un exemple

Voici une pièce créée par une adolescente, Lydie De Backer

Ce texte a reçu le deuxième prix du concours "Une scène pour la Démocratie 1999 - Jeunes auteurs 15/20"

Changer le monde

Un homme attend, anxieux. Un autre arrive, le sourire aux lèvres. Jonas entre, se rend compte de la présence des deux hommes, recule et se terre dans un coin, discrètement.

Premier homme: Alors ?
Deuxième homme: Et bien... toutes mes félicitations, monsieur le Premier Ministre !
Premier homme: Ça a fonctionné ?
Deuxième homme: Soixante-huit pour cent des voix. Ce résultat vous convient ?
Premier homme: C'est peut-être un peu beaucoup, non ?
Deuxième homme: Juste ce qui fait l'affaire: assez pour affirmer que vous êtes aimé, trop peu pour croire à une supercherie.
Premier homme: Et mon... "VRAI" résultat ?
Deuxième homme: Onze pour cent.
Premier homme: Onze pour cent ?! Seulement ! Alors, c'est peu crédible. Si quelqu'un.... ?
Deuxième homme: No stress, soyez sans crainte ! Les gens ont bien trop à faire en ce moment avec leur propre vie pour s'occuper de celle des autres. Venez; allons fêter votre victoire...

(Les deux hommes s'éloignent. Jonas reste seul, renversé, sous le choc de ce qu'il vient d'entendre. n reprend peu à peu ses esprits, se lève, s'avance vers le public et se met à le haranguer, comme une foule sur une place publique)

Jonas: La démocratie n'est qu'illusion ! L'État profite de nous ! Réagissons ! ... Et si on cessait d'être des moutons, de suivre le rang et de nous faire commander par des bergers ? ... Et si on retournait la pyramide qui dirige notre société ? Peu de personnes au pouvoir, le peuple subit ! ... Et si on inversait les rôles ? Nous qui nous faisons mener, menons ! Ne nous laissons plus manipuler ! Car vous savez quoi ? Les élections ont été trafiquées au profit de notre "cher" nouveau Premier Ministre ! Je me sens atteint et touché personnellement ! Et vous ? ... Aujourd'hui, même l'un des derniers signes de l'égalité entre tous, même ce droit démocratique à choisir ses représentants, la base de notre société, ils l'ont falsifié ! Moi, ça me révolte ! Et vous ? ...

(Les deux hommes, alarmés par les cris, sont revenus sur leurs pas. Ils font taire Jonas et l'embarquent avec eux. Noir)

*

Jonas est enfermé dans une cellule, il regarde vers l'extérieur. Un vieil homme se trouve derrière lui.

Jonas: Je ne comprends pas... Pourquoi m'ont-ils enfermé ici '?
Le vieil homme: Vous avez dû faire une connerie. Comme moi.
Jonas: Un connerie ? Dire à haute voix ce que chacun pense tout bas ? Pourquoi une démocratie empêcherait-elle la libre expression de ses citoyens ?
Le vieil homme: Tout est relatif; dénoncer n'est pas s'exprimer...
Jonas: C'est ça, continuons à jouer aux trois petits singes: je ne vois rien, je n'entends rien, je ne dis rien !
Le vieil homme: Notre société est individualiste.
Jonas :

(se tournant vers le vieillard):

Et vous êtes d'accord avec ça ?

(Une jeune fille dans une sorte d'uniforme entre dans la pièce: elle apporte les repas. Son regard croise celui de Jonas, s'accroche)

Jonas: Bonjour...
La jeune fille: Bonjour.
Jonas: Je m'appelle Jonas.
La jeune fille: Moi, c'est Lily.

(Elle s'en va, s'arrête avant de sortir et regarde encore Jonas)

Jonas: Qu'est-ce qu'il y a ?
Lily: Je ne sais pas. Votre regard sans doute. Il est... plein de...

