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Poèmes à dire

(série 2)

XIXe siècle (1).

Marceline DESBORDES-VALMORE Les roses de Saadi.
Victor HUGO Soleils couchants
Bon conseil aux amants.
Gérard DE NERVAL Fantaisie.
El Desdichado
Une allée du Luxembourg.
Épitaphe.
Alfred DE MUSSET Impromptu.

 


Marceline DESBORDES-VALMORE (1786-1859).

Les roses de Saadi.

 


J’ai voulu ce matin te rapporter des roses;
Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les noeuds trop serrés n’ont pu les contenir.
Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s’en sont toutes allées.
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir;
La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est toute embaumée...
Respires-en sur moi l’odorant souvenir.

Victor HUGO (1802-1885).

Soleils couchants

 

Le soleil s’est couché ce soir dans les nuées,
Demain viendra l’orage, et le soir, et la nuit;
Puis l’aube, et ses clartés de vapeurs obstruées;
Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s’enfuit!
Tous ces jours passeront; ils passeront en foule
Sur la face des mers, sur la face des monts,
Sur les fleuves d’argent, sur les forêts où roule
Comme un hymne confus des morts que nous aimons.
Et la face des eaux, et le front des montagnes,
Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts
S’iront rajeunissant; le fleuve des campagnes
Prendra sans cesse aux monts le flot qu’il donne aux mers.
Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête,
Je passe et, refroidi sous ce soleil joyeux,
Je m’en irai bientôt, au milieu de la fête,
Sans que rien manque au monde immense et radieux.

Bon conseil aux amants.

L’amour fut de tout temps un bien rude Ananké;
Si l’on ne veut pas être à la porte flanqué,
Dès qu’on aime une belle, on s’observe, on se scrute;
On met le naturel de côté; bête brute,
On se fait ange; on est le nain Micromégas;
Surtout on ne fait point chez elle de dégâts,
On se tait, on attend, jamais on ne s’ennuie,
On trouve bon le givre, et la brise, et la pluie,
On doit dire : J’ai chaud ! quand même on est transi.
Un coup de dent de trop vous perd. Oyez ceci :
Un brave ogre des bois, natif de Moscovie,
Etait fort amoureux d’une fée, et l’envie
Qu’il avait d’épouser cette dame s’accrut
Au point de rendre fou ce pauvre cœur tout brut.
L’ogre, un beau jour d’hiver, peigne sa peau velue,
Se présente au palais de la fée, et salue,
Et s’annonce à l’huissier comme prince Ogrouski.
La fée avait un fils, on ne sait pas de qui.
Elle était ce jour-là sortie, et, quant au mioche,
Bel enfant blond nourri de crème et de brioche,
Don fait par quelque Ulysse à cette Calypso,
Il était sous la porte et jouait au cerceau.
On laissa l’ogre et lui tout seuls dans l’antichambre.
Comment passer le temps quand il neige en décembre,
Et qu’on n’a personne avec qui dire un mot?
L’ogre se mit alors à croquer le marmot.
C’est très simple; pourtant c’est aller un peu vite,
Même lorsqu’on est ogre et qu’on est Moscovite,
Que de gober ainsi les mioches du prochain.
Le bâillement d’un ogre est frère de la faim.
Quand la dame rentra, plus d’enfant. On s’informe;
La fée avise l’ogre avec sa bouche énorme:
— As-tu vu, cria-t-elle, un bel enfant que j’ai?
Le bon ogre naïf lui dit: « Je l’ai mangé. »
Or, c’était maladroit. Vous qui cherchez à plaire,
Ne mangez pas l’enfant dont vous aimez la mère.

Gérard DE NERVAL (1808-1855).

Fantaisie.

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Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui, pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit : —
C’est sous Louis treize; et je crois voir s’étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit.

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue… — et dont je me souviens!

El Desdichado

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Je suis le Ténébreux, — le Veuf, — l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie:
Ma seule Étoile est morte, — et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.

Suis-je Amour ou Phébus?... Lusignan ou Biron?
Mon front est rouge encore du baiser de la Reine;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la Sirène...

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron:
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

Une allée du Luxembourg.

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Elle a passé, la jeune fille
Vive et preste comme un oiseau :
A la main une fleur qui brille,
A la bouche un refrain nouveau.

C'est peut-être la seule au monde
Dont le coeur au mien répondrait,
Qui venant dans ma nuit profonde
D'un seul regard l'éclaircirait !

Mais non, ma jeunesse est finie...
Adieu, doux rayon qui m'as lui,
Parfum, jeune fille, harmonie...
Le bonheur passait, il a fui !

Épitaphe.

Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet,
Tour à tour amoureux insoucieux et tendre,
Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre.
Un jour il entendit qu'à sa porte on sonnait.
C'était la Mort! Alors il la pria d'attendre
Qu'il eût posé le point à son dernier sonnet;
Et puis sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre
Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.
Il était paresseux, à ce que dit l'histoire,
Il laissait trop sécher l'encre dans l'écritoire.
Il voulait tout savoir mais il n'a rien connu.
Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Un soir d'hiver, enfin l'âme lui fut ravie,
Il s'en alla disant : " Pourquoi suis-je venu? "

Alfred DE MUSSET (1810-1857).

Impromptu.

 

Chasser tout souvenir et fixer la pensée,
Sur le bel axe d’or la tenir balancée,
Incertaine, inquiète, immobile pourtant;
Éterniser peut-être un rêve d’un instant;
Aimer le vrai, le beau, chercher leur harmonie;
Écouter dans son cœur l’écho de son génie;
Chanter, rire, pleurer, seul, sans but, au hasard;
D’un sourire, d’un mot, d’un soupir, d’un regard
Faire un travail exquis, plein de crainte et de charme,
Faire une perle d’une larme:
Du poète ici-bas voilà la passion,
Voilà son bien, sa vie et son ambition.

Mise à jour : 16.02.2010