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Voici un article sur le scénario et une série de liens.

Écriture de scénario et écriture de roman.

Jean-Benoît GABRIEL,

in Indications, la revue des romans,
Dossier Écriture de scénario, juin 2002.
indicationsjp@swing.be

Écrire un scénario, ce n'est pas faire de la littérature, nous dit-on. C'est pourtant un art et les scénaristes sont bien des auteurs. Un art éphémère, collectif, dépouillé, mais un art tout de même. Alors pourquoi s'obstine-t-on à rappeler que cela n'a rien à voir avec la littérature ? Qu'est-ce que la littérature ? Voilà la question? Si c'est "de belles phrases, de belles idées" (1), alors oui, bien sûr, le scénario n'est pas de la littérature. Ce n'est pas la littérature dont parle Verlaine, dans "tout le reste est littérature". Pour ma part, je pense que même si le scénario n'est pas destiné à être publié et lu -quoi que l'on voit de plus en plus de maisons d'éditions qui s'y intéressent - on n peut pas le réduire à une simple technique. Ce n'est peut-être pas de la "littérature", mais c'est certainement un art.

Du reste, il est vrai que le scénario n'a pas grand-chose à voir avec le roman, dans sa technique, tout au moins. Une technique et un art donc: c'est ce que ce petit dossier va s'appliquer à démontrer à travers quelques spécificités qui le caractérisent. Je me suis très largement inspiré des ouvrages cités en notes - que je vous recommande. Je ferai également allusion aux propos du scénariste Gilles Taurand, rencontré, à l'occasion de la Foire du Livre, en mars dernier, ainsi qu'à ceux du réalisateur Jean-Jacques Andrien qui est à la base de ma formation dans ce domaine. […]

Écrire pour

La première différence évidente entre un roman et un scénario est que ce dernier va servir à faire un film.

Cela signifie tout d'abord que le scénario n'existe pas pour lui-même Il n'est pas destiné à devenir un "objet littéraire fini". Je ne parle pas de la lecture d'un roman, toujours infinie. Je fais allusion à l'objet, sur lequel une fois qu'il est publié, personne ne peut plus intervenir pour changer quoi que ce soit. Le scénario, par contre, est toujours susceptible de changement. Le plus souvent déjà, il est écrit par plusieurs - j'y reviendrai. Mais il peut aussi être modifié par le producteur, pour des raisons de coût, par le réalisateur, au moment

du tournage, qui décide de profiter de quelque chose d'inattendu (le hérisson qui obéit au petit vieux qui l'invite à quitter la route, dans Le Signaleur de Benoît Mariage), ou pour une raison technique, par les comédiens qui proposent des modifications dans leurs répliques, etc.

Autrement dit, une des qualités nécessaires du scénariste doit être l'humilité. Il faut pouvoir accepter les transformations, ne pas être viscéralement lié à ses phrases comme à un bébé auquel personne ne peut toucher. Il est ridicule, disait Gilles Taurand, le scénariste qui s'infiltre pendant le tournage pour voir si on respecte bien son texte à la lettre. C'est une question de confiance, de travail d'équipe. Sans parler du fait que l'objet lui-même, la brochure, une fois le film monté, est abandonné sur une table, quand elle ne finit pas dans une poubelle.

"Écrire un scénario, c'est beaucoup plus qu'écrire. En tout cas, c'est écrire autrement; avec des regards et des silences, avec des mouvements et des immobilités, avec des ensembles incroyablement complexes d'images et de sons qui peuvent avoir mille rapports entre eux (...)".(2) Écrire un scénario, c'est écrire ce qu'on voit et ce qu'on entend. C'est montrer sans dire: cet aspect sera traité un peu plus loin. Mais c'est aussi écrire pour un réalisateur et des comédiens. C'est-à-dire écrire en leur laissant de la place, en laissant du jeu possible. Pour cela le scénariste doit savoir ce qu'est un comédien. Jean-Claude Carrière insiste: le tournage ne doit pas être qu'une mise en boite, il doit apporte "une flamme nouvelle, et nous avons tout préparé pour ça". Car, et c'est le paradoxe du scénario, il doit être extrêmement bien ficelé pour permettre une certaine liberté.

