Dans les calendriers des
livres d’Heures, le mois de janvier est traditionnellement illustré
par une scène de repas dans un intérieur chauffé.
Ici, l’artiste nous propose un épisode de la vie à la cour du duc de
Berry, une scène de banquet qui, à l’occasion des étrennes, célèbre la
puissance et la splendeur du commanditaire du livre d’Heures. Il
applique au duc, l’image chaleureuse et généreuse, qui constitue
traditionnellement l’image du prince idéal.
Le duc prend ,dans cette miniature, en fait la
place du dieu Janus
bifrons, qui était traditionnellement
représenté dans les calendriers médiévaux au mois de janvier,
festoyant et regardant à la fois l'année passée et l'année à
venir.
Le
jour de l’an 1415 fut célébré avec plus de faste que jamais. Tout dans
cette miniature exprime l’euphorie du moment : après trois années de
guerre, une paix fragile entre Armagnacs et Bourguignons couronne à
cette date l’activité diplomatique déployée par Jean de Berry.
Dans la grande salle d’un
de ses Hôtels (l'hôtel de Giac à Paris, dans l'actuel quartier de Bercy, l'hôtel de Nesles ?) Jean de Berry, assis à la table du banquet, représenté
de profil comme un empereur romain, tient sa cour. Il reçoit les vœux
et les étrennes de ses vassaux. Cette scène témoigne d’un cérémonial
très codifié. Dans la société féodale, le seigneur et ses vassaux ont
des obligations réciproques. Pour les étrennes, le seigneur se doit de
faire à ses vassaux cadeaux et "largesse". On sait, par les livres de
comptes, que cette année-là, le duc reçut 27 présents précieux.
Parmi les donateurs
figurent Charles d’Orléans, les fidèles parents de Jean et le cardinal
de Pise (peut-être le prélat représenté à sa droite).
L’artiste a représenté le
duc dans des vêtements luxueux :
une houppelande bleue et or, au col
montant entouré d’un collier d’or. Il est coiffé d’un bonnet de
fourrure .
La tête tournée vers le groupe des arrivants en grande toilette, il
attend que ses gens et ses proches se présentent à lui, à l’invitation
du chambellan [en manteau aux couleurs du dais] qui dit : "approche,
approche" (inscription en lettres d’or).
Les
trois frères de Limbourg se sont peut-être représentés dans cette
miniature, comme dans d'autres des Belles Heures et des
Petites Heures: L’homme
au bonnet gris, replié sur l’oreille, serait Pol de Limbourg. Il porte
une livrée aux couleurs du duc de Berry.
L’un de ses frères, passant près du buffet, boit du vin ; en voile
bleu, derrière lui, Gillette, jeune épouse de Pol, mange un petit
four.
Le troisième frère apparaîtrait au-dessus des deux autres.
|
|
|
A sa gauche, derrière lui,
deux personnages appartenant à son cercle d’intimes comme le suggère
le geste de celui qui est accoudé familièrement sur le dossier de la
banquette. (ces 2 personnages se retrouvent en avril, mai et août). |
|
A la droite du duc, à la
place d’honneur un prélat en manteau pourpre , remercie de l’honneur
qui lui est fait. |
Autour de la table, au
premier plan figure le personnel de service. Tous sont somptueusement
vêtus. (Au Moyen-âge, les convives ne s’asseyaient à table que sur un
seul rang )
- L’échanson [à l’extrême gauche, le personnage de face en bleu]
remplit les coupes en or qu’il offre aux invités derrière lui :
officier de table qui remplit les coupes à la table d’un prince ou
d’un roi.
- le panetier [au centre, le personnage de dos en gris-bleu clair] :
officier de table qui s’occupe du fonctionnement de la boulangerie
princière et sert à table lors des grandes cérémonies princières ou
royales.
- l'écuyer tranchant [au centre, le personnage de dos en vert]
:officier de table qui s’occupe des viandes et sert à table lors des
grandes cérémonies princières ou royales.
- les chiens familiers du Duc : [à l'extrême droite], deux petits
chiens se promènent sur la table
à proximité d'une nef d'or dont l'ours et le cygne sont des emblèmes
du Duc, et qui était un récipient en forme de bateau contenant les
objets de table personnels du maître (couteau, cuiller, sel et
épices). [En bas, à
droite], se trouve un lévrier blanc, chien évoquant à cette époque la
puissance de la noblesse. Un serviteur lui donne à manger.
Le
luxe des nombreuses pièces d’orfèvrerie placées sur le dressoir [à
gauche de l’image], comme le voulait la coutume, la table aux plats
bien garnis, témoignent du faste déployé dans les repas princiers du
XVe siècle. Nouveauté : même si les convives vont manger avec leurs
doigts car il n’y a pas de fourchettes et les couteaux ne servent qu’à
l’écuyer tranchant, on doit noter, sur la table, la présence
d’assiettes. A l’extrême droite, une nef d'or, récipient en forme de
bateau contenant les objets de table personnels du maître (couteau,
cuiller, sel et épices). Cette nef est décorée de l’ours et du cygne,
emblèmes symbolisant le nom de la Dame du duc, Ursine : urs (ours) et
sine (cygne), que l’on retrouve sur le dais au-dessus de la cheminée.
Une légende rapportée par un poème du roi René (1457) dit que le duc
rapporta ces emblèmes d’Angleterre où il fut prisonnier.
Un intérieur luxueux, où il
fait bon vivre : les personnages sont assis devant le feu d'une
cheminée dissimulée derrière un grand écran d'osier blanc.
Au dessus de la cheminée, un dais de soie rouge est orné en son centre
des armes du duc de Berry, d'azur semé de fleurs de lis d'or sur fond
de gueules, avec des ours et des cygnes
blessés
qui symbolisent sans doute l'amour du Duc pour une dame surnommée
Ursine, à décomposer en urs (ours) et sine (cygne).
Le prince trône directement sous le dais, ce qui renforce l’impression
de majesté romaine. Une tapisserie représentant des chevaliers au
combat. Les uns sortent d’un château, les autres viennent de la ville
située dans le lointain. Les vers en légende identifient la scène à un
épisode de la guerre de Troie mais les étendards rouges à croix
blanches (à droite du dais) sont aux couleurs du parti des Armagnacs
qui combattent les Bourguignons. Par un effet d’optique, les
personnages de la tapisserie semblent sortirent du mur et vouloir se
mêler aux invités.
Le luxe de la table, des
vêtements, le foisonnement des couleurs, l’utilisation du lapis-lazuli
et de l’or, se conjuguent pour mettre en valeur la fortune du prince,
ses pouvoirs économique et politique. |