Sophie BAUDUIN, lauréate du concours, remporte un voyage au QUEBEC

Sophie BAUDUIN, élève de 6e Générale Scientifique, est lauréate du plus grand concours international d’écriture à destination des lycéens de toute la francophonie. Sa performance est d'autant plus remarquable que cette épreuve a rassemblé cette année plus de 8000 participants.


Comme ce fut le cas pour Frédéric Coppin et Alice Vandenbussche, lauréats de ce même concours, elle remporte un voyage culturel d'une semaine au Québec d'une valeur de 800 €.


Voici son texte, un récit fantastique écrit dans le cadre du cours de français.

 
 
    Un regard sur l'enfer (Le texte en format PDF)

J’ouvris péniblement les yeux. Il n’est pas toujours facile de devoir se lever tôt le matin pour aller travailler, surtout lorsque l’on n’est pas très appréciée par son entourage. Je me retournai et jetai un coup d’œil sur le réveil. Il était 6h30. J’avais encore un quart d’heure de répit. Je m’emmitouflai à nouveau dans les draps et profitai de ces derniers instants de tranquillité. Qu’il est bon de pouvoir rêvasser et de se perdre au fond de ses pensées bien au chaud sous la couette ! Il m’était cependant impossible de m’abandonner à mes rêveries en ce jour. Le directeur général de la banque dans laquelle je travaille venait faire son circuit annuel parmi les employés. Il écouterait, regarderait et contrôlerait le moindre de nos faits et gestes. Il retranscrirait avec un plaisir pervers le plus petit de nos défauts et la plus petite de nos erreurs dans son rapport, les décrivant comme « les pires blasphèmes que l’on ait infligés à la Banque depuis sa création ! ». Quel monstre !
En plus de devoir faire face à ce tyran, j’allais devoir supporter les railleries d’une de mes collègues, Cynthia. Que je pouvais détester cette femme ! Elle était grande, élancée aux cheveux aussi noirs que son cœur. Son visage était d’une beauté diabolique d’où émanait une malveillance envers quiconque se mettrait en travers de son chemin. Elle possédait l’extraordinaire faculté de manipuler les autres et obtenait de ceux-ci ce que bon lui semblait. Elle excellait dans ce domaine, en particulier avec les hommes. Le directeur ne faisait pas exception. Il restait toujours pantois devant cette femme aux allures de diva et n’effectuait jamais ce qui pouvait lui déplaire. Il est inutile d’ajouter qu’en cette occasion, ces deux individus s’alliaient et me tourmentaient de concert, me faisant ainsi passer la pire journée de l’année !
Je chassai vite ces tristes pensées et me souvins, avec grand plaisir, que ma petite-fille de cinq ans, Manon, venait me rendre visite en fin de semaine à l’occasion de mon anniversaire. Nous nous voyions peu, elle habitant Fontenoille, un petit village de la Gaume belge, et moi Bruxelles, mais la joie de nos retrouvailles n’en était que plus forte. Malgré la distance qui nous séparait, nous étions très proches et nous passions toujours des moments inoubliables, moments qui me permettaient d’oublier quelque peu la solitude que je ressentais depuis la perte de mon mari. Cela faisait maintenant trois mois que je ne l’avais plus vue. Avait-elle grandi ? Changé ? Très certainement, mais elle resterait toujours aussi jolie et pétillante qu’à notre dernière rencontre.
Sur ces pensées plus gaies, je me levai, m’habillai et descendis prendre mon petit déjeuner. Je l’engloutis avec appétit, terminai ensuite de me préparer et finalement, je sortis affronter une dure journée.
Elle se passa d’ailleurs comme je l’avais prévue. À peine arrivée, je dus faire face aux remarques désobligeantes de ma « bien-aimée » collègue :
- Te voilà enfin Danielle ! me dit-elle. As-tu oublié que le directeur arrive aujourd’hui pour faire son inspection ?
- Non, répondis-je froidement.
- Et tu te permets d’arriver en retard comme à ton habitude !
Il était très exactement 8h54. Mon contrat stipulait que je devais commencer à 9h00. Mais de la part de Cynthia, je ne m’attendais jamais à autre chose.
