Voici une analyse de roman

Le mystère de la « Morte ».

La mort d’un être cher… Quoi de plus dramatique au monde?La mort n’échappe à personne et quoiqu’il arrive, elle provoque la plupart du temps une grande tristesse dans notre entourage. Mais il y a certaines personnes à qui nous tenons plus que d’autres dont nous ne voulons absolument pas la disparition. Durant toute notre existence, nous vivons pour et à travers les personnes que nous aimons, nous leur attribuons tout notre amour, nous sommes heureux grâce à ce qu’elles nous apportent mais lorsque celles-ci viennent à mourir, que se passe-t-il réellement ?

Souvent, un grand désespoir se fait ressentir et l’envie de vivre n’est plus présente. Si nous avons perdu un être qui était important à nos yeux, nous nous sentons perdus, seuls, abandonnés. A quoi bon vivre encore ? Mais la vie doit reprendre son cours malgré tout et il faut alors se reconstruire petit à petit.

Parfois, une ville peut être préférée à une autre pour un veuvage et c’est notamment le cas du personnage Hugues Viane issu du roman Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach. Cette histoire est celle d’un homme perdu, désespéré suite à la mort de sa chère et tendre femme qui décide de s’installer à Bruges qu’il trouve particulièrement appropriée à son deuil.

Je vous propose ci-dessous l’analyse de ce roman en commençant par les rééditions du roman, quelques notes sur l’édition analysée et les raisons pour lesquelles Rodenbach a écrit cette œuvre. Ensuite, j’aborderai le contexte historique et vous proposerai un résumé de l’histoire. J’analyserai par la suite, les quatre grandes parties de l’histoire : l’intrigue, les personnages, la représentation de l’espace et la représentation du temps. Mais je parlerai également de l’auteur, du narrateur et du système des valeurs. Pour terminer, je vous ferai part de mon avis personnel sur le roman et je le mettrai en relation avec mes lectures précédentes.

Un roman réédité.

Bruges-la-Morte est publié pour la première fois, du 4 au 14 février 1892, dans Le Figaro, sous forme de feuilleton. Le livre sera ensuite mis en vente 4 mois après . Ce roman sera régulièrement réédité notamment par Flammarion, Labor, Slatkine…

La Bibliothèque royale de Bruxelles possède actuellement un manuscrit de Bruges-la-Morte qui correspond, pour l’essentiel, à la version pré-originale du roman publiée dans Le Figaro. (présentation pp. 7-46) Mais qu’en est-il de l’édition analysée ?L’édition dont je me suis servie pour analyser ce récit est la suivante :

RODENBACH G., Bruges-la-Morte, France, GF Flammarion, 1998.
Jean-Pierre Bertrand et Daniel Grojnowski nous y proposent une présentation, plusieurs notes, une bibliographie et des archives de l’œuvre.
La couverture est une illustration d’Anne-Marie Adda.

Il s’agit d’un texte intégral sur un support hybride. En effet, le livre accorde une part considérable aux images photographiques, il y en a 35. Du fait que leur verso reste en blanc, elles occupent un tiers de la pagination totale et elles sont au nombre de plus ou moins trois par chapitre. Ces photographies, représentant les décors de Bruges (quais, rues désertes, vieilles demeures, canaux, béguinage, églises), sont intercalées entre les pages du récit et collaborent aux péripéties. (présentation pp. 7-46) Mais pourquoi Georges Rodenbach parle-t-il autant de la ville?

Un lecteur sous influence.

Les raisons pour lesquelles il a écrit son récit se trouvent clairement dans son Avertissement :

« […] nous avons voulu […] évoquer une Ville, la Ville comme un personnage essentiel, associé aux états d’âme, qui conseille, dissuade, détermine à agir. […] Voilà ce que nous avons souhaité de suggérer : la Ville orientant une action ; ses paysages urbains, […] liés à l’événement même du livre. C’est pourquoi il importe, puisque ces décors de Bruges collaborent aux péripéties, de les reproduire ici, […] afin que ceux qui nous liront subissent aussi la présence et l’influence de la Ville […] » (p. 49-50)

Ce roman, rédigé en 1892, a connu à sa parution un succès certain quoique modéré. (présentation pp. 7-46) Mais qu’en était t-il du point de vue historique en 1892 ?

Une année parsemée d’évènements.

L’année 1891 est marquée par le début du scandale Panama en France. C’est un grave scandale financier et politique (1891-1893) qui écarta momentanément du pouvoir certains hommes de gauche (Rouvier, Clémenceau) mais n’ébranla pas le régime républicain. (Le petit Larousse illustré)

En 1892, la Belgique est gouvernée par Léopold II (1865-1909) et un certain nombre de faits appartenant à cette époque vous sont présentés sur le document annexe « L’année 1892 ».

Avant de commencer réellement l’analyse de ce récit, un petit résumé de l’œuvre est préférable.

Une troublante ressemblance.

Hugues Viane est un homme désespéré depuis la disparition de sa femme il y a cinq ans. Il décide de se réfugier à Bruges qui correspond parfaitement à son deuil. Il erre dans la Ville jusqu’au jour où il croise une inconnue dont la silhouette, la démarche, le visage, ressemblent trait pour trait à sa femme morte.

Pendant une semaine, Hugues cherche désespérément à retrouver l’inconnue (Jane) et la retrouve finalement. Une relation s’ensuit mais à force de vouloir fusionner les deux femmes, leur ressemblance s’amoindrit.

