La pensée PowerPoint.

Un phénomène technomédiatique tel que le PowerPoint ne pouvait décemment échapper plus longtemps aux médiologues. Le revue Medium (No11, 200 pages, 12 euros) animée par Régis Debray vient donc de lui consacrer un article sous l’angle de “la rhétorique universelle” et sous la plume de Pierre d’Huy, spécialiste en management de l’innovation. On ne soupçonnait pas que le logiciel de mise en écran des textes et des images puisse développer une pensée autonome : on en est presque convaincu à l’issue de la lecture. D’après Microsoft, 30 millions de présentations PowerPoint sont élaborées chaque jour dans le monde. C’est peu dire qu’il s’agit d’un fait de société puisque le procédé est même utilisé de plus en plus souvent à l’occasion des discours de mariage !… Sur quoi repose cette “(r)évolution” ? Un vieux principe : la séparation de ce qui se voit et de ce qui s’entend réactualisée par le dédoublement du visible dans le lisible. Là où PowerPoint innove vraiment, selon l’auteur de l’article, c’est en créant un nouveau comportement : la lecture collective sur écran.
Il y a près d’un siècle déjà, les surréalistes s’amusaient au simultanéisme, mais Blaise Cendrars et Sonia Delaunay n’avaient pas rencontré la technologie de masse, la Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France ayant légèrement anticipé sur la Silicon Valley. Aujourd’hui, c’est la question de la propriété de la parole qui est en jeu avec la pensée PowerPoint :”Une pure technologie de persuasion au service de la conviction d’un auditoire (…) souvent le support d’un rhétorique sophiste, manipulatrice” estime Pierre d’Huy. Rien n’est universel comme une image. Aussi ce discours là transcende-t-il les langues nationales. J’ignore si l’instrument est “américain en diable” (et il y aurait déjà beaucoup à dire sur le choix de l’expression). Ce qui est sûr, c’est que dans un monde où l’on a besoin de voir pour penser, Power Point est, comme le souligne l’auteur de cette étude, “l’apogée de la vidéosphère, le culte de l’apparition, une machine rhétorique adaptée aux saint Thomas qui ne croient que ce qu’ils voient”. Encore faudrait-il y intégrer l’absence de naïveté de nos contemporains, leur capacité de plus en plus grande à critiquer ce qu’ils voient, à mettre en doute l’authenticité des images.

P. Assouline, La République des livres, blog, 24 avril 2007

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Mise à jour 20.05.2007