastique, Éléonore, qui fait mon bonheur tous les jours. Elle est si gaie, si enthousiaste, toujours pleine d’idées, d’énergie et de vie. Et en plus, elle est si belle et élégante. Une silhouette élancée et gracieuse, un visage d’ange d’une douceur fascinante, de beaux yeux bleus un peu bridés et un sourire éclatant. Quel homme pourrait être plus heureux que moi ? Que pourrais-je encore espérer de plus ?
Et si pourtant, une petite ombre obscurcit ce beau tableau : notre désir d’avoir un enfant depuis maintenant trois ans. Tous les tests sont bons, pas de pathologie ni chez elle ni chez moi. Le gynécologue nous a conseillé beaucoup de patience et de persévérance. Il est persuadé que… Mais que se passe-t-il !!? Ce crissement ! Le train ralentit brusquement…
Qu’y a-t-il ? Les minutes suivantes semblent fort longues. Enfin, un message nous apprend que, suite à un problème sur la voie, nous sommes priés de descendre du train. Des bus vont venir nous prendre et nous conduire à la gare suivante. Heureusement, l’incident s’est produit à proximité d’une station. Quelle tuile ! Moi qui espérais tant retourner à la maison au plus vite ! Enfin, il faut descendre et suivre les instructions des agents responsables.
Alors que je me dirige vers l’endroit indiqué pour attendre notre nouveau transport, une drôle d’impression m’envahit : l’impression d’être observé. Un réel malaise me fait regarder à droite à gauche, devant, derrière… Et là, dans le train, à la fenêtre, à la place que je viens de quitter, un regard, deux yeux bleus me fixent intensément sans cligner, une fillette, d’une dizaine d’années peut-être. Des boucles blondes tombent sur ce visage assez effrayant, une bouche pincée sans sourire et cette robe rouge d’un rouge vif tranche avec la pâleur de l’enfant. Que fait-elle encore dans le train ? Pourquoi est-elle fixée sur moi ? Un frisson me parcourt. Je ne peux quitter ce regard et ce visage.
Soudain, le chef de train lance une injonction pour embarquer dans les bus arrivés sur ces entre-faits.
Ceci me permet de me détourner de la fillette dont les yeux restent rivés sur moi.
Une fois dans le car, j’arrive à me relâcher, et mon esprit retourne à mon bonheur de rejoindre Eléonore.
Après plusieurs heures, je peux enfin embrasser mon épouse. La chaleur de mon foyer me fait très vite oublier les difficultés de mon retour. Cette quiétude sera de courte durée.
Le lendemain matin, au petit déjeuner, je découvre, dans le journal, l’explication des évènements de la veille. « Un homme s’est jeté sur la voie à l’arrivée du train. Il s’agit d’un certain Mathieu Disca, âgé de trente-deux ans ».
« Mathieu Disca ! » Je connais cet homme ! Il était au collège avec moi ! C’était même un ami ! Nous avons partagé beaucoup de choses ensemble : les filles, les blagues, les punitions.
Tout mon passé ressurgit avec cette tragédie. Pourquoi a-t-il fait ça ? Il était pourtant intelligent et même brillant. Il réussissait bien à l’école. Il était plaisant et agréable avait pas mal de succès.
Il était issu d’une famille aisée et bénéficiait de beaucoup de privilèges. Cela fait une dizaine d’années que nous nous étions perdus de vue.
Moi, je me suis digéré vers des études de marketing et lui a choisi les études d’ingénieur.
J’ai toujours eu un côté artistique et novateur. Mathieu préférait la rigueur d’une belle démonstration mathématique. Il aimait aussi la recherche, mais dans son aspect scientifique.
Nos chemins se sont, donc, séparés à cette époque. Qu'est-ce qui a bien pu pousser cet homme à une telle extrémité ?
La sonnette de la porte d’entrée retentit. Je sors de mes pensées. Mon collègue vient me chercher pour aller au travail. Une nouvelle journée commence, une journée à priori comme toutes
les autres. Vers quatorze heures trente, je reçois un message sur mon téléphone portable :
« Ne rentre pas trop tard ce soir, petite surprise à la maison. Éléonore »
Il me tarde de rentrer. De quoi s’agit-il ?
Je quitte le bureau vers dix-sept heures, un passage rapide chez le fleuriste : un bouquet pour l’occasion. À la maison, lumière tamisée, feu de bois dans la cheminée, une belle table est dressée avec la vaisselle des grandes occasions, un souper aux chandelles. Éléonore apparaît alors dans l’embrasure de la porte, plus belle que jamais, une robe longue en satin noir et son sourire radieux :
- Prenons place, dit-elle avec une certaine impatience dans la voix.
- Mais que fêtons-nous ? demandai-je.
- Tu vas bientôt le savoir, dit-elle, je vais chercher le champagne.
C’est alors que je remarque un petit paquet déposé dans le creux de mon assiette.
- Ouvre-le ! me dit-elle, en revenant avec l’élixir sacré.
Avec beaucoup de fébrilité, je déchire l’emballage et je découvre deux chaussons, un bleu et un rose en tricot avec un ruban en soie.
- C’est ce que je crois ? dis-je en bredouillant. Voilà ! On y est arrivé ! Tu es sûre ?
Elle ne peut retenir quelques larmes et me tombe dans les bras. Enfin, après trois ans, le bonheur va être parfait et complet. La soirée est une de nos plus belles.

