Les documents recueillis par les collecteurs français sont de trois
sortes :
– vingt versions orales qui ne doivent rien à l'imprimé ;
– deux versions qui doivent tout à la version de Perrault retournée à
la tradition, à la suite d'une énorme diffusion par
la littérature de
colportage et le livre d'enfant ;
– une douzaine de versions mixtes qui contiennent en proportions
variables des éléments venus de l'imprimé et des éléments
indépendants.
Actuellement, l'enquêteur ne recueille plus guère que des versions
issues du livre, ce qui était encore l'exception à la fin du siècle
dernier et au début de celui-ci.
[ ... ] Le conte de Grimm descend de celui de Perrault comme
le révèle une comparaison attentive et comme l'expliquent certains
faits : il présente les mêmes détails, les mêmes adjonctions
littéraires, plus complaisamment développées, les mêmes lacunes ;
les frères Grimm tenaient leur version d'une conteuse d'ascendance
française, qui mêlait dans sa mémoire les traditions allemande et
française, et elle et sa sœur leur ont fourni, pour leur première
édition, trois autres contes de Perrault et un de Mme d'Aulnoy qui ont
été supprimés dans les éditions suivantes. Si Le Petit Chaperon
rouge a été maintenu, c'est sans doute à cause du dénouement
différent qui a pu faire croire à une version indépendante.
[ ... ]
Mais ce dénouement est une contamination par la forme allemande du
conte de La Chèvre et les Chevreaux. D'ailleurs, bien que, depuis
plusieurs générations, presque tous les Allemands connaissent dès
l'enfance les plus jolis contes du recueil des frères Grimm, le conte du Petit
Chaperon rouge n'est pas dans la tradition orale allemande (deux
versions orales seulement, toutes deux venues de la version de Grimm, ont
été relevées jusqu'ici dans toute l'Allemagne).
On ne saurait trop insister sur cette origine de la version des frères
Grimm, car, invariablement, les théoriciens l'ont considérée comme plus
complète et plus primitive que celle de Perrault, et ils ont trouvé
toutes sortes de sens symboliques à l'épisode de la fillette avalée par
le loup et sortie vivante de son corps.
Les versions orales indépendantes présentent une identité
remarquable d'une extrémité à l'autre de la zone d'extension du conte.
Elles permettent de constater que la coiffure rouge de la fillette est un
trait accessoire, particulier à la version de Perrault, non un trait
général sur lequel on puisse se fonder pour expliquer le conte ;
d'ailleurs, bien d'autres contes ont, eux aussi, une version particulière
qui s'appelle le Bonnet rouge, comme d'autres contes ont des titres qui
évoquent une coiffure, une pièce de vêtement ou une chaussure de
couleur : le Bonnet blanc, le Chapeau vert, l'Habit blanc, la
Jarretière verte, les Souliers rouges ; et tous ces titres inspirés
par un détail vestimentaire du héros dans une version particulière ont
un caractère accessoire et accidentel dans le récit. Et on voit l'erreur
de ceux qui ont voulu trouver un sens symbolique à notre conte en partant
du nom de l'héroïne coiffée en rouge en qui ils voyaient l'aurore, la
reine de mai avec sa couronne, etc. La fillette, dans la plupart des
versions, n'est d'ailleurs pas nommée; on dit : une petite fille,
une petite, la piteta, etc.
Dans la version Perrault, le loup, après s'être informé de l'endroit
où se rend la fillette, lui dit qu'il ira "par ce chemin icy"
et elle "par ce chemin-là"; dans les versions populaires,
l'entretien est tout autre. Le loup lui demande : "Quel chemin
prends-tu ? Celui des épingles ou celui des aiguilles ?"
