Sylvain Louis , lauréat du concours de la Maison de la Francité

Cette année encore, Sylvain Louis s'est distingué par ses qualités littéraires. Après avoir été lauréat du concours d'écriture de l'AR Montegnée consacré au récit autobiographique, il a obtenu la même distinction au concours de la Maison de la Francité. La lecture du texte récompensé (ci-dessous) vous permettra d'apprécier la qualité de l'imagination ainsi que la maîtrise de langue de Sylvain.

Pour plus de précisions sur ce concours, consultez le site suivant : http://www.maisondelafrancite.be

Texte écrit dans le cadre du cours de Français de 6ème Générale (Professeur : Mr Robin - AR Izel -2003)

 
 
    Triste clown, parfum d'enfance (Le texte en format PDF)


Le soleil de mai étincelait dans un ciel azuré qui, çà et là, était percé de nuages blancs et veloutés. Ses rayons n'avaient plus la douceur habituelle d'un début de printemps et la chaleur agressive qu'il dégageait était en décalage troublant avec le tendre feuillage vert des arbres. La nature se déchirait, les éléments s'affrontaient peut-être pour un règne éphémère, une domination saisonnière de l'hémisphère. L'inconvenante violence du soleil s'acharnait sur la peau blanche de Christine et finit par la réveiller en sursaut. Un instant égarée, presque affolée, elle jeta son regard tout autour d'elle pour retrouver ses marques. Elle avait chaud, son corps était moite et sa peau brûlée par les rayons de cet astre ardent qui déchaînait toute sa violence. Elle chercha à reprendre son calme et s'obligea à inspirer de grandes bouffées d'air. Progressivement, son cœur se ralentit et ses membres cessèrent de trembler. Elle reconnut le jardin de sa maison, la haie haute et fleurie, la barrière de bois, les arbrisseaux plantés l'année précédente et puis le transat sur lequel elle était allongée. Le tee-shirt moulant qu'elle portait lui oppressa soudain la poitrine et une sueur froide la parcourut suivie d'une bouffée de chaleur qui l'obligea à glisser sur le gazon. Elle resta sans bouger durant un instant, profitant d'une zone d'ombre qui rendait l'herbe fraîche. Elle retrouva son calme, la sérénité de son corps, et sa peau sécha de la sueur qui en avait coulé. Combien de temps était-elle restée assoupie ? Une heure ? Une journée ? Elle ne savait pas. Elle se rappelait de son réveil vers huit heures. Elle s'était levée avant Justin et était sortie pour acheter des croissants, il aimait tellement être réveillé par les effluves de pâtisseries ! Elle se souvenait du trajet jusqu'à la boulangerie qu'elle avait fait à pied, puis elle se rappelait d'un choc. On l'avait bousculée, elle avait fleuré un parfum, un parfum qu'elle connaissait... Et ensuite, son réveil bien des heures-plus tard sur un transat du jardin. L'odeur s'était évanouie de ses narines, tout comme les souvenirs de ce qui l'avait conduite à cet endroit.
La vision de Justin paisiblement assoupi dans leur lit la heurta soudain et elle se demanda où il se trouvait. Hâtée par l'envie de le retrouver au plus vite, elle se leva d'un bond et un vertige la saisit accompagné d'une multitude d'étoiles qui se mirent à danser allégrement devant ses yeux. Elle vacilla un court instant avant de retrouver son état normal et de se mettre à marcher vers la maison. A l'intérieur, l'atmosphère était habituelle, seuls quelques objets avaient bougé et il y avait peut-être plus de désordre qu'à l'accoutumée. Il en était toujours ainsi. Elle marcha d'un pas feutré jusqu'au hall et tendit le cou pour percevoir les bruits éventuels qui perceraient du premier étage. Le claquement des touches de la vieille machine à écrire résonnait contre le mur et rassura la crainte secrète de Christine. Justin était là. Sans doute avait-il posé sa machine à écrire sur le large appui de fenêtre de la chambre d'amis et s'était-il installé sur un haut tabouret. En gravissant les marches, elle l'imagina concentré, perdu dans son histoire, égaré dans le monde qu'il avait lui-même créé. Peut-être avait-il les yeux à demi clos afin de mieux visualiser les flashs que lui envoyait son imaginaire. Lorsqu'elle poussa la porte, il se tenait précisément dans la situation qu'elle avait devinée. Justin était tourné vers la fenêtre, le dos rond, son corps à moitié nu témoignait du fait qu'il s'était mis au travail dès son réveil. Avait-il seulement remarqué son absence ?
Il ne l'avait pas entendue entrer et elle décida de se faire discrète pour lui dérober un baiser. A pas de louve, elle traversa la pièce et enlaça tendrement ses bras autour du corps de Justin, effleurant sa nuque d'un doux baiser. Elle pressa ensuite son visage contre le corps de son aimé et lui, surpris par tant de folles tendresses, sortit de sa concentration et déclara : " Tu t'ennuyais tant que cela ? On dirait que tu ne m'as plus vu depuis une éternité
