À la mort de Turner, son legs à la nation
britannique fit entrer dans les musées londoniens vingt mille uvres
de sa main (peintures et aquarelles) qui allaient être désormais
regardées par les peintres.
Après les toiles classiques de ses débuts,
lart de Turner avait évolué vers une technique plus
libre. Ses derniers paysages - des vues de rivières traduisant
son intérêt pour les effets de lumière diffuse -,
particulièrement admirés de Monet plus tard, rencontrèrent
lincompréhension pour leur caractère flou, où
certains croyaient voir un « manque de fini » :
cette même critique que connaîtraient Whistler comme les impressionnistes,
accusés de laisser leurs uvres à létat
« inachevé ». Turner serait aimé des
impressionnistes autant que des symbolistes, sensibles à son mystère.
Chronologie
1775
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23
avril (?) : naissance de Joseph Mallord William Turner près
de Covent Garden à Londres.
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1790
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Expose
pour la première fois à la Royal Academy de Londres (une aquarelle).
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1796
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Première
exposition de peintures à l’huile à la Royal Academy.
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1802
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Se
rend pour la première fois sur le continent; visite le Louvre.
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1804
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Commence
à exposer certaines de ses toiles dans sa propre galerie de Queen Anne
Street.
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1807
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Publication
de la première partie de son Liber Studiorum.
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1819
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Premier
voyage en Italie, séjourne brièvement à Venise.
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1833
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Deuxième
séjour à Venise.
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1833-1835
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Publication
du Turner’s Annual Tour en plusieurs volumes, avec des
gravures de ses vues de la Loire et de la Seine.
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1837
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Nouvelle
publication de l’ensemble de ses gravures des rivières françaises
sous le titre The Rivers of France, accompagnées de textes en
français et en anglais.
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1840
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Juin :
Turner fait la connaissance du jeune John Ruskin; un peu plus
tard cette année-là, il se rend pour la dernière fois à Venise.
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1841-1844
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Séjours
annuels en Suisse.
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1843
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Publication
du premier volume des Modern Painters de Ruskin, surtout consacré
à la défense de Turner.
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1844
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Exposition
de Pluie, vapeur et vitesse à la Royal Academy.
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1845
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Turner
effectue ses derniers séjours en France au début de l’automne.
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1846
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Octobre :
Turner emménage au 6, Davis Place, Cremorne New Road, dans le
quartier de Chelsea à Londres, où il vit sous le nom d’Admiral
Booth.
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1847
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Robert
Vernon fait don à la National Gallery d’œuvres de peintres
contemporains, parmi lesquelles figure la première peinture à
l’huile de Turner à entrer dans la collection nationale britannique.
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1850
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Exposition
à la Royal Academy de ses dernières œuvres, une série de quatre
peintures dans la manière Claude Lorrain.
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1851
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19
décembre : Turner meurt chez lui, à Chelsea; il est
enterré dans la cathédrale Saint-Paul à côté d’autres membres
illustres de la Royal Academy.
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1852
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Décembre :
conformément aux dernières volontés de Turner, deux de ses tableaux,
Didon construisant Carthage et Lever de soleil dans la brume,
sont exposés à la National Gallery, à côté de tableaux de Claude
Lorrrain.
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1857
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L’exposition
Art Treasures présente 24 peintures à l’huile et 83
aquarelles de Turner (toutes achevées).
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1857-1858
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Ruskin
est autorisé à sélectionner des aquarelles et des dessins du legs
Turner pour une présentation publique à Marlborough House :400
sont encadrés, d’autres exposés tels quels et le reste conservé
dans des caisses.
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1859
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Décembre :
ouverture de la British School Gallery au South Kensington
Museum; les toiles des legs Vernon et Turner (y compris les aquarelles
sélectionnées par Ruskin), jusque là conservées à Marlborough
House, y sont transférées.
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1861
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Octobre :
la première galerie entièrement consacrée à Turner ouvre
dans l’aile ouest de la National Gallery; y sont exposés 94 tableaux
et 6 aquarelles.
Au musée de South Kensington, deux salles restent consacrées aux études
de Turner (dont 194 sont encadrées).
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1869
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Janvier :
d’autres aquarelles de Turner sont mises à la disposition des
étudiants (qui doivent solliciter une autorisation pour les étudier)
au sous-sol de la National Gallery.
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1872
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Tous
les tableaux du legs Turner qui étaient au South Kensington Museum réintègrent
la National Gallery.
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1874
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Mars-avril :
des tableaux de Turner sont vendus aux enchères à Paris; ce seraient
les premières œuvres de Turner présentées au public dans la
capitale française.
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Avril :
une eau-forte
de Félix Bracquemond d’après Pluie, vapeur et vitesse est présentée
à la première exposition impressionniste.
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1876
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Fin
des travaux entrepris depuis 1872 à la National Gallery ; les
aquarelles de Turner qui étaient restées au musée de South
Kensington, sont présentées dans 60 vitrines au sous-sol.
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1878
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300
aquarelles de Turner sont retirées des vitrines et accrochées aux
murs du sous-sol de la National Gallery.
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Mars :
des aquarelles du peintre provenant de la collection de Ruskin sont
exposées à la Fine Art Society de Londres.
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1887
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Les
peintures à l’huile de Turner sont exposées dans deux salles du
rez-de-chaussée de la National Gallery.
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Février-mars :
des tableaux
de Turner sont présentés à Paris dans le cadre d’une exposition
dont le produit est destiné aux victimes des inondations du Midi.
