Jules Schmalzigaug            Un futuriste belge

 

Comment peindre le mouvement d'une danseuse ou l'ambiance nocturne, étouffante et bruyante d'un café ? Comment transcrire visuellement le mouvement et le bruit d'une voiture lancée à toute allure ? Quelle couleur choisir pour évoquer un jet de lumière ? Toutes ces interrogations animent Jules Schmalzigaug au cours de sa brève carrière de peintre. Les solutions résident selon lui dans le futurisme qui, au début du XXe siècle, tourne délibérément le dos au passé et promeut une esthétique fond-ée sur le progrès, la vitesse et le dynamisme

Jules Schmalzigaug est le seul peintre belge impliqué dans l'aventure futuriste italienne avant le déclenchement du premier conflit mondial. Né à Anvers le 26 septembre 1882, il suit une formation artistique en Allemagne, en Belgique et en France. En 1912, sa visite de l'exposition des Peintres futuristes italiens à Paris change le cours de sa carrière. Il s'installe la même année à Venise où il se familiarise avec la scène artistique d'avant-garde locale. Ses premières expériences futuristes débutent en 1913. Au printemps 1914, il expose ses oeuvres aux côtés d'artistes futuristes italiens et étrangers lors de l'Esposizione libera futurista internazionale à Rome. Lors de l'éclatement de la guerre, il quitte prématurément Venise en automne 1914 et se réfugie avec sa famille aux Pays-Bas neutres. Il s'y donne la mort le 12 mai 1917 à l'âge de 34 ans.

Du passéisme au futurisme...

Durant plus de treize ans, rien ne laisse présager qu'un jour Jules Schmalzigaug s'éloignera de sa formation traditionnelle. Il fréquente différentes académies et les ateliers libres de plusieurs maîtres européens. Il effectue ensuite un "Grand Tour" en Italie, dans le sillage des lauréats du Prix de Rome. Sous le pseudonyme "Maurice Mandon", il rédige des critiques d'art et présente ses travaux dans divers salons parisiens...

1909-1911  Étude du Petit Marché aux Poissons à Bruges

Après un "Grand Tour" à travers l'Italie et une première découverte de Venise, Schmalzigaug retourne dans sa ville natale d'Anvers. Il y rédige des articles sur l'art et y devient secrétaire adjoint du cercle "L'Art contemporain". Entre août 1909 et octobre 1910 puis durant l'été 1911, il séjourne à Bruges ainsi que dans le village voisin de Lissewege et y réalise divers travaux. Peu de choses sont connues des oeuvres réalisées à Bruges par Schmalzigaug, quand bien même plusieurs dessins d'une grande précision représentant des intérieurs, des vues de la ville et des paysages ont pu être retrouvés. L'esquisse du Petit Marché aux Poissons à Bruges est empreinte de réalisme.

 


Ses premières expériences futuristes de 1913 le conduisent à se séparer de cette longue formation et à rêver pour la première fois "d'avoir d'ici quelque temps, un rôle à jouer" en tant qu'artiste. Sa profonde connaissance du passé lui permet de légitimer son choix pour le futurisme: il sait que pour inscrire son nom dans les annales de l'histoire de l'art, il se doit d'en écrire un nouveau chapitre.

1914 Expression dynamique d'un mouvement de danseuse

Sa volonté de traduire picturalement le dynamisme incita Schmalzigaug à considérer son oeuvre comme essentiellement futuriste. Le lien de parenté avec les courants d'art parisiens de l'époque n'échappe cependant pas au critique d'art André Salmon. Dans un article sur la 30ème édition du Salon des Indépendants à Paris paru dans la revue Montjoie!, ce dernier effectue un parallèle entre le tableau Expression dynamique d'un mouvement de danseuse - qui y est exposé - et les travaux de Georges Seurat et des synchromistes américains.

Membre du réseau futuriste

Schmalzigaug découvre le futurisme à Paris en février 1912, lors de la conférence de Filippo Tommaso Marinetti à l'occasion de l'exposition Les Peintres futuristes italiens à la galerie Bernheim-Jeune. Cette exposition est pour Schmalzigaug une véritable révélation et l'amène à quitter la France pour l'Italie. Depuis son atelier vénitien, il noue des contacts avec l'avant-garde locale et s'approprie le langage futuriste.