Un jour, Jane souhaite voir la maison de Hugues et s'invite pour dîner chez lui. Lorsque Jane voit la tresse toujours conservée de la femme morte, elle la prend, riante et la met autour de son cou. Cela en est trop pour Hugues qui ose à peine toucher cette tresse lui-même. Il s’approche alors de Jane et avec un excès de colère, tire sur la tresse. Jane tombe, étranglée…

Pour cette histoire, comme toutes les histoires d’ailleurs, quatre parties sont fondamentales: l’intrigue, les personnages, la représentation du temps et la représentation de l’espace. Mais comment Georges Rodenbach s’y est-il pris pour les représenter? C’est ce que nous allons découvrir dans l’analyse de ces quatre parties.

Une intrigue passionnante.

Comme vous le savez tous, un récit est un enchaînement logique d’actions qui forment une intrigue. L’ensemble d’un récit se construit en trois temps ; la situation initiale, les transformations et la situation finale.

Dans la situation initiale de Bruges-la-Morte, le narrateur décrit la vie de Hugues Viane, ses habitudes.

« Hugues Viane se disposait à sortir, comme il en avait l’habitude quotidienne […] »(p.52)
« […] il se décida à son ordinaire promenade du crépuscule […] »(p.63)
« Hugues recommençait chaque soir le même itinéraire […] »(p.65)
« […] l’heure approchant où il rentrait d’habitude pour son repas du soir. »(p.73)

Il nous dévoile la mort de sa femme tant aimée il y a 5 ans dont il a récupéré la tresse de cheveux et qu’il conserve dans une boîte en verre.

« Voilà 5 ans qu’il vivait ainsi, depuis qu’il était venu se fixer à Bruges, au lendemain de la mort de sa femme. »(p.52)
« Sur le cadavre gisant, Hugues avait coupé cette gerbe, tressée en longue natte […] Et maintenant, depuis les cinq années déjà, la tresse conservée de la morte n’avait guère pâli, malgré le sel de tant de larmes. »
(p.53)
« Pour la voir sans cesse, dans le grand salon toujours le même, cette chevelure qui était encore Elle, il l’avait posée là sur le piano désormais muet […] Et, pour l’abriter des contaminations, […], il avait eu cette idée, […] de la mettre sous verre, écrin transparent, boîte de cristal où reposait la tresse nue qu’il allait chaque jour honorer. »
(p.61)

La situation initiale nous fait part également de son grand deuil. Il est devenu un homme désespéré suite à la mort de sa femme.

« […] inoccupé, solitaire […] » (p.52)
« Je suis le veuf ! […] Mot impair qui désigne bien l’être dépareillé. »
(p.52)
« Pour lui, la séparation avait été terrible […] »
(p.52)
« Mais le veuvage avait été pour lui un automne précoce. »
(p.65)
« […] il éprouva plus que jamais le désir d’avoir fini sa vie et l’impatience du tombeau. »
(p.70)
« […] le grand deuil dont il était vêtu éternellement […] »
(p.90)

On découvre que Hugues a choisi d’habiter Bruges pour sa tristesse et également car la ville lui ressemble en raison de son triste décor.

« […] il aimait […] chercher des analogies à son deuil dans de solitaires canaux et d’ecclésiastiques quartiers. » (p.545)
« Et comme Bruges aussi était triste en ces fins d’après-midi ! Il l’aimait ainsi ! C’est pour sa tristesse même qu’il l’avait choisie et y était venu vivre après le grand désastre. »
(p.66-67)
« A l’épouse morte devait correspondre une ville morte. Son grand deuil exigeait un tel décor. »
(p.67)
« Bruges était sa morte. Et sa morte était Bruges. Tout s’unifiant en une destinée pareille. C’était Bruges-la-Morte […] »
(p.69)

Mais, tout à coup, à la page 74, un déséquilibre se produit, l’action est alors réellement engagée pour ensuite laisser place aux transformations.

Hugues aperçoit une jeune femme ressemblant trait pour trait à la Morte. C’est un grand trouble pour lui, il n’y croit pas. Tout chez elle lui rappelle la morte : ses yeux de prunelle, ses cheveux, sa marche, sa taille, la spiritualité de l’être, etc.

« Tout à coup, […] Hugues […], éprouva un émoi subit en voyant une jeune femme arriver vers lui. […] A sa vue, il s’arrêta net, comme figé […] ce fut une secousse, une apparition. » (p.74)
« Et bien ! oui ! cette fois, il l’avait bien reconnue, et à toute évidence. »(p.77)
« Miracle presque effrayant d’une ressemblance qui allait jusqu’à l’identité. »(p.78)
« Ah ! comme elle ressemblait à la morte ! »(p.79)

On se rend compte que la situation initiale est nécessaire à comprendre qui est la « morte » et pourquoi Hugues habite Bruges. Cette situation annonce, le lieu, rappelle le passé, autrement dit, elle crée l’atmosphère, le décor.

Tout le récit sera ensuite centré sur l’inconnue que Hugues a aperçu, très ressemblante à la morte. Ce sont donc les transformations, qui sont présentées dans un ordre chronologique, pendant lesquelles plusieurs étapes importantes se déroulent.

Tout d’abord, Hugues cherche pendant une semaine à retrouver l’inconnue et découvre par la suite qu’elle est actrice et s’appelle Jane Scott. Il l’aborde.

