Les mécaniques du conte

 

 

Jean Verrier

 

 

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Claude Bremond compare le conte au jeu de Meccano. La structure et le fonctionnement des contes relèvent de ce jeu de construction : chaque conteur apporte sa variante en combinant à l’infini des éléments au nombre relativement limité. Petit inventaire des principaux outils d’analyse.

 

LES MOTIFS

Ce sont des éléments qu’on retrouve dans de nombreux contes, des points de repère qui, à eux seuls, ne font pas forcément l’histoire. Il peut s’agir d’objets magiques comme un miroir parlant ou des bottes ; de formules comme « Sésame, ouvre-toi » ; de dons comme cracher des perles ou des serpents ; de ruses comme feindre d’être mort ; d’épreuves comme trier un énorme tas de lentilles.
Mais il est arbitraire et hasardeux de vouloir classer les contes par motifs. Si l’on compare, par exemple, les contes de « miroir », on s’aperçoit que cet objet n’y joue pas forcément le même rôle : il n’y a pas grand-chose de commun entre le miroir de Blanche-Neige et celui de La Belle et la Bête. D’autre part, des motifs différents peuvent avoir les mêmes effets : un tapis, mais aussi des bottes, une bague, un gant permettent un déplacement rapide, voire instantané.
S’il est intéressant de comparer les motifs, on ne saurait s’en contenter comme instrument d’analyse.

 

LES FONCTIONS DE PROPP

Le folkloriste russe critique la classification Aarne-Thompson des contes par sujets. Avant de classer, il faut définir ce que l’on classe, chercher l’unité de mesure du conte. On s’aperçoit alors qu’il peut y avoir plusieurs contes successifs dans ce que l’on appelait « un conte ». Par exemple, dans les contes des Mille et Une Nuits, on trouve de nombreuses histoires enchâssées les unes dans les autres, au point qu’il arrive qu’on ne sache plus dans laquelle on se trouve : ce vertige est un des charmes du conte.

 

L’unité de mesure, c’est la fonction, c’est-à-dire l’action d’un personnage définie du point de vue de sa signification dans le déroulement de l’intrigue (par exemple, un mariage en cours de conte n’a pas la fonction de récompense qu’il prend en fin de conte). Et Propp définit le conte merveilleux comme une succession de 31 fonctions. Les plus importantes, celles qu’on retrouve dans le plus grand nombre de contes, sont l’éloignement des parents (dans Le Petit Poucet, Le Petit Chaperon rouge, etc.) qui va être l’occasion de la rencontre d’un agresseur ; le méfait ou le manque (d’époux, d’enfant, de richesse, etc.) ; la tâche difficile (trier un énorme tas de lentilles, voler trois poils de la barbe du diable, etc.) ou le combat (contre un dragon par exemple) ; la réparation du manque ou du méfait, et la récompense finale (richesses, mariage, etc.).

 

PERSONNAGE ET SPHÈRE D’ACTION

La fonction ne tient pas compte des motivations psychologiques, conscientes ou inconscientes, de celui qui agit, ni même de sa nature : ce peut être un être humain ou un animal mais aussi bien un arbre, un poêle ou une rivière. On peut alors regrouper logiquement plusieurs fonctions dans une même sphère d’action (le roi envoie le héros en mission et le récompense quand il revient après la victoire ; mais, si le roi meurt pendant le combat, c’est son successeur qui récompense le héros : on ne quitte pas pour autant la sphère d’action du roi). Selon Propp, le conte merveilleux fait intervenir sept personnages ayant chacun sa sphère d’action : le Héros (sujet de la quête), l’Objet de la quête (princesse, trésor), le Mandateur (qui envoie le Héros en quête), le Donateur (qui aide le Héros de façon souvent surnaturelle), l’Auxiliaire (offert par le Donateur, un objet magique la plupart du temps), l’Agresseur (qui veut supprimer le Héros) et le Faux Héros (qui échoue dans la quête qu’il mène parallèlement mais essaie d’obtenir la récompense). Mais il arrive qu’un personnage cumule deux rôles : le Héros peut être son propre Mandateur comme Peau - d’Âne ; souvent l’Agresseur et le Faux Héros se confondent.

