Le comte de Foix et de Béarn, Gaston III

(1331-1391)

Il méritait son surnom de Phébus car il fut un des princes les plus brillants du XIVe siècle. Vaillant chevalier, fin politique, mécène, il aimait la musique (il fut peut-être l’élève de Guillaume de Machaut), les belles enluminures, la poésie ;le consistoire de la Gaie Science de Toulouse lui donna la première récompense pour une chanson en langue d’oc.  Chasseur passionné, il composa entre 1387 et 1389 un savant traité, orné de superbes enluminures en style gothique international, le Livre de la Chasse1. Cet ouvrage eut rapidement un grand succès ; il fut traduit en anglais au début du XVe siècle et diffusé ensuite dans toute l’Europe par l’imprimerie. Au XVIIIe siècle encore, Buffon s’y référait.

Gaston Phébus entouré de chasseurs.

Gaston Phébus, Livre de chasse
France, Paris, XVe siècle.

Paris, BnF, Département des manuscrits, Français 616 folio 54.

La chasse au sanglier

"C'est une orgueilleuse et fière bête et périlleuse…

…Quand il est échauffé ou courroucé ou blessé, le sanglier court sus à tout ce qu'il voit devant lui. Il demeure au plus fort bois et au plus épais qu'il peut trouver, et fuit par le couvert et le fort, car il ne voudrait pas qu'on le vît, parce qu'il ne se fie point à sa fuite, mais à sa défense et à ses armes…

Quand il fuit, il fait peu de ruses, à moins qu'il ne veuille demeurer, mais il court sus aux chiens et aux gens. Même si on le frappe ou si on le blesse, il ne se plaint point, ni ne crie mais, quand il vient courre sus aux hommes, il menace fort en grognant. Mais tant qu'il se peut défendre, il se défend sans se plaindre, et quand ils ne se peuvent plus défendre, il y a peu de sangliers qui ne se plaignent et crient, quand ils sont sur le point de mourir."

patienceChapitre LIII – Ci devise comment on doit chasser et prendre le sanglier

Le veneur doit chevaucher en suivant ses chiens de près ; et s’il veut quand il est à cheval, porter un épieu dans sa main, il a bien raison, encore que ce soit plus belle chose et plus noble de frapper le sanglier de l’épée. Mais il ne peut pas toujours le frapper de l’épée car si un sanglier attaque un homme face à face et qu’on ne le vienne pas acouer par derrière ou que les lévriers ne le tiennent point, il ne le touchera jamais de son épée. Tandis que s’il a son épieu, il pourra bien souvent l’atteindre en le lançant, s’il sait bien s’y prendre, là où il ne pourrait y parvenir avec l’épée […].

Le livre de chasse, folio 29v

Chapitre LIV – Ci devise comment on doit férir le sanglier

[…] Certains frappent le sanglier en tenant l’épieu sous la main ; d’autres le mettent sous l’aisselle comme s’ils voulaient jouter : ce sont deux mauvaises positions car ils ne peuvent donner toute leur force. Et s’il veut descendre aux abois parmi les forts, ce ne sera pas mon avis, s’il n’a lévriers, dogues ou mâtins ; car s’il manque son coup, ce qui arrive volontiers car le sanglier se couvre très bien de sa tête, l’animal ne manquera pas de le tuer ou de le blesser. […] Toutefois, s’il est assez fou pour le faire, il doit avoir un épieu croisé, bien aigu et bien tranchant, avec une hampe solide. Et il doit prendre garde de manquer son coup et tenir son épieu par le milieu, autant devant que derrière.

Manuscrit français 616, Bibliothèque Nationale, Paris

Flaubert et le Livre de chasse
 
Flaubert se documentait beaucoup pour chacun de ses livres. Avant d’écrire
La légende de saint Julien l’Hospitalier, l’un de ses trois contes, on sait qu’il a lu le Livre de chasse de Gaston Phébus.
Cet extrait du conte contient des références implicites aux conseils de Gaston Phébus.

