Récit fantastique
Tristesse aveuglante
Athénée Royal d'Izel - 5ème Professionnelle Horticulture
 

Benoît est un garçon plein de vie et rempli de bon sens. Un jour, après que son frère se soit suicidé dans de drôles de conditions...

...Allongé confortablement sur son lit, Benoît médite comme toutes les autres nuits. Son esprit voyage à travers le monde. Depuis quelques mois surplombe dans ses pensées, l'image de son défunt frère. Le fond musical et l'atmosphère sombre le rendent nostalgique. Se laissant aller, une larme glisse le long de sa joue, puis ses yeux se ferment, pour partir dans les songes.
-Debout Benoît, s'exclame l'éducateur, avec grande énergie.
Benoît se lève avec une drôle d'impression. Il s'habille, se dirige vers le miroir, jette un coup d'oeil sur la photo de son frère, se coiffe, se brosse les dents, et après un petit coup de déodorant, sa journée peut enfin commencer. Ce jour sera comme tous les autres: d'une banalité inégalable. Ses cours terminés, Benoît se précipite pour goûter. Le bruit, les rires, les cris de son entourage; il ne les entend plus, car isolé au plus profond de lui-même, il espère que lorsque sa porte s'ouvrira la photo, l'avis de décès posé sur son étagère et la gourmette soigneusement rangée dans le tiroir auront disparus. Le repas enfin achevé, en ouvrant sa porte, la dure réalité le rattrape. Tout est là pour lui rappeler Dimitri.