« Une semaine s’écoula ainsi, d’attente toujours déçue. […] il la revit, tout de suite reconnue, […], elle lui apparut d’une ressemblance totale, absolue et vraiment effrayante. » (p.86)
« Hugues eut vite fait d’être renseigné sur elle. Il sut son nom : Jane Scott, qui figurait en vedette sur l’affiche […]" (p.101)

Un soir donc, induit à se rapprocher d’elle par le (p.78) charme douloureux de cette ressemblance, il l’aborda. »
Ensuite, il se rapproche de Jane et l’installe dans une maison qu’il loue pour elle. Une relation s’établit entre eux et il va la voir presque tous les jours.

« Hugues installa Jane dans une maison riante qu’il avait louée pour elle […] » (p.111)
« Depuis qu’elle s’était installée à Bruges, il venait la voir presque tous les jours, […] » (p.113)

Leur relation commence à s’ébruiter peu à peu dans la ville mais Hugues ne s’en préoccupe pas du tout et se sent beaucoup mieux à présent, il n’est plus triste.

« Quand la liaison du veuf avec la danseuse se fut ébruitée, il devint, sans le savoir, la fable de la ville. » (p.118)
« Comme, à présent, elles lui furent moins douloureuses, ces promenades au crépuscule ! » (p.122)
« La ville d’autrefois cette Bruges-la-Morte, dont il semblait aussi le veuf, ne l’effleurait plus qu’à peine d’un glacis de mélancolie ; et il marchait, consolé, […] » (p.125)
« Comme sa vie avait changé ! Il n’était plus triste. » (p.137)

Mais un jour, la folle idée lui vient de vêtir Jane d’une robe appartenant à la Morte. Et à partir ce moment, Hugues commence à trouver de moins en moins de ressemblance entre Jane et la Morte.

« Or, un jour, une envie étrange lui traversa l’esprit, qui aussitôt le hanta jusqu’à l’accomplissement : voir Jane avec une de ces robes, habillée comme la morte l’avait été. » (p.143)
« Hugues avait éprouvé une grande désillusion depuis le jour où il eut ce bizarre caprice de vêtir Jane d’une des robes surannées de la morte. Il avait dépassé le but. A force de vouloir fusionner les deux femmes, leur ressemblance s’était amoindrie. »(p.177)

Hugues va de moins en moins bien, son bonheur s’effondre et peu à peu, l’influence de la ville recommence à peser sur lui. Jane sort sans cesse, le trompe.

« Maintenant que Jane cessait de lui apparaître toute pareille à la morte, lui-même recommença d’être semblable à la ville. » (p.187)
« L’influence de la ville sur lui recommençait : […] » (p.188)
« Hugues souffrait ; de jour en jour les dissemblances s’accentuaient. » (p.215)
« Plus que jamais, il se sentait l’âme toute molle et désemparée […] » (p.217)
« De plus en plus, elle (Jane) multipliait ses sorties […] » (p.218)
« […] vie éparse, absences, sorties, va-et-vient d’éventail, […] » (p.221)
« Hugues n’était plus dupe ; il avait surpris des mensonges chez Jane, rejointoyé des indices […] détails sur les tromperies […] » (p.225)

Ce qui amène peu à peu à la situation finale.

Jane se rend chez Hugues et touche tout ce qui appartenait à la Morte alors que Hugues ne supporte pas qu’on y pose les mains. Mais Jane rigole, elle devient mauvaise, méchante. Elle saisit même la tresse et la place autour de son cou. Pour Hugues, Jane vient de dépasser les limites. Il tire sur la tresse et Jane meurt.

« Elle examinait, indiscrète… » (p.265)
« Et elle prit un des portraits […] » (p.266)
« Elle avait aperçu sur le piano le précieux coffret de verre et, pour continuer la bravade, soulevant le couvercle en retira, toute stupéfaite et amusée, la longue chevelure, la déroula, la secoua dans l’air. Hugues était devenu livide. C’était la profanation. » (p.267)
« Et farouche, hagard, il tira, serra autour du cou la tresse qui, tendue, était roide comme un câble. Jane ne riait plus ; elle avait poussé un petit cri […] Etranglée, elle tomba.
. . . . . . . . . . . . .
Elle était morte – pour n’avoir pas deviné le Mystère […] » (p.269)

Comme vous l’avez certainement remarqué, le héros de ce récit n’est autre que Hugues Viane. Mais il n’est pas le seul personnage de ce roman.

Personnages intrigants.

La morte, Jane Scott, Barbe la servante et également la Ville constituent les autres personnages de ce récit et créent l’illusion de la réalité tout comme Hugues.

Hugues Viane qui est, sans aucun doute, le personnage principal, a plutôt un rôle de patient c’est-à-dire que, la plupart du temps, il subit les actions.

Possédant un fond d’enfance religieuse (p. 72) il est aujourd’hui veuf, inoccupé, solitaire et passe toute la journée dans sa chambre. Il lit peu, il se perd dans ses souvenirs et possède un côté rêveur. (p. 52-72)

Comme nous le savons à présent, sa femme est disparue il y a cinq ans et il s’est donc installé à Bruges où sa maison s’aligne sur le quai du Rosaire. (p. 52)

Atteint de grandes douleurs morales, il exerce, chaque jour, des rituels de célébration de la morte (p. 58, 59, 60).