- C'est peut-être le cas. Le temps est si long en ton absence ! "
Elle parlait toujours ainsi, franche, sans pudeur, l'idée de paraître trop amoureuse ne l'effrayait jamais, bien au contraire. Lui, s'en trouvait toujours séduit, charmé de compter autant aux yeux d'une femme qu'il aimait avec passion. Même s'il feignait inlassablement le jeu de l'homme surpris, il adorait qu'elle vienne le déconcentrer avec ses tendresses, et même, il n'attendait que cela. Il savait qu'à chaque fois, leurs cœurs allaient s'enflammer et que leurs peaux allaient s'appeler l'une l'autre, irrésistiblement. Ils finissaient toujours par faire l'amour et ce jour-là n'était guère différent des autres ; guère. Ils adoraient tous deux le moment où, pendant leurs étreintes, leurs yeux se rencontraient et se mélangeaient comme des pots de couleurs qui tentaient d'en former une autre. Jamais leurs paupières ne se fermaient et si cela venait à arriver, l'autre le prendrait immédiatement comme une-forme de trahison. Le délice était décuplé lorsqu'ils pouvaient contempler le bonheur dans le regard de l'autre. L'intensité de leur amour les rejetait toujours épuisés sur le bord du lit, le corps chaud et le souffle court, ils restaient alors serrés et susurraient des mots qu'ils étaient seuls à comprendre. La tête de Christine venait toujours se poser sur le torse de Justin et sa respiration rythmait la cadence. Ensuite, ils descendaient généralement à la cuisine et mangeaient quelques fruits qui étaient disposés dans une corbeille en osier, avant que Justin ne se remette au travail. Mais ce jour-là était légèrement différent. Alors que Christine continuait de susurrer des mots d'amour passionnés, Justin s'endormit. Elle redressa alors la tête, surprise, peut-être même un peu contrariée, puis elle se résigna et se leva. Elle avait horriblement faim et des crampes commençaient à faire souffrir son estomac. Elle marcha jusqu'à la porte, puis elle se retourna sur Justin qui semblait s'être profondément assoupi. C'est alors, seulement qu'elle remarqua les vêtements dispersés dans la pièce. Ceux qu'elle portait à son réveil dans le jardin jonchaient le sol aux pieds du lit, à côté du caleçon américain que Justin portait lorsqu'elle l'avait surpris. Mais il y avait là d'autres vêtements, son chemisier en soie noir qu'elle ne portait que pour les grandes occasions - car c'était le préféré de Justin - était abandonné à deux pas de la porte de même que sa jupe de lin blanc. Plus loin, à côté de la fenêtre se trouvait le jean de Justin ainsi que son tee-shirt bordeaux. Ils étaient abandonnés comme si Justin avait déjà était surpris par elle plus tôt dans la journée. Perplexe, elle les ramassa et marcha jusqu'à la salle de bain où elle les laissa tomber dans la corbeille à linges sales. Elle descendit ensuite l'escalier et alla à la cuisine où elle dégusta le dernier fruit qu'il y avait dans la corbeille. Elle ne s'étonna pas, même si elle savait qu'elle avait fait les courses la veille et qu'à son départ pour la boulangerie le matin même, la corbeille était encore pleine. Christine préféra savourer la chair tendre de la mangue qui fondait dans sa bouche et marcher en faisant de petits tours sur elle-même, comme si elle dansait. De son pas guilleret, elle s'avança jusqu'à la porte où elle resta un instant, exposant son corps nu au soleil.
Lorsqu'elle eut fini de manger, elle se promena au rez-de-chaussée afin d'y observer si des choses particulières avaient bougé de place ou avaient disparu. Comme de coutume, le cadre contenant la photo d'elle enfant posant avec ses parents était posée à l'envers sur le buffet. Délicatement, elle le releva et le remit à sa place initiale. En passant devant le meuble du téléphone, elle s'aperçut que le voyant lumineux du répondeur clignotait. Curieuse, elle s'approcha et pressa dessus pour écouter les messages. Il n'y en avait qu'un seul, de la part du Docteur Carlier. Celui-ci se disait pressé de la voir car il avait, semblait-il, quelque chose d'important à lui dire. Il terminait en l'informant que Eloïse était venue le consulter plus tôt dans la journée et lui faisait part de ses craintes quant à son état. Après avoir entendu la voix du Docteur la prier une nouvelle fois de le contacter au plus vite, Christine pressa à nouveau sur le bouton et quitta la pièce en direction du hall. Le Docteur Carlier était son thérapeute, son psy, comme elle préférait dire. Elle l'avait rencontré pour la première fois au moment où ses parents venaient de divorcer. Sa mère, inquiète pour l'équilibre mental de l'adolescente l'avait traînée chez le Docteur Carlier et tous deux avaient appris très