Pour écrire, le scénariste se fait son film dans sa tête, même s'il sait que cela ne correspondra bien évidemment pas au résultat final. Il imagine des intentions en écrivant les dialogues mais il n'aura aucun contact avec le comédiens: c'est le rôle du réalisateur. Il doit pouvoir s'effacer, accepter comme un romancier face au lecteur que le réalisateur choisisse une autre interprétation que celle qu'il avait pensée, que le comédien y mette sa personnalité. Ça peut paraître frustrant. Gilles Taurand répond que c'est plus souvent l'occasion de bonnes surprises. Aujourd'hui encore, revoyant Les roseaux sauvages, il est ému par le jeu d'Élodie Bouchez.

Écrire pour un film, c'est écrire en connaissant les techniques du cinéma. Il ne s'agit pas de faire un découpage technique, de choisir des plans: c'est aussi le rôle du réalisateur. Mais "(...) la connaissance du montage, comme celle de la lumière et du son, peut stimuler l'imagination, proposer une solution que les mots renonçaient à trouver (. . . )"(3) Faire un film, c'est mettre des images avec du son. Le scénariste ne doit pas oublier cela. Pas question de faire de la "littérature" donc. C'est-à-dire, si je comprends bien, pas de métaphores complexes que le réalisateur aura un mal fou à mettre en scène, pas de figures de style tarabiscotées. Pas de tralala, quoi. Mais un langage simple ne veut pas dire froid, rationnel et dépourvu d'émotion. Au contraire. […] un certain style n'est pas exclu. En effet, il peut aider le réalisateur, les comédiens et tous ceux qui travaillent sur le film (chef opérateur, décorateur, costumière, constructeur...) à comprendre l'ambiance le ton. De même, s'il doit connaît les techniques et tous les métiers du cinéma, le scénariste doit aussi penser au budget quand il écrit. Le cinéma, ça peut coûter très cher, trop cher parfois. Par exemple, le simple mot "aube" coûte très cher en terme de production car il signifie que toute l'équipe doit se préparer pendant la nuit et qu'une foi prête, elle ne doit pas rater ce très bref instant du jour qui se lève. C'est pourquoi Jean-Claude Carrière, encore lui, rappelle que le scénariste "ne travaille pas dans le vide. Il travaille dans un but concret, bien défini: I'existence d'un nouveau film. Tout est là: passer du virtuel au réel. De ce qui est possible à ce qui est. Autant savoir comment on s'y prend, et ne pas écrire l'impossible".(4)

Une écriture à deux mains

Le plus souvent, un film s'écrit à plusieurs. Cela tient à différentes raisons qui relèvent de la cuisine interne de chaque collaboration. Mais je pense qu'on peut trouver des raisons communes: un film doit être efficace dans sa dynamique et le travail à deux permet de se stimuler dans la recherche des meilleures pistes de l'histoire ou de la narration de celle-ci. Le travail d'écriture est ainsi souvent précédé, accompagné ou suivi de longues discussions. De même, les dialogues, doivent "fonctionner". A deux, on peut plus facilement prendre du recul, les tester, etc. A deux, on peut aussi se laisser embarquer dans des associations d'idées délirantes qui peuvent se révéler pertinentes et qu'on n'aurait peut-être pas envisagées seul. Car si rien n'est laissé au hasard, dans un scénario, il faut aussi ménager des moments de respiration, où tout n'est pas "fonctionnel", comme dans certains films américains où l'on sait que chaque détail va servir l'histoire d'une manière ou d'une autre, à tel point que l'on n'est plus vraiment surpris par rien. Alors que le détail "gratuit" peut aussi faire l'originalité d'un film. Je pense au poème du pigeon, dans C'est arrivé près de chez vous, qui est resté dans beaucoup de mémoires.

On écrit souvent à deux, mais aussi à trois ou à quatre... Dans les films américains, par exemple, il y a toute une série de scénaristes qui se succèdent bien souvent, sans même entrer en contact les uns avec les autres, ni figurer au générique final -mais ici, il ne s'agit plus d'une véritable collaboration. Le cas le plus fréquent est celui de l'association d'un réalisateur et d'un scénariste. Gilles Taurand, par exemple, a écrit tous ses scénarios en collaboration avec les réalisateurs. Il part toujours du désir d'un réalisateur et écrit une première version seul, pour la reprendre ensuite avec celui-ci. Pour lui, "écrire, c'est accompagner les doutes d'un réalisateur".(5) Jean-Jacques Andrien, réalisateur, écrit d'abord un texte de deux, trois cents pages, avant de faire appel à son dialoguiste attitré, l'écrivain Franck Venaille. […]

