Ernest CHAUSSON

Paris, 20 janvier 1855 - Limay (Yvelines), 10 juin 1899

 

 

Poème de l'amour et de la mer

pour voix et orchestre (1882-1887, rév. 1893)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RENOIR "Jeunes filles au piano"

Ce tableau a été commandé par la direction des Beaux-Arts. Il existe plusieurs autres versions de l'oeuvre, dans la collection Walter-Guillaume (Musée de l'Orangerie), au Metropolitan Museum de New York et dans différentes collections particulières.

Le Poème de l'amour et de la mer op. 19 est une composition pour voix et orchestre écrite entre 1882 et 1892.

Il fait partie, avec sa Chanson perpétuelle des deux œuvres vocales orchestrales majeures du musicien. Il est dédié à Henri Duparc.  Sa gestation en a été particulièrement longue (près de 10 ans) et se termine le 13 juin 1892. Chausson en a détaché secondairement les quatre dernières strophes du second poème sous le titre le Temps des lilas.  La première a lieu le 21 février 1893 à Bruxelles

 

Immense voyage entre la nostalgie d'un amour perdu et la recherche d'un ailleurs plus apaisant, le Poème de l'amour et de la mer a été souvent accusé de trop s'abrité sous l'ombre de Wagner.  

 

Les vers sont dû à la plume du poète Maurice Bouchor.

 

La fleur des eaux

I
L'air est plein d'une odeur exquise de lilas
Qui, fleurissant du haut des murs jusqu'au bas,
Embaument les cheveux des femmes.
La mer au grand soleil va toute s'embraser,
Et sur le sable fin qu'elles viennent baiser
Roulent d'éblouissantes lames.

O ciel qui de ses yeux dois porter la couleur,
Brise qui vas chanter dans les lilas en fleur
Pour en sortir toute embaumée,
Ruisseaux qui mouillerez sa robe, o verts sentiers,
Vous qui tressaillerez sous ses chers petits pieds,
Faites-moi voir ma bien-aimée!

II
Et mon cœur s'est levé par ce matin d'été;
Car une belle enfant était sur le rivage,
Laissant errer sur moi des yeux pleins de clarté,
Et qui me souriait un air tendre et sauvage.

Toi que transfiguraient la jeunesse et l'amour,
Tu m'apparus alors comme l'âme des choses;
Mon cœur vola vers toi, tu le pris sans retour,
Et du ciel entr'ouvert pleuvaient sur nous roses.

III
Quel son lamentable et sauvage
Va sonner l'heure de l'adieu!
La mer roule sur le rivage,
Moqueuse, et se souciant peu
Que se soit l'heure de l'adieu.

Des oiseaux passent, l'aile ouverte,
Sur l'abîme presque joyeux;
Au grand soleil la mer est verte,
Et je saigne silencieux
En regardant briller les cieux.

Je saigne en regardant ma vie
Qui va s'éloigner sur les flots;
Mon âme unique m'est ravie
Et la sombre clameur des flots
Couvre le bruit de mes sanglots.

Qui sait si cette mer cruelle
La ramènera vers mon cœur?
Mes regards sont fixés sur elle,
La mer chante, et le vent moqueur
Raille l'angoisse de mon cœur.

La mort de l'amour

IV
Bientôt l'île bleue et joyeuse
Parmi les rocs m'apparaîtra:
L'île sur l'eau silencieuse
Comme un nénuphar flottera.

A travers la mer d'améthyste
Doucement glisse le bateau,
Et je serai joyeux et triste
De tant me souvenir _ bientôt!

V
Le vent roulait les feuilles mortes; mes pensées
Roulaient comme les feuilles mortes, dans la nuit.
Jamais si doucement au ciel noir n'avaient lui
Les milles roses d'or d'où tombent les rosées.

Une danse effrayante, et les feuilles froissées,
Et qui rendaient un son métalique, valsaient,
Semblaient gémir sous les étoiles, et disaient
L'inexprimable horreur des amours trépassées.

Les grands hêtres d'argent que la lune baisait
Étaient des spectres: moi, tout mon sang se glaçait
En voyant mon aimée étrangement sourir.

Comme des fronts de morts nos fronts avaient pâli,
Et, muet, me penchant vers elle, je pus lire
Ce mot fatal écrit dans ses grands yeux: l'oubli.

VI
Le temps des lilas et le temps des roses
Ne reviendra plus à ce printemps ci;
Le temps des lilas et le temps des roses
Est passé, le temps des œillets aussi.

Le vent a changé, les cieux sont moroses,
Et nous n'irons plus courir, et cueillir
Les lilas en fleur et les belles roses;
Le printemps est triste et ne peut fleurir.

Oh! joyeux et doux printemps de l'année
Qui vins, l'an passé, nous ensoleiller,
Notre fleur d'amour est si bien fanée,
Las! que ton baiser ne peut l'éveiller!

Et toi, que fais-tu? pas de fleurs écloses,
Point de gai soleil ni d'ombrages frais;
Le temps des lilas et le temps des roses
Avec notre amour est mort à jamais

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