Breughel l'ancien

1525 Beda (?)-1569 Bruxelles

La Chute des Anges Rebelles

" Et les follets dansaient tout autour.
Et parlant avec des voix d'hommes, de femmes, de filles et d'enfants plaintifs, ils dirent, gémissant :
-- Orgueil, père d'ambition, Colère, source de cruauté, vous nous tuâtes sur les champs de bataille, dans les prisons et les supplices, pour garder vos sceptres et vos couronnes ! Envie, tu détruisis en leur germe bien de nobles et d'utiles pensées, nous sommes les âmes des inventeurs persécutés ; Avarice, tu changeas en or le sang du pauvre populaire, nous sommes les esprits de tes victimes ; Luxure, compagne et soeur de meurtre, qui enfantas Néron, Messaline et Philippe, roi d'Espagne, tu achètes la vertu et payes la corruption, nous sommes les âmes des morts ; Paresse et Gourmandise, vous salissez le monde, il faut vous en balayer, nous sommes les âmes des morts."
De Coster, La Légende d'Ulenspiegel, Livre cinquième, 9
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Le sujet est ancien, religieux et traditionnel: assisté par deux anges armés d'épées, l'Archange Michel précipite dans les Enfers les anges rebelles à Dieu. Ceux-ci, déchus, se transforment en êtres hybrides, bariolés et fantastiques. Représentation complexe et baroque de l'espace, cette oeuvre impose, autour du personnage central, une composition concentrique, circulaire qui accentue l'impression de tumulte. Au centre, saint Michel, figure mince et gracile, est revêtu d'une armure dont l'or scintillant rappelle le jaune des trompettes et celui plus immatériel du cercle lumineux et divin qui domine la scène. Les principales couleurs d'ailleurs - le rouge, le vert, le bleu - se répètent avec des tonalités différentes et garantissent l'unité dans la confusion. Du haut en bas, les couleurs passent de la pureté légère à l'opacité inquiétante.
Aux côtés de l'Archange, deux anges sont entièrement revêtus de tuniques blanches plissées. Au-dessus d'eux, les sonneurs de trompettes ne laissent aux regards que la tête et les mains. La partie supérieure, céleste, est plus éthérée, moins peuplée et mieux ordonnée. Les anges rebelles la franchissent avant d'être jetés dans les abysses sombres de l'enfer où des monstres tourbillonnants les attendent. A gauche seraient figurés les vices capitaux.

Ainsi, dans la partie inférieure, l'imagination du peintre se déchaîne: les créatures à la fois hommes, poissons, oiseaux, amphibies, reptiles ou objets s'y serrent et s'y entassent: ce sont des gnomes casqués, une chauve-souris cerf-volant, des végétaux ailés... Ces démons aux faces bestiales affichent une nudité impudique à peine cachée.
 
Le symbolisme est évident: les "méchants" tombent sous l'épée de la justice et l'esprit est supérieur au corps. Au siècle de Bruegel, on s'ouvrait à la réalité, on découvrait l'anatomie, le monde animal et végétal, le ciel et la terre. Pourtant, les croyances du Moyen Âge étaient encore vivantes; la Flandre fut victime de l'Inquisition espagnole et de ses nombreux procès en sorcellerie (Dans la Légende d'Ulenspiegel, les délations et arrestations sont fréquentes). Incapables encore de tout expliquer ou du moins de penser que tout le sera un jour, les hommes du début de la Renaissance croient encore au Diable et aux démons, réellement ou pour le plaisir de se faire peur. Bruegel était sans doute de ceux qui s'en amusait: le côté fantastique des habitants de l'enfer qu'il ajoute à ce thème sérieux semble le prouver.


Certains ont disserté sur ce nouvel intérêt pour les problèmes de la foi et sur ce retour vers le répertoire de Jérôme Bosch (voir Le Jugement dernier - panneau central) dont les oiseaux difformes cèdent au combat avec les anges. D'autres y voient l'influence de Dürer (
L'Apocalypse).
Francastel va jusqu'à penser qu'à l'époque de cette peinture, Bruegel se trouvait peut-être du côté des puissants et autres commanditaires espagnols, à savoir pour l'ordre et contre la subversion.

 


Pourtant, le plaisir pictural, la fantaisie de la faune infernale transforment le tableau en une oeuvre de rupture: loin du ton italianisant du triptyque de F. Floris (Cathédrale d'Anvers), le peintre donne à la scène une tonalité flamande et le dégradé des tons ajoute à l'originalité de la composition.
L'Archange Michel figure sur les tympans de nombreuses cathédrales.

Frans Floris: La Chute des Anges Rebelles, 1554  

 

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