Montrer sans dire

Écrire pour des images et du son c'est écrire pour montrer les choses, les faire entendre, pas pour les dire. C'est une autre grande différence entre le scénario et le roman. La grande difficulté, mais la grande beauté aussi, du scénario. "(. . . ) rien n'est plus facile que d'écrire dans un roman le lendemain matin. Rien n'est plus difficile dans un film que de montrer que nous sommes le lendemain, et que c'est le matin". Il en va de même pour les personnages. Nous devons comprendre qui ils sont par leurs actions, leurs réactions face aux petits événements qu'ils affrontent au cours du film, pas par ce qu'ils pourraient dire d'eux-mêmes. Dans un roman, on peut dire beaucoup de choses sur un personnage sans que ça ne paraisse lourd: son passé, son but, ses pensées, ses désirs, etc. Rien de tout ça dans le cinéma. Dan un roman, explique Michel Chion, on peut dire "X, époux de Y, projetait de tuer l'amant de sa femme" alors que dans un scénario, on ne peut pas faire dire à X: "Moi, époux de Y, je veux tuer son amant".(6) On peut montrer un personnage qui pense, mais on ne saura jamais exactement à quoi il pense. C'est aussi une force du cinéma. Le point de vue de la caméra, qui n'est pas omniscient, permet de garder du mystère. Pour Gilles Taurand "l'écriture ne doit pas faire le tour d'un personnage. On doit laisser la place au spectateur. Il doit pouvoir encore penser au personnage après le film". (7)

Les actions sont plus importantes que les paroles. On retient ce qu'on voit, moins ce qu'on entend. C'est pourquoi un son off (lorsqu'on ne voit pas celui qui parle) est à utiliser avec parcimonie. Et je ne parle pas ici d'une narration en voix-off souvent insupportable. Oui, je sais, Amélie Poulain..., mais c'est un film un peu littéraire. D'ailleurs, adapter un roman en gardant un voix-off, c'est un peu garder un style littéraire. Hitchcock, cité par Michel Chion,(8) va plus loin : "Lorsqu'on raconte une histoire a cinéma on ne devrait recourir au dialogue que lorsqu'il est impossible de faire autrement". Même les dialogues sont parfois de trop. Les pires sont ceux qui sont formulés comme des questions et des réponses où les personnages disent ce qu'ils ressentent, explique Gilles Taurand. Un petit chapitre sur la question s'impose.

L'art du dialogue

En quoi le dialogue d'un scénario est-il différent de celui d'un roman? Tout d'abord, pour une première raison évoquée ci-dessus: le dialogue accompagne des images et des sons qui disent déjà énormément de choses. Or que peuvent se dire les personnages sans que ce soit explicatif ou simplement redondant, par rapport à tout ce que disent déjà l'image et le son ? Une autre raison est que les dialogues sont destinés à être dits par des comédiens: ils doivent avoir un potentiel de jeu. A ce propos, Michel Chion cite Nash et Oakey: "les mots qui sont faits pour être lus et ceux qui sont faits pour être dits ne doivent pas être choisis de la même façon"(9). D'autre part, la place qu'occupent les dialogues dans un film est beaucoup moins importante qu'on se l'imagine. Les silences, les regards en disent beaucoup plus et souvent mieux que les mots. A ce propos, je serais curieux de lire le scénario de L'humanité de Bruno Dumont ou de Rosetta des frères Dardenne.

Comment transcrire le naturel de la conversation ? Si les auteurs s'inspirent des conversations réelles, ils retravaillent toujours leurs répliques: il faut artificiellement recréer le naturel, sans qu'on sente tout le travail en amont. Dans une conversation naturelle, il y a du non-dit, des silences, des hésitations, des répétitions, des changements brusques de sujets, des mensonges... C'est tout un art. De plus, il y a ce que Yves Lavandier appelle les dialogues "paiements", ceux qui "ne prennent tout leur sens que dans leur contexte". (10) Un petit exemple ? L'auteur rappelle ce passage de La chèvre où Perrin (Pierre Richard) tire par accident dans le mollet de Campana (Gérard Depardieu) qui en a déjà vu de toutes les couleurs. Ce dernier soupire et dit: "J'avais une vie un peu plate avant de vous rencontrer, Perrin". (11)

Le contexte, même s'il joue aussi un rôle dans le roman, est quelque- chose de typiquement cinématographique. Une fois que le conflit est posé -car, faut-il le rappeler, toute écriture dramatique implique un conflit -, alors tout prend du sens: actions et dialogues. Et Michel Chion de citer Paul Schrader: "Une fois que vous avez mis les personnages qu'il faut dans une situation intéressante, tout ce qu'ils disent devient intéressant". Et Chion précise: "le bon dialogue pourra être un échange de phrases très banal (Tu as du café ? Comme il fait beau!), que la situation chargera de sens, d'émotion, et de sous-entendus".(12)