Quelques semaines passent, l’euphorie restant toujours aussi vive.
Mais un soir, après le travail, un collègue me propose un verre avant de rentrer. J’accepte et
nous nous retrouvons chez « Édouard le spécialiste du chocolat » . Nous prenons une table près de la fenêtre, nous discutons calmement quand soudain, une impression étrange m’envahit. J’ai déjà ressenti ce sentiment d’inquiétude. Et tout d’un coup, en regardant du côté de la fenêtre, je sursaute et pousse même un cri. Un visage, deux yeux bleus, des boucles blondes, accolé à la fenêtre. Ce regard, le même que le jour où le train s’est arrêté brusquement, et la robe rouge, la même enfant étrange, sa tête et ses mains collés à la vitre figée et fixée sur moi. Mon cœur se met à battre très fort, la transpiration envahit mon front. J’ai peur, peur de quoi ? De qui ? Je ne sais pas. Après tout, ce n’est qu’une enfant. Je prends rapidement congé de mon ami et rentre à mon domicile presque en courant comme si la fillette allait me rattraper. Je me prends même à regarder plusieurs fois derrière moi, mais rien, personne. Elle n’est plus là. J’essaie de me calmer avant de rentrer, je ne veux pas inquiéter inutilement ma femme. Mais en arrivant, je comprends vite qu’il se passe quelque chose d’inhabituel. Que font toutes ces voitures garées devant la maison et dans l’allée du garage ? Que se passe-t-il ?
J’entre en toute hâte. Mon épouse, en larme, tombe dans mes bras et m’explique que ma nièce Camille âgée de quinze ans a été victime d’un accident de voiture, elle est morte sur le coup.
Quel drame, je ne peux contenir mes larmes…

Difficile moment à vivre, mais tout attaché, un peu égoïstement à notre futur bonheur, Éléonore et moi réussissons à traverser cette épreuve sans trop de mal. Nous sommes si impatients d’avoir notre enfant après tant d’années passées à espérer. Il est l’aboutissement de notre amour.