Le soleil se couche, les lumières s'éteignent puis le sommeil se fait sentir. Dans ses rêves, un spectre lui rend visite! Un dialogue n'est pas possible car tous les sons qu'il perçoit sont incongrus, tantôt aigus, tantôt graves, puis deviennent stridents. Il a le sentiment d'être ébloui tant par les yeux que par son âme. Au détriment de sa vue, il se redresse pour admirer la beauté du spectacle. La lumière baisse peu à peu. Des yeux le fixent. Aucun mot mais un regard qui en dit bien plus. Une harmonie soudainement interrompue par la voix d'un éducateur qui fait son travail. Une autre journée doit recommencer. Les gestes quotidiens. Benoît se lève, s'habille, jette un coup d'oeil sur le mur: la photo est bien là! Mais, il s'y retrouve dans la même posture que son frère. Sans savoir pourquoi, Benoît se dirige vers l'étagère où surplombe une feuille: c'est l'avis nécrologique. Il remarque instantanément que son nom est inscrit à la place de celui de Dimitri. Benoît est totalement bouleversé. Personne n'aurait osé faire une telle farce! La porte s'ouvre; l'éducateur fait comprendre avec autorité qu'il faut partir déjeuner. Une lugubre journée s'annonce. Les cours le lassent déjà. Bref, une journée vraiment pénible pour lui. Les repas s'enchaînent: goûter puis souper. A présent, le soleil est pour lui depuis longtemps couché. Vingt-deux heures trente, tel un enfant, il s'agit de se coucher et de ne surtout pas rouspéter. La nuit s'annonce très longue, son esprit vogue jusqu'à ce qu'il croise celui des rêves. Cet esprit qui n'est pas le sien, il se trouve pourtant en lui. Cette atmosphère fantasmagorique ne le dérange plus. L'image de son frère se clarifie. Il peut distinguer la totalité de ses membres sans aucun problème. Malgré tout, sa voix ne se fait pas comprendre. Cette fois-ci, l'apparition est de courte durée. Le lendemain, Benoît découvre avec stupeur que la gourmette porte son nom. Sans en avoir le choix, bien que bouleversé par les évènements, la journée se doit de continuer pour en arriver au moment fatidique où il faut se coucher. Cette nuit-là ne se termine pas. Benoît ne peut arriver à fermer les yeux bien qu'il souhaite une nouvelle rencontre. Tard dans la nuit, il y parvient enfin. Il y voit le spectacle le plus impressionnant de sa vie. Les songes étranges évoluent pour devenir une phrase:"Tu ne devrais pas te mettre dans cet état."
Quelques mots vite compris. Puis le fantôme s'avance en levant le bras pour poser sa main sur le crâne de Benoît. Cet acte est-il une révélation? Benoît le croit. Interrompu par la routine, une journée bizarre est à prédire. Benoît ébahi constate que tous les objets modifiés ont été remis en ordre. Il est pourtant serein, comme si plus rien ne pouvait le toucher.
Quelques mois défilent. Un jour, Marie-Thérèse, sa mère, lui annonce la destination de ses futures vacances: Marseille, lieu où Dimitri se sentait chez lui, mais aussi lieu de la tragédie. Benoît semble aussi heureux qu'un enfant qui a obtenu une friandise. Réussissant son année scolaire avec fruit, Benoît fait ses bagages pour partir. Son entourage remarque immédiatement qu'il prépare quelque chose, vu son air très préoccupé. Le voyage se passe alors dans la gaieté d'un départ de vacances. Arrivant à destination, il jette son sac dans un coin de la chambre d'hôtel et sort de suite. Ce sont ses jambes qui le dirigent, indépendamment de sa volonté. Lorsque ses jambes le stoppent, il se retrouve face à une armurerie avec 1410 F au fond de sa poche: c'est exactement le prix du magnum exposé en évidence dans la vitrine. Après une minute d'immobilité, sans même se poser de questions, Benoît achète l'arme. En marchant dans une allée, un petit chemin en gravier orné de verdure, une odeur plaisante remplit ses narines. Un petit coin de paradis dans une ville de béton. Il sort le gros calibre de sa poche et s'effondre violemment sur le sol. Là recommence la divine apparition. Exactement le même rituel, quand soudain une aveuglante lumière rouge envahit le néant qui leur sert de théâtre. La voix qui commence à peine à se faire comprendre est progressivement troublée par un son si grave que nul autre ne peut le surpasser. Le temps passe car ce rêve n'est pas aussi court que les autres. Il souffre, quand tout à coup, Benoît se sent tomber du haut d'une fenêtre, la même que son frère! D'un vif regard en retrait, il distingue un visage avant de tomber. Au moment de l'impact sur le sol, Benoît reprend ses esprits puis regard sa montre: il est alors 14h10.
Il n'a aucune idée de la durée de cette absence. Dans un élan de lucidité, il décide de rentrer à l'hôtel et se demande ce que cette arme fait sur lui. Benoît décide de s'en débarrasser un peu plus loin. Il s'accroupit sur le trottoir. Prête une dernière attention sur le pistolet, machinalement, il regarde le numéro de série gravé sur le canon: c'est 1410666. La venue d'un passant le fait se redresser. Il cache l'arme, et fait mine de regarder dans sa poche. Il remarque que la photo de son frère a disparu. L'homme vêtu de noir passe, jette un regard au plus profond de celui de Benoît. Il reconnaît alors le même homme qui l'avait poussé lors de ses visions. Benoît sort son arme et se lance à la poursuite du passant apeuré. C'est alors que Benoît traverse une route encombrée par une forte circulation, l'arme braquée sur sa proie. Benoît au milieu de la route, hésite un moment pour tirer. A l'instant où son doigt glisse sur la gâchette, un camion le renverse.
Un son très harmonieux se fait entendre quand survient son frère, cette fois ce n'est plus un fantôme: c'est lui en chair et en os.
Dimitri lui parle:
-Mon frère, mon protégé, j'ai essayé de te prévenir mais tu n'as pas voulu m'entendre. Me venger n'était pas nécessaire. C'est simplement ce que toi tu désirais au plus profond de toi-même. J'aurais plutôt préféré que tu te souviennes dignement. Tu vas le regretter plus que tu ne le crois, je te laisse constater. Mais malgré tout, je ne cesserai jamais de t'aimer.
Après quelques embrassades, Benoît sent son frère disparaître entre ses bras. C'est en entendant son propre coup de feu qu'enfin il se réveille, la tête lourde. Ses yeux s'ouvrent à peine et sont sensibles à la clarté. Après avoir recouvré la vue, Benoît remarque qu'il est à l'hôpital. Il tourne la tête: le réveil indique 14h10. Une vieille dame tenant à peine sur ses deux jambes entre dans la chambre d'un air particulièrement réjoui. Benoît ne la reconnaît pas. Elle s'exclame:
-Cela fait 50 ans que j'attends le réveil de mon fils restant.
Elle pleure. Benoît parvient avec labeur à sortir sa main des couvertures. Il remarque alors qu'elle vieille et usée.


Jérémy Aînée

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