Dans le passé, il a connu le bonheur, il voyageait avec sa femme et ils menaient à deux une existence un peu cosmopolite, à Paris ou en pays étranger. (p.66)

Sa marche est indécise, un peu voûtée bien qu’il n’ait que 40 ans. Le veuvage a été pour lui un automne précoce. Il a les tempes dégarnies, les cheveux pleins de cendre grise, des yeux fanés qui regardent très loin, au-delà de la vie. (p.65)

Son existence est monotone (p. 66) et il a songé à se tuer sérieusement et longtemps. (p. 72) Hugues ne fréquente personne, il n’a noué de relations avec aucune famille et il vit seul. Chacun dans la ville sait qui il est et connaît son noble désespoir. (p.93)

La morte est un personnage secondaire. Remarquons qu’à aucun moment le narrateur nous cite son prénom.

Elle possédait un teint de fleur, des yeux de prunelle dilatée et des cheveux ondulés d’un jaune d’ambre, d’un or unique, qui lui couvraient tout le dos. (p.53)

Son visage ressemblait au visage d’Ophélie en allée (p.69 et voir p.277, 12.) et sa voix était d’un métal grave, comme d’argent avec un peu de bronze (p. 98)

Jane Scott est, elle aussi, un personnage secondaire.

En ce qui concerne son physique, elle a tout à fait la même apparence que la morte (p.78) et sa marche, sa taille, son rythme, l’expression de ses traits et même sa voix sont semblables à celle de la morte. (p. 98)

Elle est danseuse et figure en vedette sur l’affiche. Au début, elle réside à Lille, elle vient deux fois par semaine, avec la troupe dont elle fait partie, donner des représentations à Bruges. (p.99)

Elle est vêtue d’une toilette sobre et a un esprit réservé et doux. (p.99)

Elle a un flair d’aventurière (p.235) et à la fin du roman, on se rend compte qu’elle a pris un grand pouvoir sur Hugues. Elle pense à l’héritage qu’elle obtiendra quand il mourra. (p. 236)

On découvre, dans les chapitres XIII et XV, qu’elle n’est pas si gentille qu’on l’imaginait, qu’elle est même mauvaise.

Le dernier personnage est Barbe qui est un personnage comparse. Vous trouverez l’origine du mot « Barbe » à la page 276, point 8.
Barbe est une vieille servante flamande au service d’Hugues, un peu renfrognée, mais dévouée et soigneuse. Elle est peu communicative et a l’allure d’une sœur tourière avec sa robe noire et son bonnet de tulle blanc. D’une tyrannie innocente, elle possède des manies de vieille fille et de dévote et la volonté d’agir à sa guise. (p.62-63)

Elle se rend souvent au Béguinage voir son unique parente, qui est béguine et elle est elle-même religieuse.

« C’était une des meilleures, une des seules joies de Barbe d’aller au Béguinage. […] elle rêvait, pour ses très vieux jours, […] d’y venir elle-même prendre le voile et finir sa vie comme tant d’autres […] » (p.62-63)

Viane s’en est bien accommodé depuis qu’il est arrivé à Bruges et elle lui est devenue nécessaire. Il l’appréciait malgré ses quelques défauts car elle ne mettait pas de bruit ou de rires autour de la douleur d’Hugues. (p. 63)

Elle n’apparaît que dans les chapitres I, VII, VIII et XIV.

On peut également considérer la ville comme un personnage car une personnalité lui est attribuée tout au long de ce livre. Ce « personnage » intervient dans le récit pour provoquer une influence (puisque Hugues la subit), il est donc appelé « agent ».

« L’influence de la ville sur lui recommençait : […] » (p.188)
« Les villes surtout ont ainsi une personnalité, un esprit autonome, un caractère presque extériorisé qui correspond à la joie, à l’amour nouveau, au renoncement, au veuvage. Toute cité est un état d’âme, et d’y séjourner à peine, cet état d’âme se communique, se propage à nous en un fluide qui s’inocule et qu’on incorpore avec la nuance de l’air. Hugues avait senti, à l’origine, cette influence pâle et lénifiante de Bruges […] » (p.193)

Dans son Avertissement, Rodenbach nous le dit lui-même :

« Dans cette étude passionnelle, nous avons voulu aussi et principalement évoquer une Ville, la Ville comme un personnage essentiel, associé aux états d’âme, qui conseille, dissuade, détermine à agir. Ainsi, dans la réalité, cette Bruges, qu’il nous a plu d’élire, apparaît presque humaine… Un ascendant s’établit d’elle sur ceux qui y séjournent.
[…] afin que ceux qui nous liront subissent aussi la présence et l’influence de la Ville […] » (p.49-50)

« Bruges est, comme il le dit lui-même, le principal personnage du livre, et rien n'explique mieux le roman et rien ne renseigne mieux sur le poète lui-même. » (p.111)
(Parole d’Emile Verhaeren en 1899, voir document annexe.)

Comme vous l’avez compris, le décor principal n’est autre que la ville de Bruges.

Une ville aux reflets mélancoliques.

L’espace dans lequel se déroule ce récit est sans aucun doute Bruges et nous pouvons remarquer que la ville exerce une influence considérable sur Hugues.

« L’influence de la ville sur lui recommençait […] » (p.188)

Vu que Bruges est une ville, il est évident qu’il s’agit d’un espace ouvert. L’auteur nous fait part de descriptions très minutieuses sur les monuments, les maisons, les rues, le son des cloches, etc.