- Je vais devoir en faire part au directeur lorsqu’il sera là. C’est dommage qu’à peine arrivée, tu te fasses déjà remarquer…
Elle s’arrêta un instant et me toisa. Je sentis son regard me parcourir de haut en bas. Elle enchaîna :
- Tu aurais quand même pu t’habiller un peu mieux pour la visite du directeur, non pas que cela puisse t’avantager, mais simplement par respect !
Répondre n’aurait servi à rien. Voyant que je ne réagissais pas, elle tourna les talons et se dirigea vers son bureau.
Le restant de la journée se déroula de la même manière : courts moments d’agréables « repos », ponctués de longs échanges acerbes. Ce fut un réel soulagement lorsque je lus 16h00 sur l’horloge de mon bureau. Pas assez folle pour vouloir faire des heures supplémentaires, je me dépêchai de quitter la banque pour retrouver ma calme solitude.
Cependant, un tout autre labeur m’attendait chez moi : le rangement du grenier. Lorsque nous avions acheté la maison, il y a six ans, le propriétaire nous avait avertis que le grenier était chargé d’un amas d’objets et de vieilleries appartenant à de très anciens résidents qui avaient dû fuir les lieux durant la Seconde Guerre Mondiale. Nous n’avions jamais eu le courage, ni l’idée d’y mettre de l’ordre pour y transposer nos propres reliques. Nous nous satisfaisions de nos autres pièces. L’envie me prit pourtant, il y a quelques jours, d’aller y jeter un œil, par simple curiosité. Peut-être y trouverais-je des choses valables dont je pourrais me servir ou que je pourrais vendre. Peut-être ne serait-ce qu’un « fatras » d’objets sans valeur dont je pourrais me débarrasser et ainsi disposer d’une nouvelle pièce que j’aménagerais. En tout cas, j’étais bien décidée à aller y faire un tour ce jour-là.
Je me rendis donc au deuxième étage et empruntai le long et obscur couloir qui menait aux escaliers du grenier. Ceux-ci s’étendaient sur une dizaine de marches en bois qui craquaient sous les pas. J’ouvris la porte et découvris une immense pièce, tout juste éclairée par la faible lumière du jour couchant qui traversait une petite fenêtre sur la gauche. N’y ayant jamais pénétré, je cherchai l’interrupteur, mais ne le trouvai pas. Il y faisait cependant assez clair pour que je puisse distinguer l’intérieur. À mon grand étonnement, je ne vis qu’un grand miroir placé au centre de la pièce, mais aucune trace d’un « amas d’objets et de vieilleries » dont nous avait parlé le propriétaire.
Je m’approchai pour contempler de plus près cet étrange miroir. Il était grand, environ deux mètres de haut sur un mètre de large, et soutenu à l’arrière par un pied en bois massif. La glace, de forme rectangulaire, était sale et recouverte par endroits de poussière noire comme la suie. Tout autour, se trouvait un encadrement en or, orné d’une multitude de striures et de dessins en forme de feuille ou plutôt de flamme. Au plus haut de ce meuble imposant, on pouvait lire l’inscription : « Un regard sur l’enfer ». Un frisson me parcourut l’échine. Ce miroir avait quelque chose d’attirant, mais d’un peu effrayant à la fois. Il était évident qu’il était d’une grande valeur et je décidai d’aller rencontrer l’antiquaire le lendemain. Après ma contemplation, je me dirigeai vers la sortie en m’arrêtant sur le seuil pour lancer un dernier regard à cette étrange relique.
Je passai la soirée allongée devant mon téléviseur et finalement prise d’une grande fatigue, je décidai d’aller me coucher vers 23h00.
Je me réveillai au beau milieu de la nuit. Le réveil m’indiqua qu’il était 1h30. Sentant encore en moi les brumes du sommeil, j’essayai de m’y accrocher pour continuer ma nuit quand j’entendis un bruit. C’était une sorte de craquement, semblable à celui d’une marche sous le pas. Je n’y prêtai pas attention, les crissements de la maison m’étant tout à fait familiers.
