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Les procédés picturaux

 

Techniques  Matériaux  Supports  Instruments

 

L'aquarelle

Le lavis

La peinture sur toile

Les différents types de toile

La préparation de la toile 

Crayon / technique des trois crayons

La gouache

Les liants picturaux

La cire

Le liant à l'œuf

Le liant aqueux

L'utilisation des liants

Collages et assemblages

Cubistes et futuristes

Premiers abstraits

Dadaïstes et surréalistes

Modernes et contemporains

PLUME et ENCRE

Les pigments

Le bleu 

   Le rouge

Le vert

Le jaune

La couleur dans la peinture contemporaine

L'encaustique

Pointe de métal

 

La fresque

Les caractéristiques de la fresque

Les techniques de la fresque

· Le «buon fresco»

· Du «secco» au «mezzo-fresco»

La peinture

Les techniques traditionnelles

· Le vernis

· Les supports

· Les instruments

· Le travail préliminaire

Les techniques contemporaines

· La couche colorée

La couche picturale

La couleur dans l'art occidental

De l'éclat médiéval au coloris moderne

L'ordre du contraste 

L'ordre de la nuance

L'expérience des extrêmes

La détrempe /tempera

La peinture sur bois

Les différents supports de bois

La préparation du support de bois

 

 

L'aquarelle

Mélange de pigments minéraux, d'eau et de gomme arabique, l'aquarelle est un procédé de peinture – essentiellement adapté au papier et à la soie – dont les couleurs sont transparentes.  À la différence de la gouache, qui est opaque, l’aquarelle laisse jouer, par transparence, les couleurs entre elles et avec le blanc du papier ; les réserves, c’est-à-dire les espaces où le papier est laissé vierge, font ressortir les nuances, la luminosité et l’éclat des coloris.
Tout comme le lavis, elle convient particulièrement aux paysages et aux thèmes architecturaux. Parmi les premières et très belles aquarelles de l'histoire du dessin figurent en effet les surprenantes études de paysage de Dürer, comme sa Vue du val d'Arco (vers 1495). L'aquarelle intervient pendant longtemps dans la plupart des dessins en légers rehauts1 colorés ; c'est à partir de la fin du XVIIIe siècle, en Angleterre, qu'elle devient un genre autonome, c'est-à-dire une véritable peinture, dans laquelle la ligne tracée ne joue plus aucun rôle structurel. Elle rencontre un immense succès auprès de nombreux artistes, de Renoir à Gauguin et Cézanne au XIXe siècle, de Kandinsky à Klee au XXe siècle.

 

1. Touches claires appliquées sur un dessin pour en éclairer certains éléments. Des rehauts de blanc exécutés à la craie, à la gouache, au pinceau ou à la plume, permettent de représenter des reflets et des éclats de lumières. Les rehauts peuvent parfois devenir la technique prédominante pour dessiner à la fois les formes et les contours sur une feuille de papier de couleur sombre. Le verbe rehausser désigne également l’action de colorier : un dessin, tout d’abord dessiné au trait, est rehaussé lorsque il est ensuite peint en couleur

 

Albrecht Dürer. Nuremberg, 1471-1528.

Christ enfant tenant une couronne

1506

Pinceau, encre noire, lavis d'encre noire, rehauts de gouache blanche sur papier bleuâtre. 273 x 383 mm.
Inscription postérieure au milieu du bas : 1506 / AD (sous la forme du monogramme de l'artiste). Au verso, le chiffre 9 à la plume.
Filigrane italien : chapeau de cardinal. Italie.

Paris, BNF, Estampes, Rés. B 13

 

 

 

 

Le terme de crayon désigne, de manière générale, divers morceaux de minerais de différentes sortes se présentant sous la forme d’un bâton et permettant de dessiner ou d’écrire :

craie

pierre noire *

mine graphite (Carbone cristallisé, naturel ou synthétique, gris-noir.)

fusain**

pastel (Le pastel, tel qu’on le connaît au 16e siècle, désigne avant tout une craie fabriquée à partir d’un pigment et d’un liant, façonnée en bâtonnet et mise à sécher)

sanguine (Variété terreuse d'hématite rouge souvent intercalée dans les schistes et qui sert à différents usages, notamment à la fabrication de brunissoirs, de colorants, de crayons.)



 

François Clouet. Vers 1510/1515-Paris, 1572.

Charles IX

Vers 1570

Pierre noire et sanguine.

Paris, BNF, Estampes, Rés. Na 22

 

 

 

 

 

 

 

Il s’agit d’un matériau solide qui se dépose sur le support par contact direct, par opposition aux matériaux liquides que l’on applique au pinceau ou à la plume.
La technique dite des "trois crayons" combine trois minerais : la pierre noire, la sanguine et la craie, qui sont appliqués sur du papier teinté, un peu grenu, car la craie et la sanguine ne se fixent pas sur du papier lisse. La pierre noire est utilisée pour les traits, les tons froids et les ombres, la sanguine pour la coloration, et la craie blanche pour les lumières, permettant d’apporter des touches d’éclairage. Les portraitistes eurent abondamment recours à cette technique très en vogue à la Renaissance.

 

*Schiste argileux noirâtre, au grain assez fin, qui peut se tailler au couteau et que l’on utilise comme un crayon. Son usage s’impose en Italie à la fin du XVe siècle pour devenir au XVIe siècle une technique de prédilection, avant d’être remplacé, au XIXe siècle, par le fusain et la mine de plomb. La pierre noire, dite aussi pierre d’Italie, donne un trait souple dont la teinte varie du noir au gris en fonction de la pression exercée. Très souvent utilisée pour les nus et le dessin anatomique, elle permet de rendre le modelé, le volume des figures et les effets de clair-obscur. Mêlée à la sanguine et à la craie blanche, elle forme la technique dite des "trois crayons".

 

**Bâtonnet de charbon de bois de l’arbuste du même nom (fusain, en latin, fusus) ou de la même famille (saule, noyer, prunier, tilleul). Cette technique très ancienne, largement employée depuis la Renaissance italienne, est d’une utilisation extrêmement souple : on peut tailler la pointe du bâtonnet pour obtenir des traits fins ou l’utiliser sur le côté pour des noirs plus profonds. Matériau volatil, il s’efface facilement, permettant ainsi toutes les corrections. Pour le rendre plus stable et le conserver sur le papier, on a mis au point au XVIe siècle un fixateur. Il a souvent servi pour tracer les grandes lignes de fresques, de peintures murales à la détrempe ou de compositions sur panneau de bois.

Collages et assemblages 

 

 

Si le Japon connaît les papiers collés dès le Xe siècle, le collage est la grande nouveauté de l'art moderne. «Le papier collé, affirme Tristan Tzara, marque dans l'évolution de la peinture le moment le plus poétique, le plus révolutionnaire, [...] la souveraineté de la pensée.» Les artistes du XXe siècle, du cubisme au futurisme, de dada au surréalisme, de l'abstraction aux installations contemporaines, ont trouvé dans le collage, avec la simplification, une affirmation des matières et du provisoire, au-delà de la technique, fût-elle virtuose: «Ce n'est pas la colle qui fait le collage», affirmera Max Ernst

 Les peintres cubistes sont les premiers à introduire, en 1912, des matériaux étrangers à la peinture dans leurs œuvres: papier journal, papier de couleur, papiers peints découpés. Utilisés seuls ou intégrés à un dessin, pour leur qualité brute, ces fragments de la réalité permettent aussi des innovations dans le traitement de l'espace. Avec la Nature morte à la chaise cannée (1912), Picasso s'écarte des instruments traditionnels du peintre et insère dans son tableau un morceau de toile cirée imitant le cannage d'une chaise. Avec Compotier et Verre (1912), Braque met en rapport les veinures d'un papier faux bois avec une structure dessinée au fusain. Juan Gris, avec le Lavabo (1912), introduit un fragment de miroir pour renforcer l'impression de réalisme. Quant au sculpteur Henri Laurens, parallèlement à ses recherches en trois dimensions, il parvient à suggérer un Clown (1915) et ses accessoires par le seul jeu de plans et l'association étroite de formes triangulaires et circulaires. Les futuristes reprennent eux aussi ce procédé d'insertion pour exprimer leur vision du monde moderne. Pour ces «primitifs d'un art nouveau», le collage convient particulièrement à la notation d'impressions simultanées. La vue est violemment sollicitée, ainsi que le toucher, parfois même l'ouïe, comme dans Manifestation interventionniste (1914), de Carlo Carrà, où les notations semblent sortir d'un porte-voix. Si la Nature morte au journal Lacerba (1913), de Gino Severini, emprunte à la grammaire cubiste par l'évocation de l'organe futuriste, elle participe bien à ce mouvement d'avant-garde.