« Car partout les façades, au long des rues, se nuancent à l’infini : les unes sont d’un badigeon vert pâle ou de briques fanées rejointoyées de blanc ; mais, tout à côté, d’autres sont noires, fusains sévères, […] Le chant des cloches aussi s’imaginerait plutôt noir ; or, ouaté, fondu dans l’espace, il arrive en une rumeur également grise qui traîne, ricoche, ondule sur l’eau des canaux. » (p.129-130)
« […] ces cloches permanentes- glas d’obit, de requiem, de trentaines ; sonneries de matines et de vêpres- tout le jour balançant leurs encensoirs noirs qu’on ne voyait pas […] » (p.198)

Parfois, l’auteur opère des descriptions statiques c'est-à-dire que l’observateur est immobile. Dans cet extrait, Hugues se situe dans son salon et il décrit tout ce qui le compose et qui a appartenu à la morte. Il est donc immobile.

« […] tel bibelot précieux, tels objets de la morte, un coussin, un écran qu’elle avait fait elle-même. Il semblait que ses doigts fussent partout dans ce mobilier intact et toujours pareil, sophas, divans, fauteuils où elle s’était assise […] Les rideaux gardaient les plis éternisés qu’elle leur avait donnés. […] des portraits à ses différents âges, éparpillés un peu partout, sur la cheminée, les guéridons, les murs […] » (p.58)

Mais le plus souvent dans ce roman ce sont des descriptions ambulatoires, autrement dit : l’observateur est en mouvement. Dans cet exemple, Hugues marche à travers les rues et l’auteur nous décrit ce qu’il voit.

o p. 198- 199 : « Dans les rues vides où de loin en loin, un réverbère vivote, quelques silhouettes rares s’espaçaient, des femmes du peuple en longue mante , ces mantes de drap, noires comme les cloches de bronze, oscillant comme elles. […] Il suivait le sillage. » (p.198-99)

En fait, tout au long du roman, Hugues Viane parcourt un même itinéraire et celui-ci nous est décrit à travers le livre et en résumé dans les notes de Jean-Pierre Bertrand et Daniel Grojnowski, à la fin du livre. Une carte de Bruges comprenant les lieux mentionnés dans le roman est mise à votre disposition à la page 313.

Comme nous l’avons précédemment analysé, dans son Avertissement (page 49-50), Georges Rodenbach expose clairement son intention de dévoiler une ville comme un personnage et surtout « afin que ceux qui nous liront subissent aussi la présence et l’influence de la Ville […] ». On comprend donc mieux pourquoi il était essentiel pour l’auteur de décrire la ville de Bruges et ses influences.

Mais à quelle époque se déroule le roman ? En combien de temps les événements se déroulent-ils ?

Mystère de l’époque.

Dans l’œuvre de Rodenbach, aucune date n’est mentionnée. Nous ne savons pas à quelle époque se déroule l’histoire. Cependant, il est clair qu’elle date de la fin du XIXème siècle car l’auteur est mort en 1898. L’histoire ne saurait donc pas se dérouler en 1950, à moins qu’il s’agisse d’une fiction mais ce n’est pas le cas ici.

A défaut d' avoir des dates historiques, nous avons quelques dates importantes d’événements. Les données chronologiques sont exposées par groupe de cinq années ou par leur multiple:

Nous savons dès le départ, qu’il y a 15 ans, Hugues s’est marié, et il a vécu 10 ans avec sa femme et puis elle est morte au seuil de la trentaine. Hugues veuf depuis 5 ans (p.52). Il faut attendre le début de la page 65 pour connaître son âge au moment où se déroule le récit : quarante ans.

Le système temporel est au passé. L’auteur emploie l’imparfait et le passé simple. Les faits se sont produits antérieurement à la lecture, ils sont par conséquent, bloqués. L’auteur installe alors une plus grande distance entre le lecteur et l’action.

Le temps de fiction ne respecte donc pas toujours le temps réel. Un auteur peut modifier la vitesse de l’écoulement du temps. Lorsqu’il résume des événements et accélère ainsi le rythme du récit, comme par exemple, les quatre mois d’hiver qui s’écoulent en quelques chapitres, on parle de relation. Le temps de narration est donc plus petit que le temps réel et c’est ce qu’on appelle une « ellipse ».

« Un dimanche de mars qui était celui de Pâques » (p.153)

Tandis qu’à la page 54, c’est une soirée de Novembre :

« Le veuf, ce jour-là, revécut plus douloureusement son passé, à cause de ces temps gris de Novembre […] » (p.54)

De la page 74 à la page 86 s’écoule une semaine avant que Hugues aperçoive de nouveau l’inconnue dans la rue.

« Une semaine s’écoula ainsi, d’attente toujours déçue. » (p.86)

Du chapitre V au chapitre VII, trois mois d’hiver s’écoulent.

« Depuis les quelques mois déjà que Hugues avait rencontré Jane […] » (p.137)

L’auteur peut aussi marquer une pause. Le temps cesse alors de s’écouler comme par exemple à la page 269 :

« Etranglée, elle tomba.
. . . . . . . . . . . . . . .
Elle était morte – pour n’avoir pas deviné le Mystère […] »

=> Pour vous faciliter la compréhension de toutes ces dates, une ligne du temps est mise à votre disposition à la fin de l’analyse.

Dans ce livre, les ellipses ne sont pas très nombreuses et ne couvrent pas des périodes extrêmement longues.

En revanche, dans le roman « Le livre de ma mère » d’Albert Cohen, la durée totale du roman est de 54 ans pour un nombre de pages équivalentes à celles de Bruges-la-Morte, ce qui veut dire que les ellipses couvrent donc des périodes beaucoup plus longues. 5 ans peuvent s’écouler d’un chapitre à l’autre. Ce qui n’est pas le cas dans Bruges-la-Morte.