Leçon de chasse

Le soir, pendant le souper, son père déclara que l'on devait à son âge apprendre la vénerie ; et il alla chercher un vieux cahier d'écriture contenant, par demandes et réponses, tout le déduit des chasses. Un maître y démontrait à son élève l'art de dresser les chiens et d'allaiter les faucons, de tendre les pièges, comment reconnaître le cerf à ses fumées, le renard à ses empreintes, le loup à ses déchaussures, le bon moyen de discerner leurs voies, de quelle manière on les lance, où se trouvent ordinairement leurs refuges, quels sont les vents les plus propices, avec l'énumération des cris et les règles de la curée.
Quand Julien put réciter par cœur toutes ces choses, son père lui composa une meute.
D'abord on y distinguait vingt-quatre lévriers barbaresques, plus véloces que des gazelles, mais sujets à s'emporter ; puis dix-sept coupes de chiens bretons, tiquetés de blanc sur fond rouge, inébranlables dans leur créance, forts de poitrine et grands hurleurs. Pour l'attaque du sanglier et les refuites périlleuses, il y avait quarante griffons poilus comme des ours. Des mâtins de Tartarie, presque aussi hauts que des ânes, couleur de feu, l'échine large et le jarret droit, étaient destinés à poursuivre les aurochs. La robe noire des épagneuls luisait comme du satin ; le jappement des talbots valait celui des bigles chanteurs. Dans une cour à part, grondaient, en secouant leur chaîne et roulant leurs prunelles, huit dogues alains, bêtes formidables qui sautent au ventre des cavaliers et n'ont pas peur des lions.
Tous mangeaient du pain de froment, buvaient dans des auges de pierre, et portaient un nom sonore.
La fauconnerie, peut-être, dépassait la meute ; le bon seigneur, à force d'argent, s'était procuré des tiercelets du Caucase, des sacres de Babylone, des gerfauts d'Allemagne, et des faucons pèlerins, capturés sur les falaises, au fond des mers froides, en de lointains pays. Ils logeaient dans un hangar couvert de chaume, et, attachés par rang de taille sur le perchoir, avaient devant eux une motte de gazon, où de temps à autre on les posait afin de les dégourdir.
Des bourses, des hameçons, des chausse-trapes, toute sorte d'engins, furent confectionnés.
Souvent on menait dans la campagne des chiens d'oysel, qui tombaient bien vite en arrêt. Alors des piqueurs, s'avançant pas à pas, étendaient avec précaution sur leur corps impassibles un immense filet. Un commandement les faisait aboyer ; des cailles s'envolaient ; et les dames des alentours conviées avec leurs maris, les enfants, les camérières, tout le monde se jetait dessus, et les prenait facilement.
D'autres fois, pour débucher les lièvres, on battait du tambour ; des renards tombaient dans des fosses, ou bien un ressort, se débandant, attrapait un loup par le pied.
Mais Julien méprisa ces commodes artifices ; il préférait chasser loin du monde, avec son cheval et son faucon. C'était presque toujours un grand tartaret de Scythie, blanc comme la neige. Son capuchon de cuir était surmonté d'un panache, des grelots d'or tremblaient à ses pieds bleus : et il se tenait ferme sur le bras de son maître pendant que le cheval galopait, et que les plaines se déroulaient. Julien, dénouant ses longes, le lâchait tout à coup ; la bête hardie montait droit dans l'air comme une flèche ; et l'on voyait deux taches inégales tourner, se joindre puis disparaître dans les hauteurs de l'azur. Le faucon ne tardait pas à descendre en déchirant quelque oiseau, et revenait se poser sur le gantelet, les deux ailes frémissantes.
Julien vola de cette manière le héron, le milan, la corneille et le vautour.
Il aimait, en sonnant de la trompe, à suivre ses chiens qui couraient sur le versant des collines, sautaient les ruisseaux, remontaient vers le bois ; et, quand le cerf commençait à gémir sous les morsures, il l'abattait prestement, puis se délectait à la furie des mâtins qui le dévoraient, coupé en pièces sur sa peau fumante.
Les jours de brume, il s'enfonçait dans un marais pour guetter les oies, les loutres et les halbrans.
Trois écuyers, dès l'aube, l'attendaient au bas du perron ; et le vieux moine, se penchant à sa lucarne, avait beau faire des signes pour le rappeler, Julien ne se retournait pas. Il allait à l'ardeur du soleil, sous la pluie, par la tempête, buvait l'eau des sources dans sa main, mangeait en trottant des pommes sauvages, s'il était fatigué se reposait sous un chêne ; et il rentrait au milieu de la nuit, couvert de sang et de boue, avec des épines dans les cheveux et sentant l'odeur des bêtes farouches. Il devint comme elles. Quand sa mère l'embrassait, il acceptait froidement son étreinte, paraissant rêver à des choses profondes.
Il tua des ours à coup de couteau, des taureaux avec la hache, des sangliers avec l'épieu ; et même une fois, n'ayant plus qu'un bâton, se défendit contre des loups qui rongeaient des cadavres au pied d'un gibet.
 

Gustave Flaubert, Trois contes.

 

 

Anonyme florentin, La Chasse (vers 1450) Tempera sur bois (peuplier), 27 x 236 cm

Toulouse, musée des Augustins

Cette oeuvre, qui évoque un des divertissements favoris de l’aristocratie, fut sans doute commandée par un prince italien, Frédéric de Montefeltre duc d’Urbino.

Diptyque des Ducs d'Urbino, vers 1474, Piero della Francesca, (Florence, Uffizzi).

Voir aussi: www.edu.augustins.org/pdf/second/ital/itab01s.pdf