Le chant des oylseaulx
De tout temps, les poètes ont associé le printemps et les oiseaux à
l’amour et à la musique. Ce parallèle allégorique repose en partie sur la
métaphore de l’éveil : éveil des oiseaux dans le jour naissant, de la
nature au mois de mai, des sens et de la passion dans le cœur des amants.
Oiseaux, printemps, amour et musique ont en commun l’exubérance – celle du
chant, symbolisée en poésie par les oiseaux, et en musique par la voix
humaine imitant l’oiseau au moyen d’associations verbales métaphoriques.
La Renaissance foisonne de chansons fondées sur cette association,
certaines s’attachant à exploiter les possibilités descriptives ou
imitatives des textes, d’autres leurs qualités intellectuelles et
expressives. En France, deux compositeurs parmi les plus doués de leur
génération exploitèrent au maximum chacune de ces possibilités : Clément
Janequin dans la première partie du XVIe siècle et Claude Lejeune dans la
seconde.
À l’instar de la plupart des musiciens de la Renaissance, Janequin était
un ecclésiastique. Rattaché dans un premier temps à diverses églises de la
province de Bordeaux dont il était originaire, il fut ensuite nommé à la
cathédrale d’Auch puis d’Angers, avant d’aller s’établir à Paris dans les
années 1540. D’abord chantre, puis vers la fin de sa vie, compositeur du
roi, Janequin parvint à se tailler une solide réputation de compositeur
(nous lui devons plus de deux cent cinquante chansons) bien que n’étant
officiellement rattaché ni à une cathédrale ni à la cour de France. Cette
renommée, durant ses années de jeunesse tout au moins, reposait pour
l’essentiel sur sa capacité à composer de longues pièces narratives et
descriptives comme La chasse ou Les cris de Paris, que le grand imprimeur
libraire de Paris, Pierre Attaingnant, contribua à divulguer largement à
la fin des années 1520.
Le chant des oyseaulx est sans conteste l’une de ses pièces les plus
célèbres. Avant tout descriptive et fondée sur l’imitation syllabique,
sansonnets et rossignols y rivalisent de virtuosité. Les premiers vers du
texte nous offrent un large aperçu des variantes métaphoriques rattachées
au chant des oiseaux et au printemps :
Réveillez vous cueurs endormis,
Le dieu d'amours vous sonne.
A ce premier jour de may
Oyseaulx feront merveilles.
Typique de la chanson descriptive, la pièce est traitée en phrases courtes
et simples dont l’intérêt musical repose sur des jeux rythmiques enlevés
et un enchevêtrement brillant des voix plutôt que sur le lyrisme mélodique
ou le contrepoint savant. Dans la même veine, Le chant de l’alouette, à
l’instar de nombreuses compositions de Janequin, inspira des arrangements
pour instruments seuls comme celui pour guitare de Grégoire Brayssing.
La débordante vitalité rythmique de Janequin se retrouve également dans
ses pièces plus courtes et conventionnelles. Certaines (comme Ce moy de
may, A ce joli mois de may, et M’amye a eut) se concentrent sur
l’exubérance – charnelle et spirituelle – du printemps.
D’autres s’en reviennent au thème des oiseaux, mais traités cette fois en
métaphores poétiques et non plus en simples objets d’imitation. Ainsi, le
rossignol devient le messager des amoureux dans Va Rossignol et le symbole
de l’amour naissant dans Bel aubépin, tandis que l’hirondelle et le coucou
nous parlent de l’infidélité dans Si Dieu et Si le coqu. Sur l’aubépin et
Si Dieu vouloit puisent leur argument dans le mythe classique de Progne et
Philomel, deux sœurs transformées l’une en hirondelle et l’autre en
rossignol dans les Métamorphoses d’Ovide, et plus tard repris par Esope et
La Fontaine. Lorsque les oiseaux se taisent, comme dans Quelqu’un me
disoit, c’est la fin des amours ou même, comme dans Qu’est devenu ce bel
œil de Lejeune, la fin de la vie elle-même.
Quoi que plus riche d’événements, la carrière de Claude Lejeune n’en fut
pas moins hasardeuse que celle de Janequin. D’obédience protestante à une
époque de fortes tensions religieuses, il connut des hauts et des bas.
Tantôt au service de la famille royale, tantôt sous la protection de
nobles huguenots, il du quitter Paris en hâte pour sauver sa peau,
laissant derrière lui ses manuscrits qui, sans l’intervention d’un ami et
collègue catholique, auraient disparu dans les flammes.
Dans les années 1570, alors qu’il était au sommet de sa carrière, Lejeune
fut l’une des figures marquantes de la très confidentielle Académie de
Poésie et de Musique, fondée par le poète Jean-Antoine de Baïf ;
l’équivalent français, quoi que plus guindé, des camerate (ou sociétés
intellectuelles) italiennes sous l’impulsion desquelles l’opéra vit le
jour à la fin du XVIe siècle. De sa fructueuse collaboration avec
l’Académie, et en particulier avec de Baïf, nous est resté un recueil
posthume de chansons intitulé Le Printens au nombre desquelles se trouve
Voicy du gay printemps. Certaines de ces pièces à la poésie raffinée
appliquent les principes de l’Académie en matière de versification et de
musique mesurée à l’antique qui entendaient conjuguer les règles de la
versification classique et celles de la poésie française moderne moyennant
un contrôle strict de la valeur des notes. Il en résulta une forme de
musique ésotérique mais néanmoins, entre les mains de Lejeune,
saisissante, avec très peu de contrepoint mais à la rythmique si libre
qu’elle abandonne fréquemment toute notion de battue régulière. Le
Printens comporte également deux superbes hommages à Janequin, versions
remaniées du Chant de l’alouette et du Chant du Rossignol, auxquelles des
vers ont été rajoutés.
Une autre tentative expérimentale de l’Académie - moins bien documentée
celle-là - consistait à remettre à l’honneur la théorie harmonique
grecque, qui a sans doute inspiré Qu’est devenu ce bel œil, une élégie de
Lejeune sur le thème de l’amour et la mort.
Moins raffinés, quoi qu’abordant les thèmes du printemps et des oiseaux,
et peut-être plus authentiquement rustiques, sont les textes en patois
comme celui de Débat de nostre tril’en may, également connu sous le titre
de Vilagoise de Gascogne.
Tenter de reproduire la complexité de chansons imitatives dominées par le
texte sur un modeste instrument comme la guitare à quatre choeurs de la
Renaissance, était, à tout le moins, une entreprise audacieuse. Mais sans
doute la gageure était-elle irrésistible, car nombreux furent les
musiciens de tous bords à la relever. C’est ainsi que Grégoire Brayssing,
un luthiste d’origine allemande résidant à Paris, jeta son dévolu sur le
chant de L’alouette, tandis qu’Adrian Le Roy – imprimeur musical de son
état - s’attelait plus modestement à l’arrangement pour guitare solo de
Quand viendra la clarté d’Arcadelt (bien que la partition comporte les
paroles et la musique, la partie pour guitare y figure à part). Pour être
des œuvres instrumentale pures, les Fantaisie et Prélude qui précèdent ces
arrangements n’en comportent pas moins des allusions aux oiseaux, ainsi
que l’atteste la présence de la grue, dans la Fantaisie de Brayssing.
Jonathan Le Cocq, novembre 2004
http://www.satirino.fr/fr_ens_ecj.php?MNID=15&MIID=3&Lang=FR#cdp
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