Dans ce roman, on peut parler de « représentation » ou de « scène » dans la plus grande partie du roman car le temps de narration est souvent égal au temps réel.

L’auteur dispose aussi du pouvoir de nous transférer dans le passé grâce à des flash-back.

« Puis, la jeune femme était morte, au seuil de la trentaine, seulement alitée quelques semaines, vite étendue sur ce lit du dernier jour, où il la revoyait à jamais : fanée et blanche comme la cire l’éclairant, celle qu’il avait adorée si belle avec son teint de fleur, ses yeux de prunelle […] ses cheveux, d’un jaune d’ambre, des cheveux qui, déployés, lui couvraient tout le dos, longs et ondulés. » (p.53)
« […] Hugues songeait à la morte, aux baisers, aux enlacements de naguère. » (p.107)

Ou également le pouvoir de nous transférer dans l’avenir avec des anticipations et bien évidemment, l’emploi du futur.

« Or, un jour, une envie étrange lui traversa l’esprit, qui aussitôt le hanta jusqu’à l’accomplissement : voir Jane avec une de ces robes, habillée comme la morte l’avait été. […] Ce serait plus encore sa femme revenue.
Minute divine, celle où Jane s’avancerait vers lui ainsi parée, minute qui abolirait le temps et les réalités, qui lui donnerait l’oubli total. » (p.143)

Nous venons donc d’analyser les quatre grandes parties de l’histoire. Mais pour créer une œuvre, il faut évidemment un auteur qui utilise une certaine narration. L’auteur de ce livre est, comme vous le savez, Georges Rodenbach. Mais qui est-il réellement ?

Le succès d’un poète belge.

Poète belge, Georges Rodenbach est né en 1855 dans une famille bourgeoise, à Gand, où il passe son enfance.

Après de brillantes études au Collège Sainte-Barbe, où il rencontre et se lie d’amitié avec Émile Verhaeren, il va ensuite à l'Université de Gand (droit), puis à Paris et enfin Bruxelles. Il écrit en 1877, son premier recueil de vers, Le Foyer et les Champs.

Dix années plus tard, il s’installe à Paris et en 1892 son roman Bruges-la-Morte est publié en feuilleton dans Le Figaro, ce qui lui amène la célébrité. Bruges-la-Morte est considéré comme un chef-d'oeuvre du symbolisme. On dit que Stéphane Mallarmé, Alphonse Daudet, Auguste Rodin et Marcel Proust seraient des inconditionnels du poète de Bruges. Son œuvre en inspira bien d’autres tels Thomas Mann, Rilke, Ghelderode…
On peut citer quelques poèmes célèbres : Les Tristesses (1879), Vers d'Amour (1884), ou encore Musée de Béguines (1894), Le Tombeau de Baudelaire (1894), etc.

Il meurt à 43 ans d’une appendicite en 1898 et sera inhumé à Paris au cimetière du Père-Lachaise où l’on peut voir un monument le montrant surgissant de la tombe, la rose au poing !
« Il aimait les choses fuyantes, les couleurs indécises, les lignes tremblées, raffolait du mystère des eaux, des sonneries des cloches, des carillons […] » (nous dévoile J.-K. Huysmans à la page 302)

Vous disposez également d’une biographie plus complète de l’auteur à partir de la page 335 du livre.

Certes, Georges Rodenbach est l’auteur, mais est-il aussi le narrateur ?

Un narrateur omniprésent.

Le narrateur, qui est la personne qui raconte le récit, n’est pas représenté dans ce livre car le récit est écrit à la 3ème personne avec de temps à autre, des dialogues entre les personnages (par ex. dans le chapitre VIII).

La technique du monologue intérieur n’est donc pas présente dans ce roman car à aucun moment, nous ne voyons la scène à travers les yeux des personnages, mais nous la voyons grâce au narrateur qui nous compte l’histoire.

La focalisation, quant à elle, est, en réalité, la position du narrateur par rapport à ce qu’il raconte. Il est donc évident que dans ce roman, la narration est non focalisée c'est-à-dire que le narrateur délivre plus d’informations que ne pourrait le faire un personnage, il a une vision illimitée. Le narrateur a donc une place omniprésente dans le roman et domine les personnages, il dispose de toutes les données et connaît leurs pensées les plus secrètes. Il se trouve derrière plusieurs personnages à la fois. Derrière Hugues (dans la plupart des chapitres), derrière Barbe (chapitre VIII) ou encore Jane (chapitre XIII).

Certaines histoires sont réelles, d’autres ne le sont pas. Dans ce cas-ci, il s’agit d’une représentation du réel.

Une histoire inventée.

Dans Bruges-la-Morte, le texte joue sur l’allusion car il s’agit non pas du réel mais d’une représentation du réel.  Cependant, les photos, et les invocations de Bruges nous permettent d’être un peu plus dans le réel car ce sont des vrais lieux, pas des lieux imaginaires.
Néanmoins, même s’il s’agit d’une histoire inventée, l’oeuvre évoque de vraies valeurs.`

Les valeurs évoquées.

Chaque récit dévoile une vision du monde. Celui-ci, particulièrement sur l’amour, la mort et le deuil, le désespoir, la religion, et surtout la ressemblance.

Dans ce roman, il y a l’amour qu’a ressenti Hugues pour sa femme morte pendant 10 ans et également l’amour qu’il lui porte toujours ce qui lui procure du bonheur.

