Des freins...

Tant du côté des enseignants que de la part des élèves, des résistances à l'analyse réflexive se font sentir...

"On se devait de réfléchir, malgré toute l'angoisse que ça procure."

Pascal Dessaint, L'horizon qui nous manque, Rivages/Noir, Payot et Rivages, Paris, 2019, p.39.

Côté profs :

En d'autres termes

Éléments handicapant le recours à l'analyse réflexive

  • Le peu de temps disponible pour les enseignants en classe toute la journée
  • La surcharge réelle, appréhensée ou perçue de travail
  • Le sentiment d'abandon, d'isolement
  • Le cloisonnement, la fermeture (enseignement la porte fermée; la vision insulaire)
  • Le peu d'échanges et de débats avec les collègues
  • La fragmentation et la discontinuité dans les activités quotidiennes de l'enseignant
  • La survalorisation de l'expérience directe (un métier sans savoirs?)
  • L'absence de partenariat avec les milieux universitaires de formation (une méfiance réciproque ?)
  • L'absence de mécanismes de formation continue
  • Le peu de lecture d'écrits scientifiques en éducation
  • Le peu de connaissancess des savoirs scientifiques en lien avec les disciplines scolaires
  • La prise de risque dans son enseignement et la difficulté d'agir dans l'incertitude.

(Lenoir)

Côté élèves

  1. Surcharge d'attention

  2. Méconnaissance des processus d'apprentissage

  3. Difficulté cognitive

  4. Difficulté verbale

  5. Difficulté psychologique

  6. L'obstacle sociologique

La réflexivité n'est pas innée, elle n'est pas spontanée, elle doit être apprise, elle doit être construite progressivement avec l'aide du professeur et ce n'est pas facile ; il peut y avoir des obstacles dus à plusieurs éléments :

1. La tâche demande déjà toute l'attention de l'élève :

Apprendre c'est se compliquer la vie, c'est se mettre en déséquilibre.

«—Si t'as les mains toujours occupées, comme à la Poste par exemple, tu peux toujours courir pour essayer de réfléchir.
—C'est vrai que pour réfléchir, faut avoir les mains libres. 
»

Fred Vargas, Sans feu ni lieu, J'ai Lu n°5996, p.28.

« Dans l'action en situation, la personne se concentre plutôt sur le but qu'elle vise sans trop s'interroger sur les moyens utilisés, autrement elle ne serait pas efficace. Par exemple, un funambule qui s'interroge trop sur la façon dont il s'y prend pour marcher sur un fil de fer risque de tomber. Le funambule se concentre plutôt sur le maintien de son équilibre, et les connaissances dont il dispose pour parcourir son trajet s'activent d'elles-mêmes. Une fois son activité terminée, le funambule pourra prendre un recul réflexif, et ce n'est qu'à ce moment-là que le questionnement devient plus explicite. » (Masciotra)

2. Méconnaissance des processus d'apprentissage

L'élève ne sait pas forcément en quoi consiste apprendre : apprendre peut être perçu comme savoir par coeur ou faire comme le professeur dit de faire.

3. Difficulté cognitive.

Pour l'élève, adopter un regard « méta » (explicitation, analyse et abstraction) n'est pas évident sur le plan cognitif.

Il ne faut pas que la méta qui exige que l'élève considère son action comme un objet de réflexion soit d'un niveau d'abstraction plus élevé que les apprentissages qu'elle veut faciliter (pour l'éviter, toujours exercer la méta en situation, à propos de tâches en cours et aider à théoriser les expériences à l'aide de grilles d'analyse, de métaphores...)

4. Difficulté verbale

Il n'est pas aisé non plus d'avoir les mots pour communiquer l'explicitation de l'expérience, son évaluation ; il faut que l'élève ait les mots intérieurs, qu'il soit capable de se parler pour réguler son action mentale. Il va falloir qu'il maitrise un vocabulaire abstrait portant sur ses actes mentaux.

Ariane, 14 ans

Ariane : Parfois on me demande pourquoi j'aime pas l'école. Eh bien j'ai plein d'arguments : parce que les profs sont nuls, ils savent pas donner cours, que le cours est barbant, que c'est chiant, il y a trop de règlements... Les gens demandent pourquoi j'ai pas envie de faire quelque chose, mais je sais pas expliquer.

Psychologue : Oui, les gens nous demandent d'expliquer, de mettre des mots.

Ariane : Eh bien moi, les mots, ils se bloquent. Parfois -souvent-, tout mon esprit est sur la lettre, mais j'arrive pas à la dire. Parce qu'il n'y a pas un mot de mon vocabulaire que je connais qui puisse dire justement ce que je veux sans déformer, et chaque fois que j'essaie d'expliquer quelque chose, l'autre ne comprend pas du tout. (Deplus et Lahaye)

5. L'obstacle psychologique 

Il faut aussi accepter de procéder par essai-erreur, de se remettre en cause et parfois, les élèves adolescents ont peur d'être confrontés à leur limite, de devoir remettre en cause l'image qu'ils ont d'eux-mêmes, perdre la face et d'être perdants, d'autant plus si ça se passe en public et si l'élève est peu performant.

6. L'obstacle sociologique

Tout individu admis à l'école y entre avec sa culture, c'est-à-dire, avec ce qui donne sens à l'environnement ; celle-ci est présente en contrebande et préside à la compréhension des messages scolaires, particulièrement à tout (consignes, méthodes, contenus) ce qui va constituer en bien ou en mal l'objet de l'évaluation. Ce sens qui informe la compréhension de l'élève n'est donc pas indifférent. Par ailleurs, la « métacognition » est tenue pour le pivot des apprentissages. Son usage scolaire tient dans la verbalisation des phases de réalisation de la tâche, et vise à l'améliorer. Or, dire son faire, en avoir pleine conscience semble bien être une propriété de la culture… scolaire et de l'écriture ; cette forme de cognition n'est donc pas partagée par tous, ceci d'autant que la compétence verbale est facteur de discrimination. Or, plus qu'un moyen d'améliorer ses résultats, elle tend à devenir une fin en soi.

L'accès à la réflexivité serait-il donc le privilège exclusif de l'école, maitrisée seulement par ceux qui l'ont suivie avec succès ? Sur quoi peuvent alors s'appuyer ceux qui en seraient dépourvus afin de progresser ? Face à ces interrogations et afin de mieux en identifier les composants, le présent ouvrage confronte la réflexivité aux cultures et aux situations qui brisent son amalgame avec la verbalisation et la conscience : sociétés de la connivence (Tsiganes et autres), sourds profonds, sport, pratiques professionnelles muettes…et ceci avec des spécialistes de ces champs disciplinaires : anthropologues, psychologues, philosophes, pédagogues. Il en résulte une conception ouverte et complexe de la réflexivité qui invite au décentrement et à se construire une « théorie de l'esprit » toujours en devenir, ceci en vue de faire évoluer les pratiques de classe. (Derycke )

(Merci à Madame Geneviève Gilbert...)

"— Je ne pars pas.
—Et vous pourriez nous dire pourquoi ? Oui, pourquoi ?
Toute notre vie commune à mon père et à moi, cet homme aux gants couleur de beurre devait rester le prototype d'une race honnie par nous: les exécuteurs-des-basses-oeuvres-de-clarification."

Erik Orsenna, L'Exposition coloniale, Seuil 1988, p.94

Pour en savoir davantage:

C. Chevallier, enquête dans sa thèse de doctorat sur les obstacles qui entravent l'explicitation. (Vers une pédagogie de l’explicitation, 2011)

Page mise à jour le 29.10.2019