Le temps

Il y aurait encore beaucoup d'autres points à aborder si cet article avait la prétention de passer en revue toutes les différences entre le scénario et le roman: je pense à la question du point de vue, notamment, […]. Cependant, je ne voudrais pas terminer sans évoquer la question du temps, dans tous les sens du terme. En effet, dans un scénario, on écrit ce qui se passe au moment où ça se passe. Autrement dit, on ne dispose que de l'indicatif présent. On est dans l'instant présent. Oui, il y a parfois des flash-back, mais eux aussi sont écrits au présent. Bien sûr, le temps qui passe à l'écran, n'est pas le temps réel, pas plus que dans un roman. Pourtant, on fait tout pour que cela paraisse réel. Le temps qui passe doit être présent dans le film. C'est à ça que sert l'alternance jour / nuit. La convention veut que, quand on écrit un scénario, on décrive longuement les actions longues et brièvement le actions brèves, en comptant qu'une page correspond à un peu moins d'une minute.

Un film dure souvent 1 h 30. C'est, parait-il, le seuil au-delà duquel l'attention commence à faiblir. Cela signifie qu'on a moins de temps que dans un roman. On doit donc être concis. Et clair, car, contraire ment à un roman, où l'on peut revenir en arrière quand on a été distrait, au cinéma, pas de retour possible. Donc si Pierre Bost, cité par Antoine Cucca et Paola Foti, comparant le scénario à la nouvelle, dit qu'il "faut (...) s'empêcher de déborder et savoir sans cesse se restreindre" (13), on doit ajouter qu'il faut, en plus, répéter les informations essentielles pour être sûr qu'elles soient bien intégrées par le spectateur.

Et la littérature ?

Si le scénario n'est pas de la littérature -ce dont je doute -, certains romans ont bien un style cinématographique C'est peut-être ce qui pousse des réalisateurs à se lancer dans l'adaptation. […] j'aimerais terminer en citant un grand romancier belge, André Baillon qui, déjà en 1920, disait, à propos du roman (j'insiste): "Un homme reçoit une bonne nouvelle. Vous écrirez: il est content. Je veux bien le croire, mais je ne le vois pas. Vous précisez il empoigne à la taille un chaise et se met à danser A la bonne heure! Je le vois, mon esprit joyeux danse avec lui". (14) Et pourtant, il n'est pas question de cinéma, mais bien de littérature.

 
1 Jean-Claude Carrière et Pascal Bonitzer, Exercice du scénario, La fémis, 1990, p. 39.
2 Jean-Claude Carrière, Idem, p.13.
3 Idem.
4 idem, p. 27.
5 Propos recueillis au FIFF (festival international du film francophone de Namur), 2001.
6 Michel Chion, Écrire un scénario, Cahiers du cinéma, 1998, p. 191.
7 Gilles Taurand, idem.
8 Michel Chion, idem, p.86.
9 Michel Chion, idem, p.85.
10 Yves Lavandier, La dramaturgie, Le clown et l'enfant, 1997, p 338.
11 Idem, p.339.
12 Michel Chion, idem, p.86.
13 Antoine Cucca et Paola Foti, L'écriture du scénario, Dujarric, 2001, p.13.
14 André Baillon, in Textyles, revue des lettres belges de langue française, Textyles-éditions, 1989, p. 142.

Petite bibliographie:

Jean-Claude Carrière et Pascal Bonitzer, Exercice du scénario, éd. La fémis, 1990.

Michel Chion, Écrire un scénario, éd. Cahiers du cinéma, 1998, 223 pages

Antoine Cucca et Paola Foti, L'écriture du scénario, éd. Dujarric, 2001, 190 pages

Yves Lavandier, La dramaturgie, éd. Le clown et l'enfant, 1997, 534 pages

Maisons d'édition qui publient des scénarios:

La Petite Bibliothèque, coll. des Cahiers du Cinéma.

Scénars, coll. des éditions Zéro Heure et Arte.

L'avant-scène Cinéma.

Et parfois: Folio, 10/18 et Pocket.

Je vous recommande également la revue Synopsis, née il y a quatre ans et qui est consacrée essentiellement à l'écriture de scénario.

Quelques sites consacrés au scénario :

Un site vraiment très complet : contrechamp

Une association de scénaristes

Synopsis : le magazine du scénario

Mise à jour 19 septembre 2002