À peine retrouvais-je le sommeil que plusieurs craquements se firent à nouveau entendre. Le plancher devait être particulièrement sec, surtout en cette fin d’été, mais j’espérais qu’il ne l’était pas au point de m’empêcher de dormir.
Je fermai les yeux. Crac crac crac… J’avais décidément perdu toute trace de sommeil. Je me rendis compte cependant que les craquements avaient été plus proches que précédemment.
Je tendis l’oreille. Crac crac crac… Je ne m’étais pas trompée, ils se rapprochaient bien, mais ce que j’avais pris tout d’abord pour les crissements du bois ressemblait de plus en plus à des bruits de pas. Mes peurs d’enfance refirent immédiatement surface. Était-ce le fantôme qui hantait le grenier ? Ou alors un criminel venu pour me tuer ? À ces pensées, je ne pus m’empêcher d’esquisser un faible sourire et me traiter intérieurement d’idiote. À quarante-cinq ans, avoir toujours peur du monstre caché sous le lit, attendant patiemment que l’on s’endorme pour nous dévorer ? J’étais une belle imbécile ! Je me détendis.
Crac crac crac… cette fois-ci, ils étaient juste derrière ma porte. Mes peurs me reprirent de plus belle. Après tout, je n’étais pas à l’abri d’un cambriolage nocturne. J’avais envie de me cacher sous la couette, mais je restai droite, assise au milieu du lit.
Soudain, je vis la poignée de la porte osciller, trembler, prête à me faire découvrir ce qui se cachait de l’autre côté. Je n’eus pas la force d’hurler. La poignée continuait de bouger, mais la porte ne s’ouvrait toujours pas. Je rassemblai mon courage et dis d’une voix que je voulais ferme mais qui se révéla chevrotante :
- Qui est là ? Que voulez-vous ?
La poignée s’arrêta brusquement de tourner. Un léger vent passa à travers les rideaux. Je n’entendis plus rien. Je tremblais. Était-il parti ? J’écoutai attentivement. Rien. Je devais prévenir la police que quelqu’un s’était introduit chez moi par effraction. Je n’osais pourtant pas quitter ma chambre. Et s’il était encore là ? Je n’avais rien à ma portée pour me défendre.
Je pris mon courage à deux mains, me levai et me dirigeai vers la porte. Je l’ouvris en essayant de faire le moins de bruit possible. Rien ne m’attendait de l’autre côté. Je regardai à gauche, ensuite à droite. Il n’y avait rien d’anormal, juste un petit courant d’air et… la porte du grenier grande ouverte ! C’était donc par là qu’il était passé ! Je devais m’en assurer ou plutôt, je voulus m’en assurer. Pourtant, une voix en moi me dictait de ne pas y rendre, mais directement d’appeler la police. Je ne l’écoutai pas et commençai à marcher le long du couloir, me sentant comme attirée par le grenier.
Il faisait sombre mais mes yeux étaient suffisamment habitués à l’obscurité pour que je puisse me diriger.
Je montai les escaliers. Les marches en bois crissaient sous mes pas. J’atteignis finalement la porte. Je jetai un regard à l’intérieur. Les rayons de la pleine lune traversaient la fenêtre et éclairaient le miroir toujours placé au centre.
Elle était fermée ! La fenêtre ! Elle n’était ni brisée ni même forcée ! Elle était exactement comme je l’avais vue la veille. Je ne comprenais plus rien. Comment était-il entré ?
Je portai mon regard sur le miroir. J’éprouvai alors une forte envie de le contempler à nouveau. Il était si… exceptionnel et sortait tellement de l’ordinaire ! Je savais pertinemment que je devais redescendre et appeler la police, peut-être pourrait-elle encore attraper mon cambrioleur… mais je n’en fis rien, j’étais littéralement subjuguée et attirée par le miroir.
Je m’approchai lentement. Le bruit de mes pas résonnait dans la pièce. À l’extérieur, le vent soufflait dans les branches des arbres du parc voisin.
J’étais à présent assez proche du miroir pour entendre des cris. C’était des cris humains qui en émanaient. Je m’approchai encore et voulus coller mon oreille à la glace pour essayer de déchiffrer le message de ces cris.
À cet instant, une main rouge, craquelée, aux ongles noirs et crochus sortit tout droit du miroir, m’agrippa et m’entraîna au-delà de la glace…

