Enguerrand
Quarton
Le
Couronnement de la Vierge
1454
Musée Pierre du Luxembourg,
Villeneuve-les-Avignon (183x220)
Ce
grand retable peint pour la Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon
fut sauvé de la destruction par Prosper Mérimée qui le
remarque en 1834. Il est alors transporté à l' hospice de
Villeneuve en 1872. Son prix-fait est découvert et publié par
le chanoine Requin en 1889.
Le retable était destiné à un autel de l’église de la
Sainte Trinité qui faisait partie d’une Chartreuse.
L' attribution à un commanditaire à fait l' objet de publications
récentes, qui ont fait avancer notre connaissances de
l'oeuvre.
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Le
prix-fait
détaille de manière très précise le programme
iconographique. On y remarque une forte implication d'
Enguerrand Quarton dans le descriptif qui en est fait, comme en
témoignent les expressions Picardes que l' on retrouve ça et là.
Le délai d’exécution est fixé à 17 mois, afin que le
retable puisse être mis en place pour la saint Michel ; c’est
à dire vers le 29 septembre 1454. On sait aussi qu’il a été
payé 17 florins d’ Avignon.
Le panneau était prévu pour être sommé d’un superciel
peint d’un damas fleurdelisé mais ne comportait pas de prédelle.
Le prix-fait prescrit une exécution a l ’huile et l’emploi
de l’ azur d’ Âcre et de l’ or fin bruni.
En
fait, il est peint à la détrempe d’oeuf. Il est probable que
l’on y ait ajouté de l’huile : l’huile était à l’ époque
un constituant de la détrempe mais il n’y avait en aucun cas
de "peinture à l’huile" telle que l’on a pu en
utiliser plus tard.
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L'
état de conservation est relativement satisfaisant, hormis les
laques rouges et bleues qui se sont délitées (à cause d' une
erreur de proportions dans les composants). Les mêmes laques
ont été utilisées sur la pietà du Louvre, avec les mêmes
conséquences (voir la section consacrée à ce panneau).
En effet, afin d’ économiser l’ outremer, très cher, l’ébauche
du manteau de la Vierge et du ciel ont été réalisées en bleu
sombre, très certainement en azur d’ Allemagne tel qu’en
mentionne le prix-fait. Les deux couches superposées ont mal séché
et se sont agglutinées.
On peut aussi mentionner l’existence de coulures de chaux dues
à des infiltrations d’eau dans la pièce où était conservé
le retable.
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Ces
dommages sont malheureusement irrestaurables. (Les éléments de
l' état de surface que j' évoque sont masqués par une
restauration illusionniste).
Le thème principal est le couronnement de la Vierge par la
Sainte Trinité.
Autour des personnages principaux est représentée la Cour céleste,
c’est à dire les anges, les apôtres, les saints, les prophètes
et les élus.
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En dessous, on retrouve le monde, symbolisé par les deux villes
saintes de Rome et Jérusalem, représentées avec leurs
monuments et reliées par la mer (ci dessous).
Plus bas encore, on trouve la représentation de l’enfer et du
purgatoire.
L’identité
d’aspect entre le père et le fils ainsi que la représentation
du saint esprit sous la forme d’une colombe sont frappantes de
par leur originalité : les deux personnages semblent avoir été
quasiment décalqués, puis retournés. Seuls leurs manteaux
pourraient permettre de les distinguer.
Il
n’y a aucun autre exemple d’une telle identité dans la
peinture du XVè siècle.
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Rome |
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Jérusalem |
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Les
représentations des deux villes sont elles aussi dignes d’intérêt :
si on les regarde de près, on se rend compte que le Tibre romain
ressemble beaucoup au Rhône. Quant à Jérusalem, elle est très proche
de Villeneuve-Les-Avignon et l’église Sainte Croix de Jérusalem est
franchement une église provençale.
Quarton représente ces villes telles que son imagination et les
quelques dessins qu’il a pu avoir en sa possession lui permettent de
les représenter.
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En,
bas à gauche, on trouve une représentation de la messe de saint
Grégoire, dont Robert Campin avait lui aussi réalisé une
version. (On ne la connaît que par la copie réalisée par
Jacques Daret, son élève).
La ressemblance de ces deux oeuvres éclaire l’influence de
Robert Campin sur Quarton (ou tout du moins sur la jeunesse de
celui-ci). Comme on le voit dans la section biographie, il a reçu
et mêlé de nombreuses influences.
Cette
représentation de la messe de saint Grégoire traduit d’autres
influences, provençales cette fois. Il n’y a qu’à comparer
ce détail du couronnement avec le retable
de Boulbon conservé au Louvre pour s’en convaincre : le
motif est exactement similaire.
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Dans
l’église représentée par Quarton, sur la gauche, on
remarque deux petits retables qui ne sont autres que les
retables Cadard et Requin, deux oeuvres de Quarton. Comme la
majorité des artistes de son temps, Quarton était un
talentueux enlumineur.
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On
remarque aussi la présence de personnages à très petite échelle,
en position de priants (ci-contre). On reconnaît Jean de
Montagny, et pour le second personnage, Sterling propose de
l’identifier au frère de Jean, Antoine de Montagny, décédé
peu auparavant.
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Parmi
les particularités de ce panneau, on remarque un motif d’une
extrême rareté : la représentation d’enfants morts avant
d’avoir été baptisés.
Ils ont les yeux fermés : la connaissance de Dieu qui leur aurait
ouvert les yeux leur a fait défaut.
Ils
sont donc contraints à rester dans le noir perpétuel, dans le
fond d’une grotte qui ne comporte aucune sortie (ci dessous, à
droite). Quarton a peut être inventé ce motif, qui est
totalement absent du prix-fait et qui reste un témoin de
l’originalité de sa vision.
On peut les comparer aux enfants baptisés, qui resteront à
jamais dans la lumière de Dieu, représentés plus haut
(ci-dessous, à gauche), parmi la cour céleste. |
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Tout en bas de la
composition, l’enfer et le purgatoire sont représentés dans
un fourmillement qui est encore très gothique et qui rappelle
les représentations de jugements derniers au tympan des cathédrales.
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L 'enfer
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Le purgatoire
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On
retrouve également Jean de Montagny, représenté sortant du
purgatoire (dont sont absentes les souffrances et les tentations
du démon, contrairement à l'enfer).
Cependant,
le purgatoire est ici représenté de manière relativement
optimiste : il est placé là ou se trouveraient les élus dans un
jugement dernier traditionnel.
Quarton
fait du purgatoire un pendant à l’enfer, qu’il représente en
fait de manière beaucoup plus effrayante que ne le suggérait le
prix-fait.
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