« Pour lui, la séparation avait été terrible : il avait connu l’amour dans le luxe, les loisirs, le voyage, les pays neufs renouvelant l’idylle. Non seulement le délice paisible d’une vie conjugale exemplaire, mais la passion intacte, la fièvre continuée, le baiser à peine assagi, l’accord des âmes, distantes et jointes pourtant […] Dix années de ce bonheur, à peines senties, tant elles avaient passé vite ! » (p.52-53)

On peut remarquer qu’il avait une véritable adoration, passion pour cette femme.

« […] celle qu’il avait adorée si belle avec son teint de fleur […] » (p.53)
« Ah ! cette femme ! comme il l’avait adorée ! » (p.71)

Son amour était tellement fort, qu’il a conservé sa chevelure après sa mort dans une boîte en verre.

« Sur le cadavre gisant, Hugues avait coupé cette gerbe, tressée en longue natte […] Et maintenant, depuis les cinq années déjà, la tresse conservée de la morte n’avait guère pâli, malgré le sel de tant de larmes. » (p.53)
« Pour la voir sans cesse, dans le grand salon toujours le même, cette chevelure qui était encore Elle, il l’avait posée là sur le piano désormais muet […] Et, pour l’abriter des contaminations, […], il avait eu cette idée, […] de la mettre sous verre, écrin transparent, boîte de cristal où reposait la tresse nue qu’il allait chaque jour honorer. » (p.61)

Citons également une autre forme d’amour, c’est celui que le héros a pour Jane. Mais l’amour qu’il a pour cette femme est plus de l’amour envers son ancienne femme qu’il revoit vivre à travers Jane.

« Maintenant, quand il songeait à sa femme, c’était l’inconnue de l’autre soir qu’il revoyait ; elle était son souvenir vivant, précisé. » (p.81)
« Il cherchait dans ce visage la figure de la morte. » (p.106)
« Or la mort ici n’avait été qu’une absence, puisque la femme était retrouvée. En regardant Jane, Hugues songeait à la morte, aux baisers […] Et il ne tromperait même pas l’Epouse, puisque c’est elle encore qu’il aimerait dans cette effigie et qu’il baiserait sur la bouche telle que la sienne. […] il dédoubla ces deux femmes en un seul être […] » (p.107)

Une autre valeur de ce récit est le deuil, le désespoir suite à la mort de sa femme :

« Inoccupé, solitaire, il passait toute la journée dans sa chambre […] » (p.52)
« Le veuf, ce jour là, revécut plus douloureusement tout son passé […] Il se décida pourtant à sortir, non pour chercher au-dehors quelque distraction obligée ou quelque remède à son mal. Il n’en voulait point essayer. » (p.54)
« Je suis le veuf ! […] Mot impair qui désigne bien l’être dépareillé. » (p.52)
« Ses yeux fanés regardaient loin, très loin, au-delà de la vie. » (p.65)
« chacun […] savait qui il était et son noble désespoir […] »
(p.93)

La religion est un thème important également et touche plusieurs personnages : Hugues, la Ville et Barbe.
Hugues est religieux et on en a la preuve dans ces extraits.

« Son fond d’enfance religieuse lui était remonté avec lie de sa douleur. Mystique, il espérait que le néant n’était pas l’aboutissement de la vie et qu’il la reverrait un jour. La religion lui défendait la mort volontaire. C’eut été s’exiler du sein de Dieu […] » (p.72)
« […] Hugues venait souvent en pèlerinage à cette église […] » (p.73)

Le narrateur fait de temps à autres des comparaisons entre l’histoire de Hugues et la religion :

« Regard venu de si loin, ressuscité de la tombe, et qui était comme celui que Lazare a dû avoir pour Jésus. » (p.87)

La ville de Bruges est, elle aussi, religieuse.

« En cette Bruges catholique surtout, où les mœurs sont sévères ! » (p.117)
« Or la Ville a surtout un visage de croyante. Ce sont des conseils de foi et de renoncement qui émanent d’elle, de ses murs d’hospices et de couvents, de ses fréquentes églises à genoux dans des rochets de pierre. » (p.197)
« […] face mystique de la Ville […] » (p.198)

Barbe, la servante est religieuse également. Un chapitre entier (VIII) est consacré à la visite de Barbe au Béguinage.

« C’était une des meilleures, une des seules joies de Barbe d’aller au Béguinage. […] elle rêvait, pour ses très vieux jours, […] d’y venir elle-même prendre le voile et finir sa vie comme tant d’autres […] » (p.154)

Mais la valeur la plus exprimée dans l’œuvre de Rodenbach est celle de la ressemblance. Tout d’abord la ressemblance entre la morte et la ville.

« A l’épouse morte devait correspondre une ville morte. Son grand deuil exigeait un tel décor. » (p.67)
« Bruges était sa morte. Et sa morte était Bruges. Tout s’unifiant en une destinée pareille. C’était Bruges-la-Morte […] » (p.69)
« C’est pour cela qu’il avait choisi Bruges […] C’avait été déjà un phénomène de ressemblance, et parce que sa pensée serait à l’unisson avec la plus grande des Villes grises. » (p.129)
« […] comme jadis il s’exaltait à la ressemblance de lui-même avec la ville. » (p.134)

Mais aussi la ressemblance entre Jane et la morte.