**

Je me réveillai en sursaut et en sueur. Les vestiges d’une terreur indescriptible me faisaient trembler. Les battements de mon cœur résonnaient à mes oreilles et rendaient le bourdonnement de mon crâne encore plus désagréable.
J’essayai de me calmer. J’avais certainement dû faire un horrible cauchemar pour me trouver dans cet état, mais heureusement pour moi, je n’en avais aucun souvenir.
Je parvins tout de même à me détendre puis me levai pour me rendre à la salle de bain. Je me débarbouillai le visage à l’eau froide et me regardai ensuite dans la glace. Mon Dieu que j’avais les traits tirés ! De profondes cernes cerclaient mes yeux. Ceux-ci d’ailleurs étaient brumeux, éteints. La peau de mes joues était détendue et pendante. Je faisais pitié à voir ! J’avais l’air épuisée, déprimée et vieillie ! La nuit avait donc été difficile. Je me promis un bon bain en rentrant du boulot pour me remettre d’aplomb.
Je commençai d’ailleurs à me préparer pour ma journée. Mes maux de tête persistant toujours, je tendis la main vers ma pharmacie, mais arrêtai brusquement mon geste. Où m’étais-je donc fait cette égratignure ? Je rapprochai ma main et examinai le dos. C’était bien une plaie, d’environ trois centimètres et peu profonde, mais elle me laisserait certainement une cicatrice. Je fus cependant étonnée par sa forme. La plaie n’était pas une raie comme la plupart des éraflures et des coupures, mais composée d’une lettre et de trois chiffres : D312.
Je chavirai. Il était bien possible que je me sois agitée dans mon sommeil et blessée la main contre la table de nuit ou le mur, mais dans ce cas, la plaie aurait été une simple égratignure. D’où venaient donc cette lettre et ces chiffres ? Je n’y comprenais rien et cela m’inquiétait un peu. L’heure avançant, je décidai de ne plus y penser pour le moment, je trouverais certainement la solution plus tard. Je désinfectai tout de même la blessure et finis de me préparer.
Je me rendis à la banque à mon heure habituelle et fus accueillie à l’entrée par Cynthia :
- Mon Dieu Danielle ! Que tu as les traits tirés !
- J’ai mal dormi.
- La journée d’hier t’a-t-elle donc bouleversée à ce point ? me lança-t-elle, un sourire malveillant sur les lèvres.
Elle enchaîna immédiatement :
- En tout cas, on dirait que tu as vieilli de cinq ans en une nuit !
Je ne lui répondis pas, lui tournai le dos et me dirigeai vers mon bureau.
La journée se déroula comme toutes les autres. Je quittai la banque comme à mon habitude vers 16h00, fis ensuite quelques courses et me rendis ensuite chez une amie qui m’avait invitée à souper. Fort fatiguée, je ne rentrai pas trop tard et tenant la promesse que je m’étais faite le matin même, je pris un bain. Pouvoir ainsi me relaxer, l’esprit libre de toutes pensées me fit un bien fou.
Après avoir barboté dans l’eau chaude et mousseuse pendant plus d’une heure, je sortis finalement du bain, détendue et décontractée. J’étais cependant toujours fatiguée et je n’aspirais plus qu’à une chose : retrouver le confort de mon lit et la quiétude du sommeil.
Je quittai donc la salle de bain et me dirigeai vers ma chambre. Je m’arrêtai net dans le couloir. La porte du grenier était ouverte. Une impression de « déjà vu » et les prémisses d’une peur que j’avais déjà connue m’envahirent alors, mais pas un souvenir précis n’afflua à ma mémoire. Un bref instant, la certitude de devoir directement aller me coucher sans prêter attention au grenier me prit, mais elle fut très vite remplacée par l’envie d’aller fermer la porte.
Je grimpai les escaliers et la franchis.
À cet instant, tout me revint en mémoire. La totale attirance du miroir, les cris humains auxquels les miens se mêleraient très bientôt, la main sortant de la glace, le passage d’être humain à celui de simple matricule, pour moi D312, et ensuite la chaleur torride, le feu, les flammes, la terreur, la douleur, l’horreur,… l’enfer !
J’étais totalement impuissante devant les forces qui se déchaînaient contre moi. La dernière chose que je vis avant de sombrer dans les ténèbres fut mon visage peint de la blancheur d’une peur inexprimable qui se reflétait dans le miroir…

