La
nature de ce travail ( Jazz, édition Tériade, 1947), qui rassemble des
planches colorées et des pages d'écriture, est rétrospectivement définie
par Matisse à la fin de l'ouvrage:
"Ces images aux timbres vifs et violents sont venues de
cristallisations de souvenirs du cirque, de contes populaires ou de voyages.
J'ai fait ces pages d'écriture pour apaiser les réactions simultanées de
mes improvisations chromatiques et rythmées, pages formant comme un
"fond sonore" qui les porte, les entoure et protège ainsi leurs
particularités".
Le
Clown et Le Lagon, placés respectivement en page de garde et à la fin de
l'ouvrage (Jazz comporte en tout vingt planches), relèvent en fait de deux étapes
différentes.
Le Clown, une des premières illustrations réalisées, peut-être même avant
que le projet ne soit véritablement fixé, est encore proche, par ses découpages
saccadés, de travaux antérieurs comme les Deux Danseurs (1), dont on
retrouve le motif du corps aérien, en suspension. Cette planche est sans
doute à l'origine du thème primitif du livre qui s'intitulait Le Cirque. En
effet, les nombreuses figures appartenant à cet univers, Monsieur Loyal
(Planche III), Le Cauchemar de l'éléphant blanc (Planche IV) ou encore
L'Avaleur de sabres (Planche XIII), devaient initialement en constituer la
teneur.
Mais, au fur et à mesure de l'avancement de ses travaux, Matisse voit
ressurgir les souvenirs de son voyage à Tahiti de 1930. Par exemple, il
introduit des formes végétales exotiques dans ses scènes de cirque, comme
dans Les Codomas (Planche XI) qui rend hommage à des trapézistes célèbres
au début du siècle. Le mouvement de la découpe est de plus en plus continu,
la lumière violente des feux de la rampe devient plus douce et diurne.
Les trois dernières planches, consacrées au thème du lagon, expliquent le
changement de titre de l'ouvrage au profit de Jazz qui ne décrit plus son
contenu thématique, mais évoque plutôt l'improvisation et la vitalité qui
ont présidé à son élaboration.
De plus, le mot "Jazz" est graphiquement intéressant pour Matisse
qui déclare en 1945 à Aragon: "Je sais maintenant ce que c'est qu'un
J". Car l'ouvrage contient aussi des textes qu'il rédige lui-même et
recopie au pinceau, noir sur blanc, la calligraphie contrebalançant les
planches colorées, constituant des sortes d'aphorismes "qu'on lira ou
qu'on ne lira pas -, mais qu'on verra… Comme une espèce d'emballage à mes
couleurs", selon le témoignage de l'artiste.
La
monographie du Centre Pompidou |