« Miracle presque effrayant d’une ressemblance qui allait jusqu’à l’identité. » (p.78)
« Ah ! comme elle ressemblait à la morte ! » (p.79)
« Et plus ressemblante ainsi, ressemblante à en pleurer […] » (p.99)
« Le sortilège de la ressemblance opérait… » (p.105)
« […] la récente empreinte s’était fusionnée avec l’ancienne, se fortifiant l’une par l’autre, en une ressemblance qui maintenant donnait presque l’illusion d’une présence réelle. » (p.82)
« Hugues songeait : quel pouvoir indéfinissable que celui de la ressemblance ! » (p.127)

Une lecture agréable.

Personnellement, j’ai beaucoup apprécié ce récit. Le format, les caractères très lisibles, l’illustration de la première de couverture ainsi que les 35 photographies de Bruges ont favorisé mon entrée en lecture et je dois dire que ce roman se lit très vite. Malgré les termes parfois difficiles à comprendre de par un vocabulaire riche, cette histoire est très facile à comprendre car elle respecte la chronologie, il n’y a presque pas de flash-back et d’anticipations.

Le style, quant à lui, est incontestablement remarquable car Georges Rodenbach utilise dans ce récit de nombreuses comparaisons, métaphores et analogies. Les jeux de mots et la musicalité des phrases sont vraiment très agréables et font l’objet d’une écriture soignée, recherchée. Il est évident que ce livre m’a fasciné car les valeurs abordées dans ce récit, principalement celles de l’amour et du désespoir, sont des valeurs auxquelles j’adhère.

Un roman différent de mes précédentes lectures.

Plusieurs de mes lectures avaient comme thème principal ces valeurs, notamment: Amazone de Maxence Fermine, Le livre de ma mère d’Albert Cohen ou encore La Consolante d’Anna Gavalda. Tous ces romans expriment l’amour et la mort mais de manière différente que dans Bruges-la-Morte.

Dans Amazone, nous découvrons l’incroyable parcours qu’a entrepris Amazone Steinway pour rejoindre sa femme morte, Carmen, qu’il aimait de tout son cœur. Amazone, lui, n’était donc pas dans la même situation qu’Hugues Viane. Il ne s’est pas laissé aller, il n’a désespéré à aucun moment, il ne s’est pas installé dans une ville, au contraire il a entrepris un long et difficile périple par amour afin de la rejoindre dans les cieux.
« […] il sut qu’il allait enfin rejoindre celle pour qui il avait entrepris ce voyage et qui se nommait Carmen Avila. Et c’était bien ainsi parce qu’il lui tardait de la revoir et de lui raconter ce qu’il avait entrepris pour elle. Simplement par amour. » (Ch. VI, p. 214)

Dans Le livre de ma mère, c’est une autre facette de l’amour. Celle qu’avait un fils pour sa mère décédée après la guerre. Albert Cohen, qui est lui-même le personnage héros, est totalement désespéré, l’amour qu’il avait pour sa mère était extrêmement fort et il se retrouve désemparé suite à sa disparition. Sa situation est donc semblable à celle qu’Hugues a dans le début et la fin du roman. Nous pouvons tirer comme conclusion que le désespoir peut se manifester suite à la mort d’une épouse mais également suite à la mort d’une mère.
« Musique du désespoir le plus subtil, égaré et souriant, qui s’insinue et ronge avec les images d’un passé et trépassé de bonheur. Jamais plus. Jamais plus je ne serai un fils. Jamais plus nos interminables bavardages. » (Ch. XXVII, p. 167)

La Consolante d’Anna Gavalda est également un livre qui exprime le désespoir d’un homme mais cette fois, suite à la mort d’une dame à qui il tenait particulièrement, la mère de son meilleur ami. Lorsqu’il apprend sa disparition, il perd l'appétit, le sommeil, abandonne ses plans et projets d’architecte et va essayer de comprendre pourquoi tout se fissure en lui. Et autour de lui. Commence alors un long travail de deuil, un peu comme celui de Hugues Viane qui, lui, a choisi une ville particulière, Bruges, pour son veuvage.

Ces différents livres nous dévoilent donc que le désespoir, le deuil entraîne une véritable souffrance qui intervient suite à la mort d’une épouse, d’une mère ou simplement d’une personne à qui l’on tenait beaucoup. Certains surmontent cette souffrance, comme Amazone ou Hugues lorsqu’il rencontre Jane et d’autres ne s’en console pas comme Albert Cohen.

En conclusion, l’œuvre de Georges Rodenbach a principalement dévoilé les mystères et le décor de la ville de Bruges grâce aux nombreuses photos et à l’écriture de l’auteur. L’intrigue est passionnante et on découvre une histoire qui tourne sans cesse autour du thème de la ressemblance. Les personnages sont plutôt attachants mais il est évident que le narrateur occupe une très grande place dans le récit, ce qui n’est pas dérangeant pour autant. Et en ce qui concerne les valeurs, elles sont souvent évoquées dans le récit, et reprennent les grands thèmes essentiels de la vie.

Une chose est certaine, c’est que le désespoir peut tous nous toucher un jour notamment suite à la mort d’un être cher. Nous choisirons peut-être alors la ville de Bruges comme Hugues pour nous retirer du monde. Mais une chose qu’on ne pourra pas nous enlever, c’est le souvenir de cet être…

Ce roman, aura-t-il une influence sur vous ? Pour le savoir, je vous invite à le lire sans plus tarder...

réalisé par Aurélie D. ,
élève de 6e Transition (IND-Fleurus) en novembre 2008
et mis en ligne avec son autorisation.

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