**

Je me réveillai dans un état semblable à celui de la veille. J’étais animée d’une telle nervosité que je ne pouvais contrôler mes nombreux soubresauts et ma respiration haletante. Je m’obligeai à me calmer et y parvins après plusieurs minutes qui me parurent longues et interminables. Les cauchemars qui me hantaient la nuit devaient être vraiment terrifiants pour que j’en sorte dans un tel affolement ! Je ne parvenais pourtant toujours pas à m’en rappeler. Inconsciemment, je portai le regard à ma main. La blessure était toujours à sa place, mais s’était ouverte. Ce code gravé dans ma chair perlait de gouttes de sang, il en avait d’ailleurs maculé les draps.
Je me rendis à la salle de bain afin de panser ma plaie, mais lorsque j’allumai la lumière, je ne pus faire un geste de plus. J’étais littéralement paralysée. Je contemplais tétanisée, les yeux écarquillés mon reflet, mon reflet à présent garni d’une masse de cheveux blancs…
Comment cela était-il possible ? Les cheveux dont hier encore je contemplais avec fierté l’extraordinaire couleur rousse. Je savais pertinemment qu’ils ne tarderaient pas à devenir blancs, mais en une nuit ! Le comble, ce n’était pas seulement la racine qui était devenue blanche, mais tout le cheveu ! Et pour couronner le tout, la peau de mes joues était toujours tombante et à présent décorée de quelques rides ! Je ne comprenais pas, ce n’était pas du tout normal et cela me faisait peur. J’étais totalement dépassée par les événements.
Je décidai de prendre congé, je ne pouvais pas me rendre à la banque dans cet état. J’entendais d’ici les remarques de Cynthia : « Tiens Danielle, tu as été chez le coiffeur ? Le gris souris te va parfaitement au teint ! ». Je ne me sentais pas d’attaque pour l’affronter toute la journée. Je pris par contre un rendez-vous chez le médecin, peut-être que lui trouverait une explication à tous ces changements.
Je m’y rendis donc vers 10h00, la tête enveloppée dans un foulard pour qu’on ne puisse rien voir de ma chevelure. C’était pitoyable, je le savais très bien, mais c’était comme ça. Une fois arrivée, je dus patienter quelques minutes dans la salle d’attente avant qu’il ne puisse me recevoir.
- Bonjour madame Delfeuille ! Alors, qu’est-ce qui vous amène chez moi ? me demanda-t-il du ton courtois qui lui était si familier.
- Bonjour Docteur. Eh bien, il m’est arrivé quelque chose d’étrange et je pensais que vous pourriez peut-être m’éclairer.
Je défis alors mon foulard. Je lus à cet instant de l’étonnement dans les yeux du médecin.
- Hier encore, continuai-je, mes cheveux étaient roux comme d’habitude. Après une nuit, voilà le résultat !
- C’est étrange, en effet… Je vais d’abord procéder à un examen de routine. Nous verrons ensuite.
Ainsi, il fit son examen habituel : prise de tension, écoute de la respiration, … Il déclara finalement :
- Je ne vois rien d’anormal, madame Delfeuille, votre santé est bonne. Mis à part un peu de fatigue, vous ne présentez aucun symptôme…
- Mais alors, d’où viennent mes cheveux blancs ? Je ne comprends pas…
- Êtes-vous stressée par quelque chose en ce moment ? Ne vous sentez-vous pas mal… intérieurement ?
- Vous insinueriez que le problème vient de moi ?
- Dans certains cas, il est possible qu’un grand stress ou une importante dépression puisse soit provoquer la chute des cheveux, soit l’apparition d’une mèche de cheveux blancs. Cependant, votre cas est tout à fait particulier… Je n’ai jamais vu de toute ma carrière, une personne se retrouver après une nuit de sommeil, la tête couverte de cheveux blancs !
