Alice VANDENBUSSCHE , lauréate du concours, remporte un voyage au QUEBEC

Alice Vandenbussche, élève de 6e Générale, est lauréate d’un concours international d’écriture et remporte un voyage culturel d’une semaine au Québec (Canada).

Elle s’est illustrée dans le concours le plus important de toute la francophonie à destination des lycéens puisqu’il comptait cette année plus de 6000 participants.

Ecrite dans le cadre du cours de français, cette nouvelle, une correspondance fictive, vous est proposée ci-dessous.

 
 
    Le texte (Le texte en format PDF)


Le 6 mars 1965

Nina Charnez

Rue Mihàly Péchy

Debrecen, Hongrie.

Chers vous tous,

Je ne voudrais vous adresser qu'une seule requête. Répondez-moi.

C'est tout ce que je vous demande. J'aimerais tellement échanger des idées.

Je vous remercie.

Nina.

Le 20 avril 1965

Benjamin Guissard

Rue Haute

Breuvanne, Belgique.

Chère Nina,

J'espère vous faire plaisir en vous écrivant. En tout cas, c'est mon but.

Qu'attendez-vous de moi au juste ? Que je vous parle de mes goûts, de mes amis, de ma région, de moi, tout simplement ?

Je vais toujours me présenter, je vous en prie, faites de même.

Comme vous l'aurez certainement constaté, mon nom est Benjamin. Je vais bientôt avoir dix-neuf ans. Je m'intéresse un peu à tout et m'investis à fond dans ce que je fais. Je suis un battant. C'est du moins ce que l'on dit de moi.

J'étudie encore, je suis à l'école à Liège, au Conservatoire, vous savez, on y étude la musique, son histoire, les grands compositeurs,… Connaissez-vous les œuvres de Bach, Schumann, Beethoven ? Mon compositeur préféré est Mozart, c'est un génie.

Mais assez parlé de moi. Je pose ma plume et espère recevoir de vos nouvelles rapidement.

Bien à vous.

Benjamin.

Le 26 juin 1965

Nina Charnez

Rue Mihàly Péchy

Debrecen, Hongrie.

Cher Benjamin,

Je voudrais d'abord vous remercier d'avoir pris la peine de me répondre.

Pour répondre à votre question, non, je ne connais ni le Conservatoire, ni Bach, Schumann ou encore Beethoven. Vous devez savoir que la Hongrie se trouve à l'Est du Rideau de Fer.

Une seule « culture » est autorisée, le communisme. Mais comme vous semblez intéressé par la musique, connaissez-vous Prokofiev, Rachmaninov, Chostakovitch ou Tchaïkovski ? Ce sont des compositeurs russes, ils sont extraordinaires.

Mais, comment arrivez-vous à vivre sans communisme ? Comment vous est-il possible de vivre dans un monde où seul l'argent compte ? Où on ne tient pas compte de la plus grande partie de la population, la classe ouvrière ?

En fait, là est la raison de ma lettre, je voudrais apprendre ce qu'est le capitalisme et comment vivent les libéraux. Ça peut vous paraître ridicule, mais chez nous, nous ne savons quasi rien de vous.

Et puis, parlez-moi de vous, de votre région, de votre culture.

Merci et à bientôt, j'espère.

Votre dévouée Nina.

Le 3 août 1965

Benjamin Guissard,

Rue Haute, Breuvanne,

Belgique.

Chère Nina,

J'espère que vous ne verrez pas d'objection à ce que je vous tutoie, je trouve ça tellement plus chaleureux.

En effet, je connais les grands compositeurs russes, mais je trouve ça tellement dommage que tu ne connaisses pas d'autres compositeurs, la diversité est une chose très enrichissante. Je pense que c'est une des choses qui nous permettent de vivre.