 

Avec dada, le collage se fait outil au service d'une idéologie et permet aux artistes d'entreprendre une véritable désacralisation de leur activité. Le nom de Raoul Hausmann, un des fondateurs du groupe dada berlinois, reste associé à l'invention du photomontage: dans le Critique d'art (1919-1920) , à gauche, et ABCD: portrait de l'artiste (1923), à droite, il juxtapose des fragments de photographies à des poèmes abstraits. Aux images désarticulées de Hausmann, John Heartfield oppose des montages photographiques d'une interprétation plus directe. Plusieurs de ses photomontages, tirés sous forme d'affiches et caractéristiques de son engagement, ont atteint une valeur de symbole: la colombe transpercée d'une baïonnette devant le palais de la Société des Nations ou l'arbre de Noël dont les branches s'enroulent à la manière de croix gammées. Vers 1918, Kurt Schwitters découvre le collage, qui devient rapidement son langage d'élection. La syllabe «Merz», découpée par hasard dans une publicité, allait désigner les Merzbilder, poèmes à voir de quat' sous. Il commence à s'emparer des ruines de la guerre et se sert de détritus pour pallier la pénurie de matériaux. Puis c'est la société industrielle qui lui fournit son vocabulaire plastique; déchets et rebuts témoignent de la fuite du temps: en les détournant de leur destin quotidien, il leur octroie un statut artistique (Assemblage, vers 1939-1944 et 47-14 De Stijl, 1947) et dresse un tableau sans indulgence de la civilisation moderne.

Contrairement à Schwitters, Max Ernst réutilise la production du passé: gravures et publications scientifiques du siècle dernier sont le terreau de son inspiration. Dès 1921, il invente un procédé très particulier de collage, où le travail de montage est systématiquement dissimulé. Dans la série des romans - collages surréalistes des années 1930, la Femme 100 têtes, Rêve d'une petite fille qui voulut entrer au carmel, Une semaine de bonté, la technique de collage sera totalement occultée par la reproduction en série. Le spectateur se laisse prendre au piège de l'apparente familiarité des images: s'il reconnaît les éléments qui les composent, le sens de leur juxtaposition lui échappe.

L'offensive dirigée contre la peinture par les artistes allemands est étonnamment proche des recherches menées sur les scènes new-yorkaises et parisiennes par Marcel Duchamp, qui, dès 1914, ennoblissant du nom de ready-made un porte-bouteilles de série, promeut cet objet au rang d'œuvre d'art, et par Francis Picabia (Pot de fleurs, vers 1925) et Man Ray (De quoi écrire un poème, 1923): pour dénoncer l'inanité de la création, celui-ci se contentera de mettre en scène les outils du peintre ou les instruments du poète.

Les œuvres de Max Ernst ne cesseront de fasciner poètes et artistes surréalistes, qui, dans leur quête de l'irrationnel, à l'écoute de l'inconscient, useront de la technique du collage pour mettre «la peinture au défi». Victor Brauner exécute en 1938 un Portrait comestible, dans lequel l'impression de malaise est provoquée à la fois par le titre de l'œuvre et la nature des éléments collés: une poignée de lentilles. Dans les Sœurs Mélusine (1958), André Masson renoue avec la rapidité du geste des dessins automatiques de 1923-1924 et les plumes utilisées pour les tableaux de sable de 1926-1927. L'évocation de la fée Mélusine est pour Masson prétexte à un exercice de virtuosité graphique. Parodiant l'entretien de Goethe et de Napoléon de 1808, Jacques Prévert imagine Une entrevue de Pablo Picasso et de Napoléon Bonaparte à Versailles de nos jours (1955), où l'assistant de Carné et de Renoir se livre à une véritable mise en scène cinématographique: une chambre impériale sert de décor à la rencontre, et, sur cette toile de fond, Prévert fait évoluer les figures jusqu'à ce qu'elles trouvent leur place définitive. André Breton, ne se limitant pas au papier, réalise des assemblages incongrus, tout comme de nombreux autres artistes: constructions insolites de Miró, boîtes de Joseph Cornell, objets pièges de Meret Oppenheim (le Déjeuner en fourrure – tasse et soucoupe recouvertes de fourrure –, 1936), délires fantomatiques de Dalí...

 

 

Premiers abstraits

 

Les différents représentants des écoles abstraites conçoivent surtout le collage comme le support d'une réflexion sur les composantes de la peinture. Sonia Delaunay utilise le collage dès 1913 pour exécuter plusieurs reliures de livres. Pour un projet de publicité destiné à un fabricant de montres (Zénith, 1913-1914), elle réalise, à partir d'un vers de Blaise Cendrars, avec lequel elle vient d'achever l'illustration de la Prose du Transsibérien, un collage qui anticipe les tableaux du néoplasticisme. À partir de 1915, Jean Arp produit des collages abstraits, géométriques, caractérisés par la trivialité des matériaux: papiers de couleur, papiers kraft, papiers peints... Puis, afin de laisser ses créations échapper à son propre contrôle, il fixe les formes sur un support suivant la configuration aléatoire résultant de leur chute (Selon les lois du hasard, 1916). Au lieu d'intervenir directement, Arp préfère laisser agir «l'élémentaire et le spontané», ou, dans une autre série de collages, recourir au massicot (Papiers coupés au massicot, 1918). Dans l'œuvre d'El Lissitzky figurent, parmi ses nombreuses constructions, quelques dessins où la troisième dimension est suggérée par la juxtaposition de matières différentes. Quant à Moholy-Nagy, il emploie le collage dans certaines de ses compositions pour associer quelques formes simples au contour bien délimité avec des lignes droites; les couleurs sont réduites à l'extrême et l'image se nourrit des seuls rapports qu'entretiennent entre elles les surfaces. 

Modernes et contemporains

 

 

 

 

Peu d'artistes échappent à la sollicitation du collage. Le papier découpé permet à Matisse de «dessiner dans la couleur». Cette technique, élaborée en 1937 pour la Danse , est redécouverte à l'occasion de la décoration de la chapelle du Rosaire de Vence. Dans une maquette de vitrail de 1948, Matisse parvient à suggérer une nuée d'abeilles par la répétition de carrés et de rectangles, et leur vol par deux lignes arrondies qui rompent la rigueur géométrique de la composition. Dans la série des Nus bleus (1952), les transformations successives du collage sont souvent encore visibles, notamment les traits de fusain sur les pièces de papier découpé.

 

Henri Matisse. Maquette pour le vitrail « Nuit de Noël » pour la Chapelle du Rosaire de Vence (1952). Gouache sur papier découpée et collée.
 

 

 

 

 

De peur que la peinture n'atténue la force du dessin, Alberto Magnelli exécute des collages depuis 1936, introduisant dans ses compositions des matériaux étrangers à la technique picturale traditionnelle: papier d'emballage, carton ondulé, papier goudronné, voire papier à musique (Collage sur papier à musique, 1941). À la différence des œuvres de Schwitters, ces morceaux du réel interviennent souvent comme éléments formels d'une composition abstraite (Madoura, 1964).

Dans la série des «théâtres de mémoire», Dubuffet cultive la disparité; pour le Déchiffreur (1977), il crée un «antipuzzle» dans lequel les différentes pièces, au lieu de s'emboîter, viennent se heurter afin de suggérer la simultanéité des images qui se fondent dans la mémoire.

