" Et les follets dansaient
tout autour.
Et parlant avec des voix d'hommes, de femmes, de filles et d'enfants
plaintifs, ils dirent, gémissant :
-- Orgueil, père d'ambition, Colère, source de cruauté,
vous nous tuâtes sur les champs de bataille, dans les prisons
et les supplices, pour garder vos sceptres et vos couronnes ! Envie,
tu détruisis en leur germe bien de nobles et d'utiles pensées,
nous sommes les âmes des inventeurs persécutés
; Avarice, tu changeas en or le sang du pauvre populaire, nous sommes
les esprits de tes victimes ; Luxure, compagne et soeur de meurtre,
qui enfantas Néron, Messaline et Philippe, roi d'Espagne, tu
achètes la vertu et payes la corruption, nous sommes les âmes
des morts ; Paresse et Gourmandise, vous salissez le monde, il faut
vous en balayer, nous sommes les âmes des morts."
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De Coster,
La
Légende d'Ulenspiegel, Livre cinquième,
9 |
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Le
sujet est ancien, religieux et traditionnel: assisté par deux anges
armés d'épées, l'Archange Michel précipite dans les Enfers les
anges rebelles à Dieu. Ceux-ci, déchus, se transforment en êtres
hybrides, bariolés et fantastiques. Représentation complexe et
baroque de l'espace, cette oeuvre impose, autour du personnage
central, une composition concentrique, circulaire qui accentue
l'impression de tumulte. Au centre, saint Michel, figure mince et
gracile, est revêtu d'une armure dont l'or scintillant rappelle le
jaune des trompettes et celui plus immatériel du cercle lumineux et
divin qui domine la scène. Les principales couleurs d'ailleurs - le
rouge, le vert, le bleu - se répètent avec des tonalités
différentes et garantissent l'unité dans la confusion. Du haut en
bas, les couleurs passent de la pureté légère à l'opacité
inquiétante.
Aux côtés de l'Archange, deux anges sont entièrement revêtus de
tuniques blanches plissées. Au-dessus d'eux, les sonneurs de
trompettes ne laissent aux regards que la tête et les mains. La
partie supérieure, céleste, est plus éthérée, moins peuplée et
mieux ordonnée. Les anges rebelles la franchissent avant d'être
jetés dans les abysses sombres de l'enfer où des monstres
tourbillonnants les attendent. A gauche seraient figurés les vices
capitaux.
Ainsi, dans la partie inférieure, l'imagination du peintre se
déchaîne: les créatures à la fois hommes, poissons, oiseaux,
amphibies, reptiles ou objets s'y serrent et s'y entassent: ce sont
des gnomes casqués, une chauve-souris cerf-volant, des végétaux
ailés... Ces démons aux faces bestiales affichent une nudité
impudique à peine cachée. |
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Le
symbolisme est évident: les "méchants" tombent sous
l'épée de la justice et l'esprit est supérieur au corps. Au
siècle de Bruegel, on s'ouvrait à la réalité, on découvrait
l'anatomie, le monde animal et végétal, le ciel et la terre.
Pourtant, les croyances du Moyen Âge étaient encore vivantes; la
Flandre fut victime de l'Inquisition espagnole et de ses nombreux
procès en sorcellerie (Dans la Légende d'Ulenspiegel, les
délations et arrestations sont fréquentes). Incapables encore de
tout expliquer ou du moins de penser que tout le sera un jour, les
hommes du début de la Renaissance croient encore au Diable et aux
démons, réellement ou pour le plaisir de se faire peur. Bruegel
était sans doute de ceux qui s'en amusait: le côté fantastique des
habitants de l'enfer qu'il ajoute à ce thème sérieux semble le
prouver.
Certains ont disserté sur ce nouvel intérêt pour les problèmes de
la foi et sur ce retour vers le répertoire de Jérôme Bosch (voir
Le Jugement dernier - panneau central) dont les oiseaux difformes
cèdent au combat avec les anges. D'autres y voient l'influence de
Dürer (L'Apocalypse).
Francastel va jusqu'à penser qu'à l'époque de cette peinture,
Bruegel se trouvait peut-être du côté des puissants et autres
commanditaires espagnols, à savoir pour l'ordre et contre la
subversion.
Pourtant, le plaisir pictural, la fantaisie de la faune infernale
transforment le tableau en une oeuvre de rupture: loin du ton
italianisant du triptyque de F. Floris (Cathédrale d'Anvers), le
peintre donne à la scène une tonalité flamande et le dégradé des
tons ajoute à l'originalité de la composition.
L'Archange Michel figure sur les tympans de nombreuses cathédrales.
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Frans
Floris: La Chute des Anges Rebelles, 1554
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