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1890
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Quelques-unes
des dernières œuvres de Turner sont visibles dans la collection
Camille Groult à Paris.
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1899
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Avril-juillet :
grande exposition de peintures à l’huile et d’aquarelles de Turner
prêtées à la Guildhall Art Gallery de Londres.
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1906
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Les œuvres
inachevées du legs Turner sont cataloguées et exposées à la Tate
Gallery.
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Quelques
citations
« J'ai
vu beaucoup de Turner (Whistler que nous aimions tant l'imite énormément) »
Berthe
Morisot
lettre à sa sœur Edma, Londres, 1875
« Turner
naquit académicien et mourut impressionniste. […] Si le mot
impressionniste eût été inventé, on le lui eût crié comme une injure
[…]. Aujourd'hui que l'épithète est devenue glorieuse, on peut
l'accoler au nom de Joseph Mallord William Turner. L'impressionnisme de
Turner n'est pas niable. À partir du jour où il rompit délibérément
avec les anciennes formules, il fit des phénomènes de la lumière l'étude
constante et acharnée de sa vie. Il décomposa le prisme solaire, chercha
à en exprimer sur la toile les effets magiques au moyen de la combinaison
des tons simples qui le composent. […] Le récent procédé des
impressionnistes français, de Claude Monet et de son école, la
juxtaposition des tons simples qui produit, à distance, des vibrations
d'une intensité prodigieuse, on le trouve en germe dans l' œuvre de
Turner. […] Ce qui fait l'originalité de Turner, c'est que l'imagination
et l'observation livrèrent constamment bataille dans son âme d'artiste
[…]. C'est le résultat des deux courants qui emportaient son art dans
des directions différentes et entre lesquels il demeura ballotté. En se
laissant audacieusement voguer sur l'un d'eux, Turner eût peut-être, un
demi-siècle avant Manet, Claude Monet et Renoir, créé l'école
impressionniste qu'il avait vaguement pressentie. »
Émile
Verhaeren
« L'impressionniste Turner »,
L'Art moderne de Bruxelles, 20 sept. 1885
« […]
saviez-vous que je suis allé à Londres voir Whistler et que j'ai passé là
une douzaine de jours, émerveillé de Londres et aussi de Whistler qui est
un grand artiste? »
Claude
Monet
lettre à Théodore Duret, 13 août 1887
« S'il
est vrai que Turner aima juxtaposer certains Turner à certains Claude
Lorrain, on concevrait qu'on plaçât certains Monet à côté de certains
Turner. Ce serait comparer deux aboutissements, rapprocher deux dates de
l'Impressionnisme, ou plutôt ? car les appellations d'école sont décevantes
[?]-, ce serait rapprocher deux dates d'une histoire de la sensibilité
visuelle. »
Gustave
Kahn
« L'Exposition Claude Monet »,
Gazette des Beaux-Arts, 1er juill. 1904
« Dans
le temps j'ai beaucoup aimé Turner, aujourd'hui je l'aime beaucoup moins.
[…] Il n'a pas assez dessiné la couleur et il en a trop mis ; je l'ai
bien étudié. »
Claude
Monet
cité par René Gimpel,
Journal d'un collectionneur, marchand de tableaux,
Paris, Calmann Lévy, 1963, à la date du 28 nov. 1918
« Son
effort [celui de Monet] se rattache à celui de Turner, mais combien il est
différent, dégagé de toute attache classique, et d'ailleurs, d'une
personnalité si tranchée, si complète, que jamais, dans la suite des
temps, quand même toute signature aurait disparu, on ne pourrait prendre
un de ces « Monet » pour un « Turner ». Les
toiles de Monet sont d'une lumière plus unifiée, d'une coloration plus
soutenue dans la clarté […]. S'il me fallait établir une analogie, je
la verrais plutôt avec Whistler : bien que celui-ci ait peint,
surtout des nocturnes, des nuits de velours bleu pointillées d'or, mais ce
n'est pas de cette ressemblance-là qu'il s'agit. Claude Monet, comme
Whistler, a peint des harmonies, et comme lui, aurait pu donner pour titres
à ses tableaux des dominantes de couleurs et de nuances. En réalité,
Claude Monet est surtout lui-même, un des plus subtils et des plus
puissants peintres qui aient existé, mais il est aussi un grand poète … »
Gustave
Geffroy
Claude Monet, sa vie, son temps, son oeuvre,
Paris, Crès, 1922; rééd. 1924
« Les
Vues de la Tamise de Monet se rapprochent des Nocturnes
de Whistler, elles contiennent une musicalité de la nuance qui se
transposerait aisément de l'œil à l'ouïe, et enfin elles se relient aux
derniers vœux de ce glorieux Turner que Monet, le Turner français, est
venu honorer, et non braver, jusque dans sa vieille Cité. Toute cette série,
symphonie, ou suite d'orchestre, sur la Tamise, est profondément pénétrée
du caractère londonien. »
Camille
Mauclair
Claude Monet, Paris, Rieder, 1924 ; rééd. 1927
« Il
me semblait que Turner devait être le passage entre la tradition et
l'impressionnisme. J'ai trouvé, en effet, une grande parenté de
construction par la couleur dans les aquarelles de Turner et les tableaux
de Claude Monet. »
Henri
Matisse
cité par Raymond Escholier, Matisse, ce vivant, Paris, Fayard, 1956
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