Alors que les affichistes empruntent aux murs des villes leurs images, choisies pour leur caractère plastique (Hains et Dufrêne), leurs jeux d'écriture (Villéglé) ou encore comme témoins de la vie sociale et politique (Rotella et Vostell), les artistes du pop art et les nouveaux réalistes recourent au collage pour réagir contre l'action painting et l'art informel: Jasper Johns, dans la série des drapeaux américains (Flag above White with Collage, 1955), recourt aux papiers déchirés pour neutraliser à l'extrême la signification symbolique de son modèle et le ramener à une expression strictement plastique. Robert Rauschenberg cherche, à l'exemple de ses combine paintings dans Factum II (1957), à perturber le regard porté habituellement sur le monde par le spectateur en confrontant des éléments de l'univers humain.

Les instruments de musique occupent une place de choix dans les compositions d'Arman, qui ne se contente pas de découper les éléments mais s'attache aussi à leur nouvelle mise en forme; l'ironie du titre O Tannenbaum (1963) renvoie à la fois à la matière première, une cithare, et à une chanson populaire qu'elle aurait peut-être joué.

Cherchant à recréer une relation perdue entre les mots et les objets, Daniel Spoerri tente de rendre visibles des proverbes et des formes idiomatiques. Jeter l'enfant avec l'eau du bain (1967) fait l'objet d'une représentation littérale: une poupée désarticulée gît sur un tapis de bain avec sa baignoire renversée. Représentant de la figuration narrative, Erró, quant à lui, se plaît à unir des éléments d'origines diverses. In front of New York (1976) confronte la vision d'un Mao triomphant entouré de gardes rouges au symbole de la puissance américaine, l'Empire State Building.

Depuis les années 1960, la plupart des créateurs qui se sont succédé sur la scène artistique s'expriment largement par l'intermédiaire de procédés issus du collage: qu'ils dénoncent le bombardement américain sur le Viêt-nam (Vostell, B 52, 1968), qu'ils se livrent à un exercice d'écriture automatique (Cy Twombly, Captive Island, 1974), qu'ils travaillent à un projet de «clôture en fuite» (Christo, Running Fence, 1972-1976), qu'ils esquissent une feuille d'érable à partir d'éléments de rebut (Cragg, Leaf, 1980), qu'ils représentent un roi africain sur fond de «tags» new-yorkais (Basquiat, King of the Zulus, 1984-1985), qu'ils cherchent à remonter à l'essence secrète des choses à travers un travail sur la matière (Tàpies, Paille pressée, 1969), qu'ils tentent de trouver un équilibre entre désir de spontanéité et exigence de construction (Motherwell, Élégie pour Salvador Allende, 1975), qu'ils tentent de révéler l'énigme du visible, la poésie du presque rien (Beuys, Pittosporum, 1970). Chacun, à sa manière, semble vérifier la prophétie d'Aragon qui, dans la Peinture au défi (1930), imagine un temps «où les peintres qui ne broient déjà plus leurs couleurs trouveront enfantin et indigne d'eux d'étaler eux-mêmes de la peinture, où les peintres ne feront même plus étaler par d'autres la couleur, ne dessineront même plus. Le collage nous donne un avant-goût de ce temps-là». 

 

Technique consistant à détremper les couleurs dans la cire fondue. Utilisées surtout dans l'Antiquité (Égypte, Grèce, Rome), sur des supports divers, les techniques de peinture à l'encaustique donnèrent naissance à des œuvres aussi diverses que les décorations murales de Pompéi et d'Herculanum, les célèbres portraits du Fayoum et les icônes du début de l'art byzantin (jusqu'au VIe s. apr. J.-C.). 

 

 

Principale manifestation de la peinture monumentale, l'art de la fresque, caractérisé par sa technique et par son rapport direct avec l'architecture, s'est développé, à toutes les époques, presque partout où de grandes surfaces de murs ou de voûtes ont appelé une décoration. Toutefois, dans le monde occidental – où elle est souvent assimilée aux autres formes de peinture murale –, c'est en Italie que la fresque a été le plus couramment pratiquée. 

Longuement débattue par les spécialistes, la question de savoir si la technique de la fresque a été pratiquée durant l'Antiquité (Égypte, Mésopotamie, Grèce, Pompéi) et dans certaines civilisations extra-européennes n'a pas encore reçu de réponse définitive. Les nombreux procédés mixtes de décoration murale rendent en effet l'analyse des peintures très difficile. Le Moyen Âge occidental semble avoir plutôt connu des procédés sur enduit sec.

Dans son acception précise, le terme fresque fut, semble-t-il, utilisé pour la première fois par Cennino Cennini dans Il Libro dell'arte (fin du XIVe - début du XVe siècle) et c'est l'Italie qui a connu la production la plus brillante (entre 1300 et 1540 environ). Cimabue, Giotto, Masaccio, Ghirlandaio, Filippo Lippi, Pinturicchio, Luca Signorelli, Andrea del Sarto, Michel-Ange, Andrea del Castagno, Simone Martini, Benozzo Gozzoli, Raphaël furent les représentants les plus illustres de cet art.

 Moins pratiquée à l'époque gothique, lorsque l'invention de la voûte sur croisée d'ogives permit d'évider les murs et lorsque ce fut l'art du vitrail qui joua un rôle important, la fresque connut de nouveau un certain succès durant la période baroque. 

 

Il s'est établi dans le langage courant une confusion entre un procédé décoratif utilisé pratiquement partout dans le monde – la peinture murale – et une technique particulière employée à ce type de décoration – la fresque. Si le mot italien fresco («frais») n'apparaît pas avant la fin du XIVe siècle ou le début du XVe siècle (dans le Libro dell'arte de Cennino Cennini), la fonction essentiellement décorative de la peinture monumentale lui a permis très tôt d'être présente tant dans les monuments publics que dans les habitations, à l'instar d'autres productions artistiques telles que la tapisserie ou le vitrail. Économique – elle permet de couvrir de grandes surfaces à moindres frais –, la fresque a bénéficié d'une grande diffusion.

Relativement à la peinture de chevalet, peu d'œuvres ont été conservées dans le domaine de la peinture murale, qui, pourtant, a été un genre pratiqué de façon plus générale, et cela sans véritable interruption dans le temps: sa fragilité, cause de destructions importantes, a faussé toute appréciation concernant la peinture ancienne, exagérant ainsi l'importance de la peinture de chevalet.

 La caractéristique essentielle de la fresque est de faire physiquement et chimiquement corps avec son support. Les matériaux employés (enduit, couleurs) sont eux-mêmes des matériaux architecturaux. Beaucoup d'édifices ont été construits pour recevoir des fresques, en Italie notamment: des églises (San Francesco à Assise, la chapelle de l'Arena à Padoue), des cimetières monumentaux (Campo Santo de Pise), des hôtels de ville (Sienne), des demeures privées (villa Maser). Lorsque le décor et les édifices sont contemporains, il s'établit entre eux un rapport d'autant plus étroit. Les fresques sont généralement conçues pour compléter l'édifice, lui ajouter quelque chose, voire en simuler une partie.

 

Outre les techniques utilisées pour la peinture monumentale et pouvant servir pour la peinture de chevalet, il en existe une, spécifique, celle de la fresque. 

 

C'est la technique de la vraie fresque: les couleurs minérales, en suspension dans l'eau, sont posées sur un enduit humide. L'enduit (chaux mêlée à du sable, le plus souvent) subit une transformation chimique en séchant: les pigments colorés sont alors incorporés dans la fine pellicule qui se forme à la surface du mur, la peinture devenant ainsi dure et résistante. L'enduit est posé en plusieurs couches: tout d'abord l'arriccio (mortier à grains assez gros), sur lequel est fait le dessin préliminaire, puis la couche supérieure, ou intonaco (enduit mince à petits grains), qui reçoit le travail du fresquiste. Le buon fresco est une technique difficile à maîtriser, qui nécessite une grande rapidité d'exécution. L'intonaco ne reste frais qu'une journée, ou giornata, terme qui sert à désigner aussi bien le temps de travail qu'une partie de fresque réalisée en une journée de travail. Les joints, toujours visibles, sont une indication précieuse sur sa progression.