vite à s'apprécier. Aussi bien que depuis lors, Christine se rendait chez Carlier à raison d'une fois par semaine. Après avoir esquissé un sourire et un mouvement d'épaules remettant son appel à plus tard, elle se mit à gravir les marches. Plus aucun bruit ne filtrait cette fois et elle supposait que Justin était encore endormi. Elle eut soudain la chair de poule sur tout le corps et elle décida d'aller prendre une douche avant de réveiller Justin pour qu'il se remette au travail. Christine entra dans la salle de bain, mit le chauffage au maximum et tourna le robinet de la douche. Dix minutes passées sous le jet tiède lui suffirent à la revigorer et elle s'enroula ensuite dans une serviette en éponge.
La vapeur avait envahit la petite salle de bain et Christine avança à tâtons pour éteindre le chauffage et faire pivoter la fenêtre. Elle retourna ensuite se placer devant le miroir sur lequel la buée avait fait naître un dessin de clown malheureux. L'image avait été tracée sur le miroir récemment et l'on voyait encore çà et là les empreintes d'un index. Christine fit grincer ses dents, elle abhorrait que l'on dessine sur les miroirs embués et Justin le savait pertinemment bien. Il lui répondait toujours que " il ne se risquait jamais à cela car il ne savait pas dessiner ". Son domaine à lui, c'était l'écriture et il était diablement doué. Christine sourit à cette pensée, puis elle attrapa une serviette en éponge et rageuse, elle essuya la buée et fit disparaître à moitié la mine déconfite du clown. File jeta ensuite la serviette dans la corbeille et sortit de la pièce pour aller réveiller Justin. La chambre d'amis était baignée par une douce lumière de fin d'après-midi et sur le corps du jeune homme se dessinaient des jeux d'ombres et de lumières. Elle posa un genou sur le lit et avança son corps pour venir se poser tout contre son bien-aimé. Du bout des lèvres, elle se mit à baiser sa peau. Son corps remua, il gémit, se retourna de l'autre côté, mais elle ne laissa pas tomber. A nouveau elle approcha son visage et se blottit tout contre lui. C'est alors qu'elle sentit le parfum, les effluves enfantines envahirent ses narines, l'odeur sucrée sembla la posséder et elle ne put que pousser un petit cri de surprise en songeant qu'il était trop tard.
Le visage grimaçant du clown la réveilla en sursaut. Apeurée, tremblante comme une feuille morte, elle finit par réaliser qu'il ne s'agissait que d'un cauchemar. Et pourtant, sa lèvre inférieure continuait de trembler et sa mâchoire serrée empêchait ses dents de claquer. Christine regarda autour d'elle et remarqua qu'elle était dans le salon, accroupie à côté du téléphone décroché. Le récepteur pendait à côté d'elle et sans même prêter l'oreille elle pouvait entendre résonner la tonalité. Elle se redressa, s'aidant du mur contre lequel elle était appuyée et ne remarqua pas la marque poisseuse qu'elle y laissa. Elle replaça le combiné sur son socle, aperçut les tâches, mais n'y prit pas garde. A trois reprises, elle scanda le nom de Justin. Il fallait qu'elle le réveille, il lui en voudrait si elle le laissait dormir aussi longtemps. Elle escalada les escaliers avec difficulté. Elle était épuisée, comme si elle n'avait cessé de courir depuis le matin. Que lui arrivait-il ? Elle poussa la porte de la chambre d'ami. Justin était encore allongé. En lui parlant d'une voix entrecoupée d'essoufflements, elle s'approcha du lit et secoua légèrement son corps. Il remua, elle crut qu'il allait se lever, mais au lieu de cela, il bascula mollement vers elle. Les yeux de Christine s'écarquillèrent lorsqu'elle vit le sang qui maculait les draps et le corps de Justin. Effrayée, elle glissa du lit et sa tête heurta le sol. Elle se redressa en grimaçant et alors, seulement, elle aperçut les tâches qui empourpraient la serviette en éponge qui entourait son corps. Christine se plaqua contre un mur, pâle, effarée, égarée, aussi, elle tenta de remettre de l'ordre dans son esprit, mais l'horreur la figeait. Elle entendit les sirènes, les portes claquer, s'ouvrir, des pas dans l'escalier, puis des hommes pénétrèrent dans la chambre d'amis. Des ambulanciers, des agents de police et un homme en civil qu'elle eut peine à reconnaître. C'était le Docteur Carlier. Quand il la vit, il s'élança vers elle pour la calmer et elle se mit à sangloter. Deux agents de police l'entourèrent ensuite et l'un deux lui attacha les poignets avec des menottes. Horrifiée, elle s'exclama alors : " Docteur, ce n'est pas moi ! Je n'ai rien fait !
- Christine, vous m'avez appelé vous-même il y a quelques minutes à peine.
- Mais ce n'était pas moi ! C'était... C'était Eloïse !
- Christine, vous êtes Eloïse. "

 
 
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