Tu me demandes également de te parler de politique. Chez nous, il n'existe pas qu'un seul parti obligatoire, nous pouvons et devons, en tout cas en Belgique, aller voter dès l'âge de dix-huit ans et nous choisissons ainsi notre gouvernement, en partie du moins. Comme ça, les désirs de chacun sont exaucés. Le régime belge est basé sur le principe de la démocratie constitutionnelle. Nous avons aussi un Roi, une Reine et tout ce qui va avec, mais ils n'ont aucun pouvoir. J'espère répondre ainsi à tes questions. Il est vrai qu'elles pourraient me paraître « louches », comme on dit, mais je peux te comprendre.

Mais, si tu le veux, bien sûr, tu pourrais passer le mur de Berlin (serait-ce de là que vient l'expression « faire le mur » !?!) et venir voir comment ça se passe chez nous. Je pourrais même t'héberger et te servir de guide. Il y a tant de choses à voir chez nous, l'Atomium, la Grand-place de Bruxelles, les Hautes Fagnes, c'est la région la plus sauvage de Belgique et puis, il y a la Gaume, ma belle région. Je te parlerai de tout ça une autre fois. Et à ton tour de me parler de ton chez toi.

J'attends de tes nouvelles.

Benjamin

Le 5 septembre 1965

Nina Charnez

Rue Mihàly Péchy

Debrecen, Hongrie.

Cher Benjamin,

Le tutoiement étant adopté à l'unanimité, je te remercie pour ta longue lettre.

Ta proposition d'hébergement m'a d'emblée plu, c'est pourquoi je me suis rendue à la maison communale afin de savoir ce qu'il fallait faire pour passer le Rideau de Fer. Je m'attendais à une longue et ennuyeuse procédure et à devoir remplir des mètres cubes de paperasse, aussi quel ne fut pas mon étonnement quand, après m'avoir demandé mon nom, ma date de naissance et mon adresse, la personne chargée de ce service m'a dit de revenir dans un mois. Je dois y aller la semaine prochaine, il ne nous reste plus qu'à fixer une date et je viens « à la découverte » de l'Ouest.

Pour répondre à ta demande, la Hongrie n'est pas très grande, mais j'ai regardé dans l'atlas, elle l'est quand même plus que la Belgique. Vous vivez dans un pays minuscule !

Pour la petite histoire, jusqu'il y a une soixantaine d'années, la Hongrie et l'Autriche étaient groupées et formaient un vaste empire. Puis, après la Première Guerre mondiale, Autriche et Hongrie ont été réduites à une peau de chagrin. Maintenant, nous sommes sous « influence » russe. Mais nos coutumes ancestrales sont jalousement gardées et tiennent bon, heureusement d'ailleurs.

Connais-tu le lac Balaton ? Il est situé à une centaine de kilomètres de la ville de Veszprém. Et sais-tu que notre pays compte neuf parcs nationaux et six endroits classés patrimoines mondiaux ? Je présume que tu sais que la Hongrie est placée entre l'Autriche et la Russie ; Debrecen, ma ville natale est située côté russe. C'est une des plus grandes villes de Hongrie.

Savais-tu aussi que les idées de Jean Calvin étaient si bien accueillies que c'est à Debrecen qu'est née l'Église protestante hongroise en mil cinq cent soixante-sept ?

Pour achever ce rapide tour d'horizon, je dirai que le climat est continental et, il faut malheureusement bien l'avouer, pluvieux.

C'est sur cette note de pluie que je te quitte. Je t'enverrai des nouvelles la semaine prochaine pour te dire quand je peux venir.

À très bientôt.

Ta chère Nina.

Le 6 octobre 1965

Benjamin Guissard

Rue Haute

Breuvanne, Belgique.

Chère Nina,

J'ai bien reçu tes deux lettres et suis très content de pouvoir te servir de guide. Tu me demandais si tu pouvais venir le vingt-sept octobre… il n'y a pas de problèmes, je prendrai congé cette semaine-là.