 Cette méthode est possible à une époque où les formes sont encore traitées de façon assez conventionnelle. À partir de 1450, les formes s'individualisent et la technique se transforme: le dessin, qui disparaissait sous l'enduit, devient alors indispensable à une réalisation plus rapide. La présence de la sinopia (esquisse au fusain, appelée ainsi parce qu'on emploie à sa réalisation la terre rouge de Sinope) n'est pas systématique – le dessin est effacé par la pose de la dernière couche d'enduit –, et son absence peut signifier l'utilisation de modelli (dessins d'atelier agrandis: au XIVe siècle, fresques de Giotto, à la chapelle Peruzzi). L'usage de cartons (dessins décalqués sur une feuille appliquée sur l'enduit), attesté dès 1360, devient pratique courante au milieu du XVe siècle, sans remplacer pour autant l'emploi de la sinopia. Les cartons sont élaborés en atelier. Le dessin est ensuite reporté sur le support en piquant le carton de trous, au travers desquels on souffle de la poudre, ou en incisant légèrement l'enduit au moyen d'une pointe passée à travers le carton.

 On attribue tantôt à Brunelleschi, tantôt à Alberti l'invention de la mise au carreau du modello, qui permet plus de précision dans les agrandissements indispensables à la peinture murale, procédé qui se développe largement au XVe siècle. 

 

La complication de l'exécution amène bientôt les peintres à utiliser des liants organiques, qui donnent la possibilité de travailler sur un intonaco moins frais. Cette technique se rapproche de celle du secco: la partie non terminée d'une giornata peut encore être travaillée après séchage de l'enduit. Le secco est pratiqué conjointement au fresco dès avant 1500. Selon Vasari, on obtient une tenue plus ferme en appliquant a secco les pigments sur une surface rugueuse au moyen de colle. La technique du fresco-secco (couleurs mêlées à de l'eau de chaux), qui permet de se rapprocher de l'aspect de la vraie fresque, est très utilisée au Moyen Âge et après 1300 pour terminer les ouvrages commencés a fresco.

 Les parties les plus importantes (visages, mains) sont alors réalisées en buon fresco, et les vêtements en fresco secco (Giotto, Saint François recevant la règle, chapelle Bardi de Santa Croce, à Florence). La différence de technique est visible: la peinture en fresco secco s'est écaillée, les pigments sont moins accrochés au mur, les colles, d'origine animale ou végétale, ont été attaquées par les bactéries et les moisissures.

Aux XIVe et XVe siècle, l'évolution de la technique de la peinture de chevalet influence celle de la fresque: on cherche alors à utiliser l'huile sur un enduit sec. Mais, si elle permet des retouches, l'utilisation d'un plus grand registre de couleurs et des effets de profondeur spatiale jusque-là inconnus de la fresque, l'huile altère les qualités de l'enduit et compromet les chances de conservation de l'œuvre (la Cène, réalisée entre 1495 et 1498 par Léonard de Vinci à Santa Maria delle Grazie, à Milan, a commencé à se détériorer dès 1517). Au milieu du XVIe siècle se répand la technique du mezzo-fresco: cette demi-fresque est obtenue par l'application des couleurs sur l'enduit presque sec, mais encore suffisamment humide pour qu'elles soient absorbées par le support.

 La technique du stucco lustro, ou stuc brillant, encore utilisée de nos jours, dérive de celle de la fresque: la peinture exécutée a fresco est brossée et polie afin d'imiter l'aspect du marbre. 


Albrecht Dürer. Nuremberg, 1471-1528

Tête de jeune garçon, penchée à droite

Vers 1506

Peinture à la détrempe, sur une esquisse à la plume (ou à la pierre noire), sur toile fine doublée de papier. Hachures du dessin préparatoire visibles sous les couleurs. Fond noir.  225 x 192 mm.
Paris, BNF, Estampes, Rés. B 13

 

 

Procédé très ancien de peinture à l’eau, remontant à l’Égypte antique, consistant en un mélange de pigments colorés, d’eau et de colle appliqué sur un support sec, à la différence de la fresque. La couleur était délayée dans de l’eau additionnée d’un agglutinant à base de gomme, de colle et d’œuf, exempt de graisses, de résines ou de chaux, à la différence de la peinture à l’huile ou à l’encaustique. Peinture à la détrempe est synonyme de peinture a tempera.

Le lavis

 

Comme son nom l’indique, le lavis est un procédé de « lavement » du dessin par l’application au pinceau d’encre diluée.

Le lavis consiste à étendre au pinceau des encres de couleurs (noire, bistre ou sépia) diluées dans de l'eau. Il est monochrome (gris, brun, etc.) ou polychrome. Le lavis se distingue de l’aquarelle car il est en général monochrome et sert surtout à rehausser un dessin au trait et non à peindre directement. Le lavis gris ou brun, obtenu à partir d’une encre de Chine plus ou moins diluée, est habituellement utilisé pour figurer les ombres et rendre le modelé, il permet de donner une teinte à un dessin le plus souvent à la plume, mais aussi à la pierre noire ou au graphite.. Il existe aussi des lavis de couleurs, supplantés au XIXe siècle par l’aquarelle. À partir du XVIe siècle, en Occident, ce procédé sert à de nombreux dessins d'architecture, et les peintres en font usage pour de magnifiques paysages: Carrache au XVIe siècle, Poussin, Rubens ou Rembrandt au XVIIe siècle. En Extrême-Orient, le lavis est une véritable technique picturale dans laquelle l'art chinois a pu donner plusieurs chefs-d'œuvre; les formes sont dessinées par taches.

 

Voi aussi : http://www.theses.ulaval.ca/2005/22586/ch05.html#d0e3947

 

 

Procédé de peinture opaque, préparée avec une solution d’eau et de colle à base de gomme arabique, mêlée de blanc, de liants et d’ingrédients qui la rendent pâteuse et lui donnent son opacité. Les pigments, dilués dans cette solution aqueuse, sont appliqués au pinceau et sèchent rapidement. La gouache, à la différence de l’aquarelle, ne permet pas les transparences : le blanc du papier ne jouant aucun rôle, la lumière doit être suggérée par le moyen de la peinture.

 

La plume servait à la fois à écrire et à dessiner. On distingue trois sortes de plumes : les plumes de roseau, qui donnaient un trait large, net et dur, sans plein ni délié, en raison de la taille carrée ; les plumes d’oiseau (plumes d’oie le plus souvent, mais aussi de coq, de cygne ou de corbeau), beaucoup plus souples, taillées à la main, utilisées depuis le VIe siècle ; enfin, à partir du XIXe siècle, les plumes métalliques. Les deux encres les plus utilisées pour le dessin étaient l’encre de Chine, préparation à base de noir de fumée, recueilli lors de la combustion de chandelles, de résine ou de bois de pin carbonisé, mélangé à de la gomme arabique et dilué dans le l’eau, et l’encre végétale de noix de galle, obtenue par décoction, additionnée de sulfate de fer, de gomme et d’essence de térébenthine. Le dessin à la plume et à l’encre, tantôt libre et fluide, tantôt nerveux et anguleux, permet de mettre en évidence les lignes tout en suggérant le modelé par des hachures

 

Technique très ancienne, connue depuis l’Antiquité , dans son Histoire naturelle , Pline l’Ancien mentionne les « traits noirs que laisse l’argent », consistant à tracer les lignes du dessin avec un stylet métallique pointu en argent, or, cuivre ou plomb, sur des supports (papier ou parchemin) préalablement enduits au pinceau d’une préparation spéciale à base de pigments de couleur et de blanc d’Espagne ou de poudre d’os liés par une colle. La pointe d’argent, employée sur des papiers teintés, ainsi préparés, laisse une marque grise, qui s’oxyde en brun avec le temps. Le trait, précis et délicat, ne peut s’effacer ; il s’agit d’une empreinte qui s’inscrit en creux sur la feuille. Les ombres ne peuvent être obtenues qu’à l’aide de hachures parallèles ou croisées. Des rehauts de blanc, exécutés à la gouache, appliqués au pinceau ou à la plume, sont souvent associés à ce procédé, qui fut utilisé avec virtuosité par les artistes de la Renaissance, notamment par Dürer.