La petite prend un chemin et le loup prend l'autre. Il y a quelques
variantes dans la désignation des chemins: on trouve aussi le chemin des
pierrettes et le chemin des épinettes en langue d'oc, le chemin des
ronces et celui des pierres en Tyrol. Mais cette question du loup sur le
choix des chemins est si générale que des conteurs populaires de la zone
d'extension du conte l'ont réintroduite dans des versions qui doivent
tout le reste à Perrault. Ces absurdes chemins qui surprennent l'adulte
et ont intrigué les chercheurs, ravissent au contraire les enfants qui
trouvent toute naturelle leur existence au pays de féerie.
Le motif cruel et primitif de la chair et du sang mis de côté, que la
petite fille est invitée à consommer, se retrouve dans toutes les
versions populaires, avec des variantes de détail. par exemple les dents
de la grand-mère qui restent attachées aux mâchoires et provoquent les
questions de la fillette, sont présentées par le loup comme des grains
de riz dans le Tyrol, comme des haricots dans les Abruzzes.
Le dramatique dialogue et le tragique dénouement de la version de
Perrault terminent aussi le plus grand nombre de versions populaires.
Extrait
de Le Catalogue raisonné du conte populaire français. Maisonneuve
et Larose, 1951.
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Conte-type
n°333 : Le Petit Chaperon rouge
Éléments du conte
I. L’héroïne.
A1 : C'est une petite fille ;
A2 : nommée le Petit Chaperon rouge ;
A3 : à cause de sa coiffure rouge ;
A4 : nommée autrement ;
A5 : non nommée ;
A6 : autre.
B1 : Elle est envoyée par sa mère ;
B2 : veut aller ;
B3 : ses parents refusent d'abord ;
B4 : va ;
B5 : chez sa grand-mère ;
B6 : chez une autre personne.
C1 : Elle porte du beurre ;
C2 : du fromage ;
C3 : du lait ;
C4 : une galette ;
C5 : un gâteau ;
C6 : du pain ;
C7 : autre.
II. Rencontre avec le loup.
A1 : Elle rencontre le
loup ;
A2 : d'autres animaux ;
A3 : une personne.
B1 : Le loup lui demande où elle va ;
B2 : lui demande lequel des deux chemins possibles elle
prendra ;
B3 : il prend l'autre ;
B4 : c'est le loup qui choisit le chemin le plus court.
III. Chez la grand-mère.
A1 : Le loup arrive chez la
grand-mère ;
A2 : apprend comment on ouvre la porte ;
A3 : mange la grand-mère ;
A4 : met de la chair de côté ;
A5 : du sang de côté ;
A6 : revêt les habits de la grand-mère ;
A7 : se met dans le lit.
B1 : La fillette arrive ;
B2 : apprend comment on ouvre la porte ;
B3 : dit qu'elle a faim ;
B4 : dit qu'elle a soif ;
B5 : le loup lui dit de manger la viande ;
B6 : de boire du vin (sang de la grand-mère) ;
B7 : un animal ;
B8 : une voix ;
B9 : dit à la fillette ce qu'elle mange ;
B10 : ce qu'elle boit.
C1 : Elle dit qu'elle a froid ;
C2 : qu'elle a sommeil ;
C3 : le loup lui dit de venir se coucher ;
C4 : elle se déshabille ;
C5 : demande où mettre chaque vêtement ;
C6 : le loup lui dit de le brûler ;
C7 : elle se couche.
D1 : étonnement de la fillette sur les grands bras ;
D2 : les grandes jambes ;
D3 : les grandes oreilles ;
D4 : les grands yeux ;
D5 : le corps velu ;
D6 : d'autres parties du corps ;
D7 : les grandes dents.
E1 : Dernière réplique du loup : "C'est pour te
manger" ;
E2 : il dévore l'enfant.
IV. Fuite de la fillette, mort du loup.
A1 : La fillette demande à
sortir :
A2 : pour satisfaire un besoin ;
A3 : elle part, attachée par un fil ;
A4 : se libère du fil ;
A5 : rentre chez elle.
B1 : Le loup la poursuit ;
B2 : va l'atteindre au moment où elle rentre chez elle.
C1 : Le loup est tué.
Extrait
de Le Catalogue raisonné du conte populaire français. Maisonneuve
et Larose, 1951.
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