Tant du côté des enseignants que de la part des élèves, des résistances à l'analyse réflexive se font sentir...
"On se devait de réfléchir, malgré toute l'angoisse que ça procure." Pascal Dessaint, L'horizon qui nous manque, Rivages/Noir, Payot et Rivages, Paris, 2019, p.39. |
Je vais m'épuiser : où trouver du temps et de l'énergie pour créer de nouveaux documents ?
Inexpérience : comment donner du sens à cette démarche devant l'indifférence / hostilité des élèves
découragement devant la pauvreté du langage élève
les conditions de travail sont incompatibles : comment évaluer l'oral dans une classe de 28 ?
Ce sera dangereux : je vais devoir changer de « posture-enseignante »
Pour pratiquer la réflexivité en classe, il faut adopter une vision où les élèves construisent leurs savoirs et sont les principaux agents de leurs apprentissages. Beaucoup d'enseignants sont encore plutôt dans la posture de l'enseignant transmissif, de celui qui transmet des savoirs, des savoirs-faire ; de l'expert ; de ce fait, ils partent peu ou pas de l'élève. Changer de posture est déstructurant, stressant et prend du temps (Joseph Fléron (http://dimension.com).
Cela m'empêchera d'atteindre le niveau, c'est du discours, pas de l'action, un prétexte pour ne pas faire travailler ;
On risque d'uniformiser, de tuer la créativité, d'empêcher le tâtonnement : essai / erreur. L'explicitation aura un côté artificiel, convenu.
Éléments handicapant le recours à l'analyse réflexive
(Lenoir) |
La réflexivité n'est pas innée, elle n'est pas spontanée, elle doit être apprise, elle doit être construite progressivement avec l'aide du professeur et ce n'est pas facile ; il peut y avoir des obstacles dus à plusieurs éléments :
Apprendre c'est se compliquer la vie, c'est se mettre en déséquilibre.
«—Si t'as les mains toujours occupées,
comme à la Poste par exemple, tu peux toujours courir pour essayer
de réfléchir. Fred Vargas, Sans feu ni lieu, J'ai Lu n°5996, p.28. |
« Dans l'action en situation, la personne se concentre plutôt sur le but qu'elle vise sans trop s'interroger sur les moyens utilisés, autrement elle ne serait pas efficace. Par exemple, un funambule qui s'interroge trop sur la façon dont il s'y prend pour marcher sur un fil de fer risque de tomber. Le funambule se concentre plutôt sur le maintien de son équilibre, et les connaissances dont il dispose pour parcourir son trajet s'activent d'elles-mêmes. Une fois son activité terminée, le funambule pourra prendre un recul réflexif, et ce n'est qu'à ce moment-là que le questionnement devient plus explicite. » (Masciotra)
L'élève ne sait pas forcément en quoi consiste apprendre : apprendre peut être perçu comme savoir par coeur ou faire comme le professeur dit de faire.
Pour l'élève, adopter un regard « méta » (explicitation, analyse et abstraction) n'est pas évident sur le plan cognitif.
Il ne faut pas que la méta qui exige que l'élève considère son action comme un objet de réflexion soit d'un niveau d'abstraction plus élevé que les apprentissages qu'elle veut faciliter (pour l'éviter, toujours exercer la méta en situation, à propos de tâches en cours et aider à théoriser les expériences à l'aide de grilles d'analyse, de métaphores...)
Il n'est pas aisé non plus d'avoir les mots pour communiquer l'explicitation de l'expérience, son évaluation ; il faut que l'élève ait les mots intérieurs, qu'il soit capable de se parler pour réguler son action mentale. Il va falloir qu'il maitrise un vocabulaire abstrait portant sur ses actes mentaux.
Ariane, 14 ans
Ariane : Parfois on me demande pourquoi j'aime pas l'école. Eh bien j'ai plein d'arguments : parce que les profs sont nuls, ils savent pas donner cours, que le cours est barbant, que c'est chiant, il y a trop de règlements... Les gens demandent pourquoi j'ai pas envie de faire quelque chose, mais je sais pas expliquer.
Psychologue : Oui, les gens nous demandent d'expliquer, de mettre des mots.
Ariane : Eh bien moi, les mots, ils se bloquent. Parfois -souvent-, tout mon esprit est sur la lettre, mais j'arrive pas à la dire. Parce qu'il n'y a pas un mot de mon vocabulaire que je connais qui puisse dire justement ce que je veux sans déformer, et chaque fois que j'essaie d'expliquer quelque chose, l'autre ne comprend pas du tout. (Deplus et Lahaye)
Il faut aussi accepter de procéder par essai-erreur, de se remettre en cause et parfois, les élèves adolescents ont peur d'être confrontés à leur limite, de devoir remettre en cause l'image qu'ils ont d'eux-mêmes, perdre la face et d'être perdants, d'autant plus si ça se passe en public et si l'élève est peu performant.
Tout individu admis à l'école y entre avec sa culture, c'est-à-dire, avec ce qui donne sens à l'environnement ; celle-ci est présente en contrebande et préside à la compréhension des messages scolaires, particulièrement à tout (consignes, méthodes, contenus) ce qui va constituer en bien ou en mal l'objet de l'évaluation. Ce sens qui informe la compréhension de l'élève n'est donc pas indifférent. Par ailleurs, la « métacognition » est tenue pour le pivot des apprentissages. Son usage scolaire tient dans la verbalisation des phases de réalisation de la tâche, et vise à l'améliorer. Or, dire son faire, en avoir pleine conscience semble bien être une propriété de la culture… scolaire et de l'écriture ; cette forme de cognition n'est donc pas partagée par tous, ceci d'autant que la compétence verbale est facteur de discrimination. Or, plus qu'un moyen d'améliorer ses résultats, elle tend à devenir une fin en soi.
L'accès à la réflexivité serait-il donc le privilège exclusif de l'école, maitrisée seulement par ceux qui l'ont suivie avec succès ? Sur quoi peuvent alors s'appuyer ceux qui en seraient dépourvus afin de progresser ? Face à ces interrogations et afin de mieux en identifier les composants, le présent ouvrage confronte la réflexivité aux cultures et aux situations qui brisent son amalgame avec la verbalisation et la conscience : sociétés de la connivence (Tsiganes et autres), sourds profonds, sport, pratiques professionnelles muettes…et ceci avec des spécialistes de ces champs disciplinaires : anthropologues, psychologues, philosophes, pédagogues. Il en résulte une conception ouverte et complexe de la réflexivité qui invite au décentrement et à se construire une « théorie de l'esprit » toujours en devenir, ceci en vue de faire évoluer les pratiques de classe. (Derycke )
(Merci à Madame Geneviève Gilbert...)
"— Je ne pars pas. Erik Orsenna, L'Exposition coloniale, Seuil 1988, p.94 |
C. Chevallier, enquête dans sa thèse de doctorat sur les obstacles qui entravent l'explicitation. (Vers une pédagogie de l’explicitation, 2011)
Page mise à jour le 29.10.2019