 

Voir aussi : http://www.theses.ulaval.ca/2005/22586/ch04.html#d0e2913

Les liants picturaux

 

 

Jusqu'aux découvertes du XXe siècle, comme les couleurs acryliques, la couche colorée d'une œuvre picturale est constituée de pigments qui, après avoir été broyés, sont mélangés à des liants. Ceux-ci sont de quatre sortes: la cire, le liant aqueux, l'œuf et l'huile. 

 

Elle connaît, aussi bien pour la peinture sur bois que pour celle sur toile, un regain de faveur au XVIIIe siècle, en Angleterre. Mélangée à de la résine et à de l'huile, elle autorise les superpositions de couches de peinture au pinceau ou à la spatule. Sa matière mince et transparente permet à George Stubbs ou à sir Joshua Reynolds d'en tirer des effets élaborés.

 

 

Le liant aqueux, à base de colle, de caséine ou de gomme arabique, sert principalement dans la peinture à la détrempe. Vuillard et Redon en apprécieront l'aspect mat et épais.

 

Le blanc d'œuf, le jaune ou l'œuf entier sont les liants par excellence de la peinture a tempera. Mais ils sèchent vite et ne permettent donc aucun repentir du peintre.

Dès le XIVe siècle, l'huile est utilisée en Italie pour les glacis verts et rouges. On considère que c'est Van Eyck qui, au XVe siècle, à titre expérimental, employa le premier l'huile comme liant.

 

Après un emploi mixte où l'huile et l'œuf mélangés donnent un liant épais, fluide et nappant permettant un beau fondu des touches, des expériences multiples sont menées pour maîtriser le délicat mélange de l'huile et du pigment. Jusqu'au XVIe siècle, les matières obtenues sont grumeleuses, et l'on hésite entre les liants à l'œuf et les liants à l'huile, qui posent des problèmes de séchage. À partir du XVIIe siècle, on utilise couramment l'huile de lin, légèrement jaune et très siccative, l'huile de noix, plus claire et moins siccative, et enfin l'huile d'œillette (un pavot), encore plus claire et moins siccative que les deux précédentes.

Dans un même tableau, les couleurs sombres peuvent être liées au lin, et les claires à la noix. Quant à l'œillette, qui sèche lentement, elle donne une texture crémeuse et des empâtements fluides.

Pour améliorer la siccativité d'une huile, des procédés divers ont été élaborés, avec pour chacun des inconvénients. Le chauffage de l'huile peut avoir pour conséquence, lorsque la chaleur est excessive, des plissements de la couche colorée qui se transforment avec le temps en «craquements en peau de lait». L'ajout de plomb, dont le XIXe siècle abuse, peut provoquer, là encore, des craquelures, le pigment et le liant ne séchant pas au même rythme, entraînant des glissements de la matière picturale et la formation d'amas.

 Des difficultés de séchage entre deux couches de peinture posées «gras sur gras» causent de la même façon des glissements, puis des craquelures.

 

La peinture

 

 

La peinture est l'art d'utiliser des pigments pour tracer sur une surface des images constituant un ensemble cohérent porteur de sens. Des taches peintes sur les galets du site préhistorique du Mas-d'Azil, où le signe pur est indissociable de la pierre qui le porte, aux œuvres du groupe Supports/Surfaces des années 1970, pendant des millénaires, c'est tout un langage pictural qui se met en place, puis se referme sur lui-même pour n'être plus qu'un miroir de la seule démarche artistique. 

L'espace pictural définit l'œuvre, son contenu, son sens. Les supports et les techniques utilisés sont liés à cet espace, et leur emploi n'est pas toujours générateur d'évolution pour le langage pictural. La pratique de la peinture à l'huile a permis le sfumato (modelé destiné à suggérer des nuances), mais la peinture en tube, si elle a favorisé le développement de la peinture de plein air, ne l'a pas pour autant créée.

C'est bien plutôt le pouvoir des images et de la couleur et leurs liens équivoques avec le réel qui constituent l'histoire de la peinture. Le champ de la peinture connaît une extension géographique et chronologique qui suit pour ainsi dire celle de l'humanité. Elle inclut des pratiques aux techniques et aux fonctions extrêmement diverses. De la teinture de rocou dont les Oyampis de Guyane s'enduisent

le corps aux peintures ornant les catacombes de Rome au Ier siècle, des bannières de soie peinte de la marquise de Dai dans la Chine du VIIe siècle av. J.-C. aux fresques de la maison des Mystères à Pompéi (Ier siècle av. J.-C.), des visages de fous saisis par Géricault à la Clarinette de Georges Braque (1913), le terme de «peinture» recouvre une réalité multiple dont il n'est pas possible de rendre compte de façon homogène. On peut cependant définir ce que l'Occident a appelé « peinture » depuis l'Antiquité: quelles techniques ont été utilisées, quels discours ont accompagné ces techniques, quelle place lui a accordée chacune des cultures qui se sont succédées.

 

 

Parallèlement à la peinture murale a fresco et a secco s'est développée une peinture de petit format, dite de chevalet, dont aucun spécimen antérieur au Ier siècle apr. J.-C. ne nous est parvenu. Ces peintures, réalisées à la détrempe ou à l'encaustique, le plus souvent sur des supports de bois, quelquefois recouverts de toile, seront peu à peu remplacées, dans le courant du XVIe siècle, par les peintures à l'huile sur toile. Ainsi est né ce que l'on appelle le tableau, c'est-à-dire une couche picturale posée sur un support plan par l'intermédiaire d'une préparation permettant l'adhérence de la couche picturale au support.

 

 

À côté de l'ivoire, du verre, de la pierre (marbre, voire ardoise, lapis-lazuli) et du cuivre – qui requiert une préparation spéciale à l'ail ou à l'huile –, les assises les plus fréquemment utilisées sont le bois et, surtout, la toile.

 

Avant de tracer sur le fond préparé les grandes lignes de sa composition au charbon de saule ou au fusain et de raffermir le dessin à l'encre et au pinceau, le peintre a en général longuement travaillé son sujet. Les dessins préparatoires de détail, puis d'ensemble, parfois le modello ( une oeuvre présentée à un mécène afin d'obtenir une commande ) sont considérés comme des étapes essentielles.

La mise au carreau sur un carton à grandeur est le procédé le plus usité pour le transfert du dessin sur la toile. Mais les règles graduées, les compas, les fils à plomb, et des procédés plus complexes comme le cadre de bois tendu de fils croisés ou la chambre obscure, seront utilisés par tous les peintres, même les plus grands, tels Léonard de Vinci ou Dürer. Quelques artistes, comme Gainsborough, n'hésiteront pas à modeler des figurines pour mieux saisir les jeux d'ombre et de lumière. Enfin, dès son invention, la photographie sera perçue et utilisée par certains comme un précieux auxiliaire de travail.

 Au XVIIe siècle, l'économie d'une étape – le passage direct du dessin préparatoire à la toile – entraîne la multiplication des «repentirs». Le peintre, changeant d'idée, ne gratte pas ce qui ne lui plaît plus mais se contente de superposer les empâtements. Souvent, en vieillissant, la couche picturale s'usant ou la transparence s'accroissant, la première manière redevient visible. Elle peut également être mise en évidence en éclairant le tableau en lumière rasante, laquelle accuse les reliefs de la couche picturale.

 

 

C'est sur le bois ou la toile préparés qu'est posée la couche colorée, qui se compose des pigments – lesquels peuvent être soit minéraux, soit organiques – et des liants. Depuis les primitifs jusqu'à la fin du XVIIe siècle, la palette des pigments reste réduite. À côté du blanc (de plomb, de zinc) et du noir (de charbon, de fumée), on ne rencontre que le bleu, le vert, le jaune et le rouge. Ce n'est qu'aux XVIIIe et XIXe siècles que les découvertes chimiques lui permettront de s'enrichir.