- Non, je n’ai pas de problèmes, juste une collègue un peu trop sur mon dos, mais dont j’ai l’habitude de subir les sarcasmes.
Je n’osai pas lui faire part de mes cauchemars, car j’étais persuadée qu’il me « collerait » l’étiquette de « patiente aux problèmes psychologiques ».
- Écoutez, madame Delfeuille, la seule chose que je puisse faire, c’est vous donner les coordonnées d’un très bon psychologue…
Il prit un bout de papier qui traînait sur son bureau, y nota le nom et le numéro de téléphone de ce psychologue et me le tendit :
- C’est un ami à moi. Il est très à l’écoute de ses patients…
- Merci.
J’avais envie de lui crier que je n’avais pas besoin de consulter un psychologue !
Je sortis cependant poliment du bureau, déchirai les coordonnées qu’ils m’avaient tendues dans le couloir puis rentrai chez moi. Avoir des problèmes psychologiques ! Moi ! Impossible ! Tout allait bien il y a encore deux jours !
Au fond de moi, j’étais certaine que quelque chose se produisait la nuit et avait déclenché des événements dont j’allais devoir subir les conséquences.
Chaque matin, je me réveillais sans le moindre souvenir des événements qui s’étaient déroulés, mais avec, pour seules traces, le code D312 imprimé dans ma chair et le vieillissement prématuré de mon corps. Je devais ainsi, chaque matin, contempler le reflet d’une femme que je ne reconnaissais plus et que je voyais vieillir de jour en jour à une vitesse extraordinaire sans pouvoir rien n’y faire. Chaque matin, je me trouvais dans un état d’affolement et de peur grandissant que j’arrivais de moins en moins à calmer.
Le comble de ma détresse et de mon désespoir fut la visite de ma petite-fille :
- Mamy ! Mamy ! criait-elle en courant partout dans la maison pour me trouver. Où tu es ?
- Je suis en haut ma chérie !
Je l’entendis gravir les escaliers à toute vitesse.
- Mamy ! Où tu…
Elle s’arrêta net et me contempla les yeux ronds :
- Qui êtes-vous ?
Ses paroles me blessèrent profondément, mais je ne pouvais lui en vouloir. Ma propre fille eut également du mal à me reconnaître et je pus lire une grande inquiétude dans ses yeux. Elle me proposa d’ailleurs de quitter l’air pollué de la ville pour m’installer chez eux à la campagne, peut-être que cela me ferait du bien. Je refusai d’abord mais devant les supplications et les bonds d’espoir de Manon, je ne pus qu’accepter.
Je déménageai ainsi le week-end même et l’air de la campagne me fit, comme espéré, le plus grand bien. Mon état se stabilisa : je ne fis plus de cauchemars, ni ne continuai à vieillir.
Je commençais à reprendre des forces lorsqu’un jour, on reçut un colis qui m’était destiné. Il était emballé dans une immense boîte en carton et, très intriguée, Manon sautillait d’excitation :
- Dis Mamy, je peux l’ouvrir dit ?!
- Bien sûr !
Pendant qu’elle s’attelait à sa tâche, je lus la lettre écrite en rouge sang qui l’accompagnait :

Chère Danielle,

Veuillez accepter ce présent en gage de notre éternelle amitié.

Votre ami, Hadès

Je levai les yeux. À cet instant précis, Manon parvint à ouvrir l’emballage. Celui-ci découvrit un miroir haut de deux mètres encadré d’or. Je m’évanouis…
On n’échappe pas à l’enfer, ni à la mort. Nous sommes tous destinés à y succomber un jour. Dans mon cas, elle ne tarda pas…

 
 
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