Les semaines et les mois passent.
À six mois de grossesse, Éléonore s’est bien « arrondie », toujours aussi belle et pleine de vie.
Il m’arrive parfois d’aller la chercher à son travail.
Elle est puéricultrice dans une crèche des beaux quartiers de la ville.
Aujourd’hui nous allons dîner chez ma sœur, Anna, la future marraine de notre bébé. Nous avons toujours été très proches. Me voilà devant le bâtiment, je le connais bien, un vrai dédale de couloirs et de portes. En dehors de la crèche, cet édifice assez imposant en brique rouge, compte aussi une école de musique, de danse et de chant. À l’étage, se trouvent les bureaux d’une société immobilière assez connue dans la région. Je me dirige vers la salle du rez-de-chaussée où se trouve la crèche et j’entre sans frapper. J’aperçois mon épouse entourée par des bambins qui s’agrippent à ses jupes. Mon regard parcourt cette grande pièce tout équipée de jeux, de modules en tout genre. Un coin, dans la pénombre, isolé par une cloison, où l’on devine de petits « lits cage » pour la sieste retient quelques instants mon attention. Tout à coup, j’aperçois une petite main qui agrippe le bord de la cloison et un petit pied qui dépasse. Je me surprends à avancer dans cette direction comme si l’enfant caché dans ce coin a besoin d’aide. Je passe ma tête. Je pousse un cri de stupeur : là, deux yeux fixés sur moi, des boucles blondes, une robe rouge, mais cette fois, un rire sarcastique et un doigt pointé dans ma direction. Mes jambes chancellent, la sueur perle sur mon front, mon pouls s’accélère et je cours me réfugier près de mon épouse qui est très surprise de me voir dans cet état. Je balbutie :
- Là, là , derrière moi, la fillette en rouge !!!
Éléonore se retourne.
- Et bien quelle fillette ? Je ne vois rien.
- Elle s’est cachée, viens voir, dans le coin dortoir.
- Allons, calme-toi, tu as rêvé.
- Non, non, elle est là, viens voir !
Nous allons voir ensemble et nous ne trouvons ni fillette blonde ni robe rouge ni aucun autre enfant d’ailleurs.
- Rêvé ! J’ai rêvé ! Les yeux ouverts et en plein jour ! Je l’ai pourtant bien vue ! Ou bien
était-ce une hallucination ? Est-ce que je deviens fou ?
Comme si elle avait lu dans mes pensées, ma femme me prend la main tendrement et dit :
- Peut-être la peur d’une nouvelle venue dans notre vie ? Tu sais, beaucoup se posent des questions avant une naissance. La vie va changer. On se demande si on va être à la hauteur, beaucoup de questions, quelques angoisses. Moi aussi, il m’arrive d’avoir peur.
Quelle douceur ! Quelle délicatesse ! Elle a su, en quelques mots, apaiser mes craintes et calmer mes angoisses.
Nous partons au plus vite. La maison de ma sœur se trouve à proximité de la crèche.
Nous y arrivons rapidement. Anna habite une belle villa neuve. La mort de son mari, il y a deux ans, l’a laissée dans un grand désarroi et une profonde tristesse. Nous avons pensé, ma femme et moi, lui redonner un peu de joie de vivre en lui faisant partager notre bonheur.
Nous sonnons à plusieurs reprises. A mon grand étonnement, personne ne vient ouvrir. Je tourne la poignée de porte et celle-ci s’ouvre. Nous appelons Anna, nous nous rendons à la cuisine, dans le salon, la salle à manger : personne ! Je me rends dans sa chambre et là : stupeur !
Ma sœur Anna s’est pendue au vieux lustre. Je hurle et fonds en larmes. J’entends mon épouse qui monte l’escalier. Je sors et referme vivement la porte de la chambre. Dans son état, je veux lui épargner ce spectacle.
Bientôt, la police envahit la maison, des prélèvements sont effectués. Le commissaire me remet une lettre écrite par ma sœur qui explique son geste. Elle ne peut se remettre de la perte de
son époux, ne supporte plus sa solitude et a décidé de le rejoindre. Elle nous supplie de l’excuser.
Quel dommage ! La vie peut être si injuste.
Les mois suivants sont difficiles. Je suis inconsolable. Je n’ai pas assez fait attention à elle. Elle était malheureuse et je n’ai pas su l’aider. Je m’en veux beaucoup. J’ai l’impression que
le destin s’acharne contre moi. D’abord, il y a eu le décès de mon ami d’enfance, puis ma nièce et maintenant ma sœur, et puis, cette vision que j’ai eue avant chaque décès…
À l’évocation de cet enfant, mes mains se mettent à trembler, je transpire abondamment,
mon cœur s’emballe. Il faut que j’oublie cette image, que je pense à autre chose… Eléonore a certainement raison : la peur d’une nouvelle vie doit être l’explication la plus rationnelle à
mes visions.
La vie poursuit sa course. Les neuf mois sont maintenant atteints. Tous les jours peuvent être le « Grand Jour ». Et enfin, ce matin, nous partons à la clinique. Eléonore a perdu
« les eaux ». Je serai papa dans quelques heures. Quel bonheur !
On nous amène directement dans la salle d’accouchement. Un monitoring est mis en place pour le suivi du bébé. Les contractions s’intensifient progressivement.
Après chacune, Eléonore fait ses exercices de respiration comme elle les a appris lors des séances de préparation à l’accouchement. Je l’y ai d’ailleurs accompagné quelques fois.
Soudain, le monitoring se met à sonner de façon bizarre. Un médecin suivi de deux infirmières fait irruption dans la salle. Ils s’affairent autour d’Eléonore. Ils prennent sa tension, l’auscultent, poussent de nombreux boutons de l’appareil. Mais, il continue à pousser son cri perçant et effrayant. D’autres infirmières arrivent avec d’autres appareils. Je me fais bousculer.
- Que se passe-t-il ? Y a-t-il un problème ? J’interroge chaque personne qui semble me prêter un regard.
Bientôt, on me prie de sortir. Je fais les cent pas dans le couloir. Les allées et venues ne cessent pas. Je continue à poser des questions qui restent sans réponse. Le stress m’envahit. Mais, soudain, j’entends un cri et puis des pleurs de bébé. J’ose un sourire, je suis « Papa ». La joie m’étreint, quelques larmes de bonheur coulent sur mes joues.
Une infirmière sort de la pièce. Je m’élance pensant rentrer pour féliciter et embrasser ma femme. Le visage de l’infirmière est grave et triste. Je la regarde. Elle tient une couverture dans les bras. Elle s’approche de moi. Je n’ose penser. Elle me dit :
- Je suis désolée, il y a eu un problème, une hémorragie, nous n’avons rien pu faire, votre épouse, elle est …
- Non, elle n’est pas morte, pas Eléonore, non, ce n’est pas possible…
Je fonds en larme.
- Mais, elle vous a donné une adorable petite fille. Vous voulez la voir ?
Comme un automate, je tends les bras, je ne sais plus où j’en suis. Elle me dépose la couverture dans les bras et je découvre :
une petite fille toute blonde avec deux grands yeux bleus fixés sur moi et une brassière rouge …
Le soir même, je suis interné à l’hôpital psychiatrique de Dave.

 
 
Retour en haut de page