 Broyés à l'atelier par les apprentis, les pigments sont mélangés à des liants. Ceux-ci sont de quatre sortes: la cire, le liant aqueux, l'œuf et l'huile.

 

La couche picturale est protégée par un vernis. Jusqu'au XVe siècle, une simple couche de blanc d'œuf est passée à la surface. Puis c'est un mélange d'huile et de résine qui sera utilisé pour protéger le tableau et intensifier la réflexion de la lumière.

Mais, en 1883, Huysmans loue les artistes du Salon des indépendants d'avoir abandonné l'emploi du vernis pour adopter le «système anglais», qui consiste à laisser la peinture mate et à la recouvrir d'un verre.

 

 

Le pinceau, en poils d'écureuil, de mangouste ou de martre, ou en soie, est l'instrument le plus important. Certains peintres, comme Léonard de Vinci, les fabriquaient eux-mêmes.

 La brosse se distingue du pinceau en ce que ses poils, plus raides et plus gros, sont d'égale longueur, au lieu d'être effilés en pointe; en outre, la brosse est de forme plate et élargie. Le couteau à palette, ou spatule, est utilisé pour mélanger les couleurs sur la palette avant de les étendre sur la toile à l'aide du pinceau ou de la brosse, mais il est parfois employé pour peindre en pleine pâte.

 

Si la toile, préparée ou non, reste d'un usage très répandu, tout matériau est aujourd'hui utilisé au fil des recherches comme support de la peinture: le bois, le papier, le métal, la tôle, le voile de Nylon, le béton. On pense à Raymond Hains avec ses panneaux d'affichage (la Gitane, 1960-1968), à Buraglio avec ses Mises au carré (1974) ou à Claude Viallat avec ses Bâches (1977).

 

 

C'est probablement sa rupture avec la représentation du réel, ou du moins sa relation complexe et d'un type nouveau avec le réel, qui donne à la peinture un nouveau statut au sein des arts.

 Désormais désinvestie d'un discours – politique, religieux, social ou esthétique –, elle n'existe que dans son rapport au peintre; image d'elle-même, trace du geste créateur, elle ne parle plus d'autre chose que de sa matérialité.

 Les soins minutieux portés pendant des siècles aux subtils mélanges et dosages des pigments et des liants sont oubliés. Mais le lien fondamental qui unissait la maîtrise technique et le pouvoir créatif demeure.

 Les résines agglomérées de Raoul Ubac (Terre, 1967), les papiers encollés et les sables de Paul Rebeyrolle (Conditionnement, 1977) ou les paillettes de Robert Malaval (Linda Velours, 1980) sont constitutifs du message.

 La peinture acrylique connaît une faveur particulière pour ses multiples qualités: outre son faible coût, elle sèche rapidement, et permet ainsi l'application de couches successives en un temps réduit; elle se conserve bien et peut être appliquée sur de nombreux supports – la toile, le papier, le carton, le bois, l'enduit, le contreplaqué. Aussi remplace-t-elle avantageusement la gouache, l'huile ou la détrempe. Depuis son apparition, elle a été utilisée tant par les représentants de l'op art que par les minimalistes ou les tenants du hard-edge. Pierre Alechinsky dans son Œuvre noire (1969) emploie l'acrylique sur papier marouflé sur toile, mais cette forme de peinture rencontre aussi la faveur d'un Robert Malaval, d'un Bernard Rancillac ou d'une Judit Reigl.

 

 

 

À côté de l'ivoire, du verre, de la pierre (marbre, lapis-lazuli, ardoise) et du cuivre – qui requiert une préparation spéciale à l'ail ou à l'huile –, les supports picturaux les plus fréquemment utilisées sont la toile et le bois. 

Jusqu'à l'époque des Grandes Découvertes, seules les espèces locales de bois sont employées: le peuplier en Italie, le chêne en Hollande et en Flandre, les résineux en Espagne, et enfin le noyer en France.

 Les planches, de petit format, sont préparées par un menuisier. Dans le Nord, cette préparation est soumise à des règles très strictes. Le Sud, plus souple, tolère notamment que le bois comporte des nœuds et soit débité sur dosse plutôt que sur quartier. Au XIIIe siècle, l'aubier est ainsi interdit en France et en Flandre, où des amendes frappent les artisans contrevenant à cette règle, alors qu'en Italie Cennino Cennini, dans son traité de 1437, donne des recettes pour supprimer les nœuds.

 Les panneaux de grande dimension s'obtiennent par l'assemblage de plusieurs planches, chevillées ou à joints vifs. Dès le XIIIe siècle, ils sont consolidés par des traverses, et, en Flandre, ils sont peints sur l'envers d'une couche uniforme, parfois d'une composition, afin d'éviter la courbure naturelle du bois qui sèche.

L'encadrement est à cette époque taillé dans la masse par le menuisier ou constitué de moulures appliquées.

 

 

Pour permettre à la couche picturale d'adhérer au support de bois, le peintre prépare lui-même une couche intermédiaire, blanche ou colorée. La première étape de la préparation est l'encollage. Il consiste à enduire la planche de colle de peau et a deux effets, l'un mécanique et l'autre chimique: la colle emplit les pores du bois, aplatit les fibres et, du même coup, ralentit l'oxydation de la cellulose provoquée par la couche colorée. L'enduit posé par-dessus assure quant à lui une bonne adhérence et améliore la réflexion de la lumière. Il est ordinairement blanc et épais en Italie (gesso), blanc et mince dans le Nord. Une toile de lin épais peut se trouver noyée dans l'enduit et ralentir ainsi la transmission des mouvements du bois à la couche picturale.

D'abord à base de gypse – ou de craie – et de colle, la composition de la préparation évolue. L'huile remplace la colle, et le blanc de plomb le gypse ou la craie. Une fois le bois correctement préparé, on peut y poser la couche colorée

 

 

 

À côté de l'ivoire, du verre, de la pierre (marbre, lapis-lazuli, ardoise) et du cuivre – qui requiert une préparation spéciale à l'ail ou à l'huile –, les assises les plus fréquemment utilisées en peinture sont le bois et, surtout, la toile. D'abord utilisée dans la couche de préparation du bois, à la fin du XVe siècle, la toile devient un support pictural indépendant. Sa légèreté, son faible coût, sa facilité d'approvisionnement expliquent que l'usage de la toile s'impose aux XVIIe et XVIIIe siècles. 

 

Comme dans le cas du bois, le matériau et le tissage sont propres à chaque région. En Italie, jusqu'à la fin du XVe siècle, on emploie une toile épaisse et serrée; en France, c'est le drap (ou drapelet) qui rencontre la faveur des peintres. Le lin et le chanvre sont les deux matériaux les plus courants. Au XVIIIe et au XIXe siècle, le lin supplante le chanvre. Le coton, moins coûteux mais aussi moins robuste, se répand au XIXe siècle. Malgré cela, les peintres impressionnistes lui préféreront le lin.

 

Pour permettre à la couche picturale d'adhérer au support, le peintre prépare lui-même une couche intermédiaire, blanche ou colorée. C'est une préparation blanche à base d'huile qu'on pose tout d'abord sur la toile. Mais, épaisse et cassante, elle convient mal au matériau flexible qu'est la toile. Aussi, à la fin du XVIe siècle, on lui préfère une préparation colorée faite de terres rouges ou brunes, puis, aux XVIIe et XVIIIe siècles, on superpose deux couches de couleur: ocre rouge et gris, rouge sombre et ocre clair.

Au XIXe siècle, les préparations blanches – au blanc de plomb – réapparaissent, tandis que les peintres perdent l'habitude de procéder eux-mêmes à la préparation de leurs toiles. Le blanc de zinc remplace le blanc de plomb sur les toiles préparées dans le commerce.

Dans les années 1880-1890, les impressionnistes peignent sur des préparations légèrement pigmentées, grises ou roses, alors que, chez les néo-impressionnistes Seurat et Signac, la technique du mélange optique de touches de couleur pure exige un fond blanc.