(Elle sort)

Le vieil homme: C'est l'espoir qu'elle lit dans vos yeux.
Jonas: L'espoir ? ... Pourquoi êtes-vous là ?
Le vieil homme: J'ai l'impression qu'elle ressent de la compassion pour vous, mais qu'elle n'ose pas... Osera-t-elle ? Faut-il l'espérer ?
Jonas: Vous êtes ici depuis quand ?
Le vieil homme: Bizarre quand même, le personnel, non ?
Jonas: Vous en avez encore pour longtemps ?
Le vieil homme: Et vous ? Vous en avez encore pour longtemps à me poser des questions ?

(Lily entre, elle reprend la vaisselle. Jonas saisit son poignet)

Jonas: Pourquoi travailler dans une prison ? ... Comment pouvez-vous vivre de l'enfermement des autres ?
Lily

(troublée):

Bonne nuit.

(La lumière diminue. Le vieil homme s'endort. Jonas s'adosse à la grille de sa cellule)

*

Derrière lui, la silhouette de Lily apparaît, comme une ombre incertaine.

Jonas: Je voudrais partir... m'envoler, retrouver ma liberté. C'est si important, la liberté. Un des premiers cadeaux de la vie

(Il se tourne vers I'ombre de Lily)

Comment peux-tu vivre de l'enfermement des autres ? Dans ce pays, plus personne ne peut s'exprimer librement, ne peut circuler librement... Comment peux-tu, toi, être leur complice ? ... I1 te faut bien vivre, c'est ça ? ... Fermer les yeux et gagner ton pain quotidien sur le dos de ceux qui se révoltent, c'est ça ? ... Écoute-moi, Lily. Je suis un être humain au même titre que ceux qui sont riches ou qui ont le pouvoir. Ils m'ont presque tout pris... Mais je possède un bien précieux qu'ils n'ont pas pu me prendre: un rêve fou ! ... Je rêve de parcourir le monde en annonçant à tous que la vie est belle, que vivre est merveilleux. Je veux bannir l'égoïsme, la violence, l'indifférence. Je veux faire renaître la solidarité, la paix, l'amour. Je veux que tout le monde puisse se réveiller un matin en respirant un air pur, en regardant des fleurs et des arbres s'épanouir au soleil ou sous la pluie...

(Lily sourit dans l'ombre et s'en va. Jonas se couche, s'endort. Noir)

*

Le matin, très tôt. Lily entre, secoue Jonas. Elle a quitté son uniforme. Le vieil homme les observe.

Lily: Viens, on s'en va !
Jonas: Quoi ?
Lily: On part tous les deux. Vite !
Jonas: Où ça ?
Lily: Tu ne veux donc plus parcourir le monde en annonçant à tous que la vie est belle ?
Jonas: ...
Le vieil homme

(un peu moqueur):

Et que vivre est merveilleux ?
Jonas: Oui, mais...
Lily: N'est-ce pas toi qui veux bannir l'égoïsme, la violence, l'indifférence ? ... Alors moi aussi, je veux vivre la solidarité, la paix, l'amour. Moi aussi, je veux me réveiller un matin en respirant un air pur...
Le vieil homme

(sur le même ton): ..en regardant des fleurs et des arbres s'épanouir au soleil ou sous la pluie.

Lily: (impatiente): On DOIT changer le monde, Jonas.
Jonas: Hélas, la vie n'est pas un rêve.
Lily: Alors faisons du rêve notre vie !
Jonas : (se levant): Ce sera difficile...
Lily: Je sais... mais faire semblant de fermer les yeux sur ce qui se passe l'est tout autant. Alors partons.
Jonas: Oui, partons...

(Au vieil homme)

Tu viens avec nous ?
Le vieil homme: Je suis trop vieux pour changer le monde. moi sont morts sous les coups de bottes, là-bas, il y a longtemps. Mais vous voir partir réveille au fond de moi une petite lueur que je croyais à jamais éteinte. Je crois que vous réussirez...
Lily: Tu viens ?
Jonas: Je viens.

(Ils sortent. Le vieil homme les regarde un instant, soupire et hausse les épaules, puis se recouche en souriant)

Née à Charleroi (Belgique) en 1982, étudiante, Lydie De Backer participe à un atelier théâtral depuis plusieurs années. Elle est passionnée par l'écriture et a déjà été primée en 1997 lors d'un concours de nouvelles organisé dans le cadre de "La fureur de Lire".