Il fait la connaissance de plusieurs acteurs majeurs du mouvement futuriste tels Giacomo Balla et Umberto Boccioni. L'invitation à participer à l'Esposizione libera futurista internazionale à Rome au printemps de 1914 est le signe de la réception positive de son oeuvre par ses nouveaux amis italiens.

En quête de couleur

À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les différentes théories scientifiques et techniques de la couleur sont largement répandues dans les milieux artistiques, provoquant un bouleversement majeur dans la relation unissant l'artiste à son sujet. L'art, jusque-là mimétique, évolue vers une expression de la couleur complètement libre, tout en étant scientifiquement légitimée.

La théorie de la couleur du physicien américain Ogden Rood a offert à Schmalzigaug le cadre de référence pour se forger un langage chromatique personnel. Dans son manuscrit La Panchromie (1916), Schmalzigaug distingue ainsi les couleurs-lumière des couleurs-feutre qui, respectivement, renvoient et absorbent la lumière. Il est aussi convaincu de pouvoir obtenir un effet optique particulier en jouant sur le contraste simultané entre couleurs-lumière et couleurs-feutre.

Dynamisme futuriste

Le concept de dynamisme, un élément clé du futurisme, est amplement détaillé dans le Manifeste des peintres futuristes de 1910 que Schmalzigaug a sans doute lu et relu. À partir de 1913, le dynamisme se trouve au centre de ses premières expériences futuristes, comme l'indiquent ses propos sur son oeuvre: "décomposition de la forme pour induire au sens du mouvement" ou encore "chaque ambiance a son rythme dynamique". 
Ses peintures autour de thèmes typiquement futuristes tels des automobiles roulant à vive allure, la danse ou l'atmosphère nocturne d'un café forment autant d'essais de traduction plastique du dynamisme. En 1914, il expliquait à Boccioni : "qu’il a renoncé à toute perspective univoque au profit d’une orchestration en tapisserie sur un seul plan, d’éléments coloristes suggérés par un sujet donné et arrangés selon un rythme en arabesque arbitrairement dicté par l’intuition ou l’émotion".

Exil forcé

La Première Guerre mondiale met abruptement fin au bien-être artistique et moral de Schmalzigaug en Italie. Schmalzigaug quitte Venise à l'automne 1914 pour s'enfuir à La Haye avec sa famille. Il y fonde en octobre 1915 l'École belge d'Art domestique. Schmalzigaug enseigne en compagnie de son frère Herman et du Baron Francis Delbeke, dont il peint le portrait. Il donne également des cours particuliers à Édith Van Leckwijck, une jeune étudiante artiste de 16 ans.

À côté de ses occupations pédagogiques, Schmalzigaug crée des oeuvres très diverses qui témoignent de ses recherches incessantes pour l'élaboration d'un style personnel. À l'hiver 1916, il prend part à l'Exposition d'Art belge au Stedelijk Museum d'Amsterdam et représente seul le mouvement futuriste. C'est alors sa dernière apparition publique avant sa mort prématurée au mois de mai 1917.

Jules Schmalzigaug réalise en 1917, l'année de sa mort, le portrait de son ami le juriste et historien, le Baron Francis Delbeke, durant leur exil aux Pays-Bas. Dans le portrait de son ami, Schmalzigaug met en évidence sa personnalité d'intellectuel perspicace ; il est représenté assis à son bureau, penché sur ses ouvrages. Autour du baron Francis Delbeke, assis à son bureau, les rayons du soleil découpent l'espace en une combinaison de triangles. La lumière, comme réfractée par une multitude de prismes, contraint à une vision syncopée qui dynamise le tableau, effet encore accru par les hachures nerveuses du pastel. Par la forme solide et le modelé des tonalités, le personnage se détache nettement d'un arrière-plan vague, fait de jeux de lumière diffuse (d'après Francisca Vandepitte, in 'Musée d'Art Moderne. Oeuvres choisies')

Voir aussi

Jules Schmalzigaug - Wikipédia

http://www.expo-schmalzigaug.be