 

 

 

Jusqu'aux découvertes du XXe siècle, la couche colorée, que le peintre pose sur le support de bois ou de toile, se compose des pigments – lesquels peuvent être soit minéraux, soit organiques – et des liants. Broyés à l'atelier par les apprentis, les pigments sont mélangés à des liants. 

Les premiers pigments sont des terres. Les primitifs italiens utilisent en sous-couche une terre verte (oxyde de fer très hydraté) qui donne à leurs carnations cette teinte indéfinissable qui transparaît sous les touches, le verdaccio.

Depuis les primitifs jusqu'à la fin du XVIIe siècle, la palette des pigments reste réduite. À côté du blanc (de plomb, de zinc) et du noir (de charbon, de fumée), on ne rencontre que le bleu, le vert, le jaune et le rouge. Ce n'est qu'aux XVIIIe et XIXe siècles que les découvertes chimiques lui permettront de s'enrichir.

 

 

Jusqu'au XVIe siècle, on utilise l'azurite, mais, en raison de son prix – il se compose de lapis-lazuli broyé –, seulement en seconde couche (la sous-couche étant de l'indigo), et le smalt, ou safre, un mélange d'huile et de verre coloré à l'oxyde de cobalt. En 1704, à Berlin, Diesbach invente le bleu de Prusse (ferrocyanure de potassium), et en 1802 est mis au point le bleu de cobalt, qui sera très employé par les impressionnistes. Vingt ans plus tard, le bleu outremer est synthétisé, mais il ne sera commercialisé que vers 1830.

 

De la malachite grossièrement pilée, on tire un vert épais et poreux. Le vert-de-gris (hydrocarbonate de cuivre), obtenu en laissant tremper de la limaille de cuivre dans du vinaigre mélangé à de l'huile, donne des touches transparentes. À partir de ce vert-de-gris, macéré dans de la résine dissoute dans l'essence de térébenthine, on obtient un vert intense et transparent, très utilisé au XVIe siècle. Au XIXe siècle est inventé le vert de chrome (mélange de jaune de chrome et de bleu de Prusse), à fort pouvoir colorant, puis le vert émeraude (oxyde de chrome), le plus stable de tous les verts, et, en 1814, un vert, constitué d'arséniate de cuivre, auquel on donne le nom de Véronèse. Très brillant, mais toxique, il prend une teinte sombre en vieillissant.

Enfin le vert peut être obtenu tout simplement en mélangeant le jaune et le bleu, comme le vert de chrome, ou en superposant ces deux couleurs: le bleu de Prusse et le jaune au XVIIIe siècle, ou plus traditionnellement l'azurite et le jaune de plomb ou d'étain. Ce dernier vert, très profond, est le résultat d'un mélange complexe obtenu par couches successives dont la concentration de bleu augmente dans les couches de surface.

 

 

L'ocre jaune, le jaune le plus répandu du Moyen Âge à nos jours, est une terre. Au XVIIe siècle, on utilise le jaune de plomb et d'étain, difficile à broyer, épais et d'aspect poreux, connu sous le nom de jaune de Naples. Il sera employé jusqu'au XVIIIe siècle, au cours duquel on recourt également au stil-de-grain, mais cette sorte de laque extraite du genêt et fixée sur la craie s'altère et finit par disparaître. Au XIXe siècle apparaît le jaune de cadmium, puis Vauquelin invente le jaune de chrome.

 

Pour le rouge, le peintre dispose de plusieurs pigments: l'ocre rouge, encore une argile, colorée cette fois à l'oxyde de fer; le minium (oxyde de plomb), clair et orangé mais rarement utilisé; le vermillon, qui existe sous forme de pigment artificiel ou naturel, sous le nom de cinabre (sulfure naturel de mercure), intense et couvrant, mais onéreux et s'altérant à l'air et à la lumière jusqu'à devenir noir; la laque rouge, ou le kermès, fabriqué à partir de la cochenille du même nom. Aux XVIIIe et XIXe siècles, le rouge de garance (obtenu à partir de la racine de la plante) est très employé en couche ou en sous-couche, comme le carmin (tiré de la cochenille); enfin, le rouge de cadmium est synthétisé à la fin du XIXe siècle.

 

Les soins minutieux portés pendant des siècles aux subtils mélanges et dosages des pigments et des liants sont désormais oubliés. Mais le lien fondamental qui unissait la maîtrise technique et le pouvoir créatif demeure.

La peinture acrylique connaît une faveur particulière pour ses multiples qualités: outre son faible coût, elle sèche rapidement, et permet ainsi l'application de couches successives en un temps réduit; elle se conserve bien et peut être appliquée sur de nombreux supports – la toile, le papier, le carton, le bois, l'enduit, le contreplaqué. Aussi remplace-t-elle avantageusement la gouache, l'huile ou la détrempe. Depuis son apparition, elle a été utilisée tant par les représentants de l'op art que par les minimalistes ou les tenants du hard-edge

La couleur dans l'art occidental

 

 

Aujourd'hui, les jeux vidéo proposent fréquemment des contrastes de couleurs vives qui apparaissent criards face aux accords de couleurs plus gradués, plus nuancés des réalisations cinématographiques. À travers l'usage de la couleur, l'art occidental, depuis l'éclat du Moyen Âge jusqu'aux expériences extrêmes du XXe siècle – pôles entre lesquels se placent l'aventure du coloris et la découverte des théories –, n'a cessé de proposer des regards différents. 

 

 

L'homme du Moyen Âge adore les couleurs saturées, c'est-à-dire les couleurs intenses et denses. Il les interprète comme des signes de la lumière divine et aime à les retrouver dans sa vie quotidienne, dans ses costumes, ses blasons ou dans les œuvres d'art comme les enluminures, les vitraux, les émaux: d'origine divine, les couleurs n'en sont pas moins intimement liées aux choses, aux conditions matérielles qui en permettent l'apparition et qui participent à leur hiérarchisation. Le rapprochement le plus fréquent est celui de l'or et de l'azur. Alors que le jaune tant apprécié par les Romains est en déclin, les valeurs positives de lumière, de noblesse et de richesse qu'il représentait sont maintenant le fait de l'or, dont les artistes font grand usage. L'histoire montre ainsi que les significations données aux couleurs dépendent des cultures et des époques. Le bleu commencera au XIIIe siècle une ascension fulgurante. Il est la couleur de la Vierge et de la fonction royale. Les usages de la couleur sont extrêmement codifiés. Dans un tableau, selon les niveaux de vénération, le peintre emploie des couleurs ayant des coûts différents. La Trinité est exprimée par de l'or. Pour la Vierge, les bleus les plus prestigieux sont utilisés alors que les saints, les anges et surtout les donateurs sont réalisés avec des couleurs moins coûteuses: la hiérarchie des valeurs est en correspondance avec celle des couleurs. Plutôt que d'être mêlées, les couleurs, juxtaposées et contrastées, remplissent des fonctions de distinction, de ségrégation.