 

LES ACTANTS DE GREIMAS

Greimas a repris l’idée des sphères d’action pour résumer un conte en un tableau de six sphères d’action ou « actants ». C’est le modèle actanciel. Par exemple, un roi (« destinateur ») offre sa fille (« objet ») à celui (« destinataire ») qui saura la délivrer d’un dragon (agresseur, « opposant »). Dans sa quête, le chevalier (« sujet ») est aidé par sa bravoure et par ceux qu’il a éventuellement rencontrés en chemin et auxquels il a rendu service (« adjuvant »). Ses défauts, ses faiblesses font partie, avec l’agresseur, de l’actant « opposant ». Ces notions et ce modèle ont modifié l’idée que l’on se faisait du personnage en littérature.

 

LES SÉQUENCES NARRATIVES

Bremond regroupe les fonctions en séquences narratives, caractérisées chacune par une unité d’action selon le schéma ternaire suivant : problème à résoudre/passage à l’acte/succès ou échec. Ces séquences acheminent petit à petit le conte de la situation initiale (dégradation) à la situation finale (amélioration) avec, dans la plupart des cas, le processus mérite/récompense, démérite/châtiment.
Dundes réduit le nombre des fonctions de Propp et les organise par paires. Ainsi met-il en parallèle les situations initiale et finale avec la paire méfait ou manque/suppression du manque. Il dégage trois couples pouvant entraîner la suppression du manque : interdiction/transgression (La Barbe bleue, La Belle et la Bête), tâche à accomplir/tâche accomplie (sauver la princesse), manœuvre de tromperie/victime dupée (le loup contrefait la voix de la petite fille pour tromper la grand-mère).

 

D’AUTRES STRATÉGIES NARRATIVES

Denise Paulme, qui a travaillé sur la morphologie des contes africains, propose une typologie qui rend compte de la diversité des structures des contes. En voici les principaux.
Le type ascendant : la situation du héros s’améliore après une série d’épreuves qu’il affronte, seul ou avec des adjuvants, avec succès. Ainsi le Petit Poucet qui, abandonné pour cause de misère, va enrichir sa famille.
Le type descendant : le conte finit plus mal qu’il n’avait commencé. C’est le cas du Petit Chaperon rouge de Perrault qui périt dans la gueule du loup, alors que la situation initiale était heureuse. C’est le cas de toutes les histoires de trompeur trompé.
Le type cyclique : où situation initiale et situation finale sont équivalentes sans réelle amélioration. Sauf chez Perrault, le Petit Chaperon rouge échappe finalement au loup et retrouve sa famille. De même, dans Les Souhaits ridicules, le bûcheron et sa femme ne changent pas d’état et retournent à la case départ.
Le type en miroir : construit sur un procédé de renversement de situation. Le héros et le faux héros subissent successivement les mêmes épreuves. Le premier réussit et sa situation s’améliore (parcours ascendant), l’autre échoue et sa situation se dégrade (parcours descendant). Ces parcours sont symétriques.
Le type en sablier : on y retrouve encore le héros et le faux héros mais leurs parcours s’entrecroisent au lieu de se succéder, d’où le nom de sablier. La typologie de Denise Paulme nous amène à différencier ce que l’on confond souvent sous l’appellation de contes en miroir. Pour elle, dans le conte en miroir, les personnages ont des chances égales au départ : le loup et le renard, dans le Roman de Renart, sont autant susceptibles l’un que l’autre de se procurer à manger mais le loup échoue toujours, victime de sa sottise. Dans les contes en sablier, le vrai héros est défavorisé au début par rapport à l’autre mais, à la fin, les choses s’inversent complètement. C’est ce qu’on trouve, par exemple, dans Les Fées, dans Ali Baba et les quarante voleurs.

 

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