La liberté a un prix.

Comment se fait-il, fit observer Jonathan, rêveur, que la chose la plus difficile du monde ce soit de convaincre un oiseau de ce qu'il est libre et de ce qu'il peut s'en convaincre aisément s'il consacre une partie de son temps à s'y exercer? Pourquoi faut-il que ce soit si difficile ?

R. Bach, Jonathan Livingston, le goéland, trad. française P. Clostermann, Flammarion, 1973.

J'ai connu il y a une quarantaine d'années un système très différent; le modèle unique qui était imposé aux jeunes ne permettait que deux attitudes: soumission ou révolte. La liberté devenait pour nous un idéal motivant, le projet d'émancipation procurait une énergie puissante. Jonathan Livingston incarnait superbement ce désir de se différencier en assumant le risque de son ambition.

Mon dispositif pédagogique est marqué par un goût très vif pour la liberté. Longtemps, du reste, j'ai observé la portance de ce thème dans les récits de fiction écrits par les adolescents de mes classes : voyager, partir, s'envoler étaient des thèmes fréquents.

Or, aujourd'hui, je dois bien constater une difficulté nouvelle pour mes élèves de faire des choix. Certains éprouvent une véritable paralysie et me disent rester plusieurs heures à se demander que choisir sans arriver à prendre une décision. Ph. Meirieu a bien raison : choisir c'est déjà penser. Mais c'est aussi prendre une décision contre le plaisir immédiat de se laisser aller, renoncer et risquer de se tromper.

Les garçons surtout semblent préférer la fuite et le jeu. A les entendre "il n'y a rien à faire pour demain!" Anticiper c'est "se prendre la tête". Ainsi tel élève de 5e, appelons-le David, proclame à qui veut l'entendre : "moi je veux aller à l'armée, j'aime qu'on me dise ce que je dois faire, j'ai besoin d'être dirigé!"

Sauf pour quelques élèves qui ne calculent pas leurs efforts, peut-être nos adolescents ont-ils en horreur de "travailler pour des prunes". Pensent-ils "Autant ne rien faire que de ne pas recevoir de bons points" ?

Si on n'est pas obligé, et si aucune sanction immédiate n'apparaît, pourquoi prendre le risque. La liberté, de motivante qu'elle était, se perçoit comme un frein voire un danger.

Le phénomène m'inquiète. Je le mets en rapport avec l'incertitude démocratique face à la placide certitude de l'extrême-droite.

Quel penseur apportera aux enseignants le nouveau modus operandi qui encouragera, soutiendra l'adolescent dans une prise d'initiative personnelle (et risquée !) plutôt que dans la soumission à une décision externe (mais rassurante).

Mise à jour 07.01.2007