La Renaissance ouvre une nouvelle voie en prônant le mélange des couleurs. L'histoire du coloris commence alors. Le terme de «coloris» concerne l'association des couleurs en vue de leur harmonisation au sein d'une totalité picturale. Il est œuvre humaine, expression de l'imaginaire, des désirs, des conceptions du monde de l'homme de la Renaissance et, de là, de l'homme moderne.
Pour les coloristes, de Titien à Rubens, de Coypel à Fragonard, les couleurs se comprennent à travers trois aspects de leur activité de peintre. Lorsqu'ils considèrent l'univers qui les entoure, les coloristes voient des couleurs qu'ils désignent comme «naturelles». Celles-ci varient selon la place qu'elles occupent. Pour expliquer ce phénomène et faire admettre que la «traversée de l'air» modifie l'aspect des couleurs, Leon Battista Alberti suggère dès le XVe siècle l'image d'un caméléon qui, placé entre l'œil et les choses, capterait les couleurs, dont les plus éloignées se décoloreraient et s'imprégneraient de l'azur de l'air. Cette dégradation des couleurs est l'une des variables essentielles de la perspective aérienne de Léonard de Vinci. En revanche, lorsqu'ils font état des couleurs qu'ils emploient, les coloristes parlent de couleurs «artificielles», car elles dépendent des pigments qui sont mélangés sur la palette. Elles se transforment grâce à l'action, à l'artifice de l'homme. Enfin, lorsque des coloristes placent les couleurs artificielles sur le tableau, celles-ci deviennent des couleurs «locales», modifiées par le contexte visuel de l'ensemble de l'œuvre.
Qu'elles soient naturelles, artificielles ou locales, les couleurs se réfèrent à de grands domaines qui les regroupent en des pôles antagonistes: il s'agit, d'une part, du domaine des couleurs aériennes comme le bleu outremer, l'azur, le blanc, le jaune et, d'autre part, de celui des couleurs terrestres comme les bruns, les terres et le noir. Entre les deux se situe le domaine des rouges, des laques et du vermillon. L'art du coloriste, qui puise dans ces domaines, consiste à faire «tendre» plus ou moins les couleurs entre elles. Le coloriste doit ainsi trouver le ton juste, c'est-à-dire la juste tension, entre les domaines de couleurs. En outre, en faisant varier les couleurs, en ménageant des passages de l'une à l'autre, il assure l'harmonie de son œuvre. Le rôle de l'éclairage est fondamental: le clair-obscur renforce l'union des couleurs du tableau, telle une bougie éclairant l'œuvre avec, au centre, le clair, ou jour principal, et, en périphérie, l'obscur, la pénombre et les figures confuses.

 

Voir aussi:  Les codes de la couleur au Moyen Age

 

 

Au XVIIIe siècle, indépendamment du coloris, les théories des couleurs opèrent d'autres classements et proposent d'autres usages de la couleur. À travers elles, l'histoire de l'art et celle de la science se trouvent étroitement liées. Isaac Newton met en évidence dans sa chambre obscure le caractère hétérogène de la lumière. Il désigne pour la première fois le spectre des couleurs, dans lequel il précise – arbitrairement – sept nuances qui lui semblent fondamentales, respectant de cette manière une mise en correspondance possible avec les sept notes de la gamme musicale; il invente le cercle chromatique, qui permet d'affirmer la possibilité de reformer la lumière à partir des couleurs les plus attractives. Lorsque, à la fin du XIXe siècle, les peintres néo-impressionnistes, comme Signac et Seurat, tentent une recomposition symbolique de la lumière à partir de points de couleurs pures, la théorie de Newton est depuis longtemps assimilée et située par rapport au travail pictural.

La conception selon laquelle un petit nombre de couleurs primitives peut engendrer une infinité de couleurs se trouve être également, au XVIIIe siècle, à la base de l'ordre de la nuance du jésuite Louis Bertrand Castel. L'originalité de sa théorie est de mettre en correspondance trois couleurs considérées comme primaires (bleu, jaune et rouge) avec les trois sons fondamentaux (do, mi, sol) de l'harmonie musicale. Pour concrétiser ce parallélisme, Castel imagine un clavecin des couleurs déroulant une boucle sur laquelle les couleurs se suivent selon leur nuance ou leur ton. Une telle mise en ordre va à l'encontre des habitudes des coloristes. Par exemple, selon Castel, une couleur chair peut être foncée, alors que les coloristes considèrent cette couleur comme étant aérienne et donc claire et légère. Malgré ces réticences, l'ordre des primaires s'imposera progressivement dans de vastes secteurs de l'art.

Cet ordre trouvera un précieux appui dans le développement des techniques, comme celles de l'imprimerie, qui font usage d'encres de couleurs primaires pour multiplier les images. L'une des conséquences de cette mise en ordre des couleurs est la réduction du coloris à une sorte de clair-obscur nuancé. La réaction de certains artistes à l'encontre de ce procédé est parfois très vive: Cézanne rejette l'accrochement des tons que, par la suite, Bonnard désignera dédaigneusement comme étant la «sauce des anciens».

 

 

En relation avec de nouvelles philosophies de la nature, une autre orientation théorique est prise au début du XIXe siècle. Le principal artisan de l'ordre des couleurs complémentaires sera un écrivain, Goethe: il considère que la couleur est une sensation dépendant de la relation qu'entretient le sujet avec le monde qui l'entoure. Les couleurs apparaissent comme étant des impressions fugitives, des ombres, des halos qui, par polarités antagonistes, recomposent dans un mouvement continuel la totalité visuelle du monde. Goethe place les trois couples de couleurs fondamentales sur un cercle chromatique dont le but est d'influencer les usages de la couleur en art. La règle est que les couleurs opposées sur le cercle doivent former, une fois juxtaposées dans une même œuvre, les combinaisons les plus harmonieuses. Ainsi, contrairement à Castel qui privilégie la continuité nuancée, Goethe valorise les oppositions contrastives. Poursuivant sa démarche, Goethe met en relation certaines associations de couleurs avec un contenu précis. C'est là un point essentiel: les combinaisons de couleurs peuvent être interprétées. Par exemple l'association de l'orangé, du rouge et du violet signifierait la puissance, alors que celle du violet, du bleu, du vert et du gris-bleu suggérerait plutôt la mélancolie. D'une façon plus systématique, le chimiste français Chevreul propose les mêmes orientations, qu'il définit avec précision, pour les rendre plus directement accessibles à tous les arts, de la tapisserie à l'art des jardins. Dans De la loi du contraste simultané des couleurs (1839), Chevreul propose de nombreuses combinaisons de couleurs résultant de sa volonté d'appliquer aux domaines de l'art la même méthode expérimentale et le même type de raisonnement logique qu'en science.

Cette volonté de rapprocher l'art et la science n'est pas isolée. Le peintre Léonor Mérimée (père de Prosper) envisage même à cette époque la création d'une «science du coloris». Toutefois, ces recherches théoriques sont loin d'être les seules sources d'inspiration des artistes, qui puisent le plus souvent de nouveaux motifs contrastés dans les œuvres des époques antérieures à la Renaissance, dans celles des contrées lointaines ou, tout simplement, dans les réalisations jugées jusque-là peu artistiques, comme les cartes à jouer ou les images d'Épinal. Les modes néogothique et orientaliste apprécient, outre les contrastes, les aplats de couleurs, ce que Chevreul désigne comme le «système des teintes plates», qui trouve sa pleine expression dans les arts décoratifs, l'Art nouveau et l'art moderne.

 

Ces théories et ces pratiques de la couleur trouveront des prolongements poussés à l'extrême dans l'art du XXe siècle. La quête de la couleur pure fascine autant les fauvistes que des artistes abstraits comme Mondrian et Malevitch, qui expriment de cette façon des préoccupations d'ordre métaphysique. La peinture monochrome est également une expérience extrême. L'artiste refuse de faire paraître la couleur comme mélangée, attachée au présent. Celle-ci est marquée, figée, éternelle. En revanche, le coloris évoquant les changements d'état des choses et des sentiments demeure actuel, grâce aux expansions colorées des Nymphéas de Monet, aux fusions chromatiques de Bonnard, au champ coloré ou color field de la peinture américaine ainsi qu'à la mise en tension par Francis Bacon de masses troubles liées à la chair avec la platitude des couleurs. Certaines de ces expériences sont en relation avec des enseignements tels que ceux de Johannes Itten ou de Kandinsky, qui tentent l'union de la couleur et de la figure, ou celui de Klee, qui recherche l'accord de polarités antagonistes dans la dynamique de l'œuvre, ou enfin celui de Josef Albers, qui réfute l'harmonie au nom de l'interaction des couleurs: selon lui, toute couleur peut agir avec n'importe quelle autre.

Ces expériences limites ne peuvent guère faire oublier l'emploi conventionnel de la couleur dans le cadre de la vie quotidienne. Un chercheur japonais, Shigenobu Kobayashi, cherche, à l'aide de son color image scale, à faciliter les usages de la couleur en communication, mettant en relation chaque combinaison de couleurs avec un message particulier. Cependant, rien ne prouve que la mise en ordre de telles normes convenant à une démarche de marketing puisse intéresser les artistes contemporains, plus enclins à explorer les extrêmes de l'expression, à bouleverser les règles établies, à mettre en tension les systèmes les plus antagonistes.