Comme tu comptes venir en avion, puis en train, voilà ce que je te propose. Tu prends l'avion jusqu'à l'aéroport de Bruxelles. De là, prends le train jusqu'à la gare du Midi, je t'attendrai près des escaliers. On ira alors visiter Bruxelles, puis on prendra le train pour aller chez moi. Prends de quoi lire, il faut compter au moins trois heures pour arriver jusqu'à la gare de Marbehan.

Je t'attends donc le vingt-sept octobre à midi vingt à Bruxelles. Je te souhaite d'ores et déjà un bon voyage.

Benjamin.

Le 28 octobre 1965

Benjamin Guissard

Rue Haute

Breuvanne, Belgique.

Nina,

Tu me déçois énormément ! J'ai pris toutes les dispositions nécessaires pour rendre ton voyage agréable, et j'ai eu beau attendre deux heures en gare du Midi, tu n'es pas venue.

Moi qui voulais te faire tout visiter : Bruxelles, ma province, Torgny, qui est le plus beau village que je connaisse,… Moi qui avais prévu plusieurs excusions, qui voulais te faire visiter les plus beaux coins de la Gaume, je m'étais même arrangé pour pouvoir aller à la fête de la patate à Florenville, moi qui… Rhaa, dans ma colère, je ne trouve plus les mots.

Moi qui nous croyais semblables, je me rends compte que toi et moi sommes pour ainsi dire aux antipodes !

Adieu.

Le 25 octobre 1965

Nina Charnez

Pénitencier de Sàrvàr

Hongrie.

Cher Benjamin,

J'espère que ma lettre arrivera à temps, mais j'en doute très fort, la poste est si lente. Je suis vraiment désolée de tous les désagréments que je pourrai te causer. Je ne saurai pas venir, tu as, j'en suis sûre, compris pourquoi…

J'aurais dû me douter de quelque chose… tout était si simple ! Quand j'ai été pour chercher mes papiers afin de pouvoir passer à l'Ouest, j'ai été arrêtée. Je suis accusée de trahison et de conspiration contre l'Etat. J'ai été jugée la semaine passée et je n'ai même pas eu droit à un avocat ! Et forcément, le verdict fut « coupable ». Je ne sais pas encore quelle sera ma peine, mais j'ai bien peur de ne pas échapper à la pendaison, et le pire, c'est que je n'ai rien fait...

Mon cher Benjamin, merci de m'avoir écoutée, merci pour tout. Je voudrais juste te demander une dernière chose ; je sais que tu ne pourras rien faire pour moi, mais j'aimerais que tu racontes mon histoire partout autour de toi, que les gens se mobilisent pour que je sois la dernière victime de ce système corrompu.

Encore merci et adieu.

Nina.

Le 9 novembre 1965

Benjamin Guissard

Rue Haute

Breuvanne, Belgique.

À l'attention de Mlle Nina Charnez, cellule 324A

Ma très chère Nina,

J'espère que ma lettre te parviendra à temps. Je voulais avant tout m'excuser de tout ce que j'ai pu dire de mal de toi, même si tu ne l'as jamais su, mais surtout, je voulais m'excuser de t'avoir embarquée dans cette affaire, tout est de ma faute.

Je voulais aussi te remercier de tout ce que tu m'as apporté, de tout ce que tu m'as appris.

Je voulais aussi te dire que ton souhait sera exaucé, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que ta mort ne reste pas impunie.

Merci, du fond du cœur, merci.

Ton cher Benjamin.

Ce que Benjamin ne savait pas, c'est qu'il envoya sa lettre le jour de l'exécution de son amie Nina qui, disait-il, lui avait tant appris. Malheureusement, Nina ne fut pas la dernière victime du système, loin de là, même.

Ironie du sort ou pas, vingt-quatre ans exactement après la dernière lettre de Benjamin tombait le mur de Berlin, mettant ainsi fin à des années de terreur et réjouissant les cœurs de milliers d'Européens de l'Est. Et qui était aux premières lignes ? Notre ami Benjamin qui avait mené son combat jusqu'au bout. C'était un certain neuf novembre mil neuf cent quatre-vingt-neuf…

 

 
 
 
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