Paul Delarue

Folkloriste français, Paul Delarue (1889-1956) commente dans Le Catalogue raisonné du conte populaire français (Maisonneuve et Larose, 1951) différentes versions françaises de contes folkloriques. Ces deux extraits se rapportent au Petit Chaperon rouge.
   

Les documents recueillis par les collecteurs français sont de trois sortes :
– vingt versions orales qui ne doivent rien à l'imprimé ;
– deux versions qui doivent tout à la version de Perrault retournée à la tradition, à la suite d'une énorme diffusion par la littérature de colportage et le livre d'enfant ;
– une douzaine de versions mixtes qui contiennent en proportions variables des éléments venus de l'imprimé et des éléments indépendants.
Actuellement, l'enquêteur ne recueille plus guère que des versions issues du livre, ce qui était encore l'exception à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci.

[ ... ] Le conte de Grimm descend de celui de Perrault comme le révèle une comparaison attentive et comme l'expliquent certains faits : il présente les mêmes détails, les mêmes adjonctions littéraires, plus complaisamment développées, les mêmes lacunes ; les frères Grimm tenaient leur version d'une conteuse d'ascendance française, qui mêlait dans sa mémoire les traditions allemande et française, et elle et sa sœur leur ont fourni, pour leur première édition, trois autres contes de Perrault et un de Mme d'Aulnoy qui ont été supprimés dans les éditions suivantes. Si Le Petit Chaperon rouge a été maintenu, c'est sans doute à cause du dénouement différent qui a pu faire croire à une version indépendante. [ ... ]

Mais ce dénouement est une contamination par la forme allemande du conte de La Chèvre et les Chevreaux. D'ailleurs, bien que, depuis plusieurs générations, presque tous les Allemands connaissent dès l'enfance les plus jolis contes du recueil des frères Grimm, le conte du Petit Chaperon rouge n'est pas dans la tradition orale allemande (deux versions orales seulement, toutes deux venues de la version de Grimm, ont été relevées jusqu'ici dans toute l'Allemagne).
On ne saurait trop insister sur cette origine de la version des frères Grimm, car, invariablement, les théoriciens l'ont considérée comme plus complète et plus primitive que celle de Perrault, et ils ont trouvé toutes sortes de sens symboliques à l'épisode de la fillette avalée par le loup et sortie vivante de son corps.

Les versions orales indépendantes présentent une identité remarquable d'une extrémité à l'autre de la zone d'extension du conte. Elles permettent de constater que la coiffure rouge de la fillette est un trait accessoire, particulier à la version de Perrault, non un trait général sur lequel on puisse se fonder pour expliquer le conte ; d'ailleurs, bien d'autres contes ont, eux aussi, une version particulière qui s'appelle le Bonnet rouge, comme d'autres contes ont des titres qui évoquent une coiffure, une pièce de vêtement ou une chaussure de couleur : le Bonnet blanc, le Chapeau vert, l'Habit blanc, la Jarretière verte, les Souliers rouges ; et tous ces titres inspirés par un détail vestimentaire du héros dans une version particulière ont un caractère accessoire et accidentel dans le récit. Et on voit l'erreur de ceux qui ont voulu trouver un sens symbolique à notre conte en partant du nom de l'héroïne coiffée en rouge en qui ils voyaient l'aurore, la reine de mai avec sa couronne, etc. La fillette, dans la plupart des versions, n'est d'ailleurs pas nommée; on dit : une petite fille, une petite, la piteta, etc.
Dans la version Perrault, le loup, après s'être informé de l'endroit où se rend la fillette, lui dit qu'il ira "par ce chemin icy" et elle "par ce chemin-là"; dans les versions populaires, l'entretien est tout autre. Le loup lui demande : "Quel chemin prends-tu ? Celui des épingles ou celui des aiguilles ?" La petite prend un chemin et le loup prend l'autre. Il y a quelques variantes dans la désignation des chemins: on trouve aussi le chemin des pierrettes et le chemin des épinettes en langue d'oc, le chemin des ronces et celui des pierres en Tyrol. Mais cette question du loup sur le choix des chemins est si générale que des conteurs populaires de la zone d'extension du conte l'ont réintroduite dans des versions qui doivent tout le reste à Perrault. Ces absurdes chemins qui surprennent l'adulte et ont intrigué les chercheurs, ravissent au contraire les enfants qui trouvent toute naturelle leur existence au pays de féerie.
Le motif cruel et primitif de la chair et du sang mis de côté, que la petite fille est invitée à consommer, se retrouve dans toutes les versions populaires, avec des variantes de détail. par exemple les dents de la grand-mère qui restent attachées aux mâchoires et provoquent les questions de la fillette, sont présentées par le loup comme des grains de riz dans le Tyrol, comme des haricots dans les Abruzzes.
Le dramatique dialogue et le tragique dénouement de la version de Perrault terminent aussi le plus grand nombre de versions populaires.

Extrait de Le Catalogue raisonné du conte populaire français. Maisonneuve et Larose, 1951.

   



Conte-type n°333 : Le Petit Chaperon rouge
Éléments du conte


I. L’héroïne.

A1 : C'est une petite fille ;
A2 : nommée le Petit Chaperon rouge ;
A3 : à cause de sa coiffure rouge ;
A4 : nommée autrement ;
A5 : non nommée ;
A6 : autre.

B1 : Elle est envoyée par sa mère ;
B2 : veut aller ;
B3 : ses parents refusent d'abord ;
B4 : va ;
B5 : chez sa grand-mère ;
B6 : chez une autre personne.

C1 : Elle porte du beurre ;
C2 : du fromage ;
C3 : du lait ;
C4 : une galette ;
C5 : un gâteau ;
C6 : du pain ;
C7 : autre.

II. Rencontre avec le loup.

A1 : Elle rencontre le loup ;
A2 : d'autres animaux ;
A3 : une personne.

B1 : Le loup lui demande où elle va ;
B2 : lui demande lequel des deux chemins possibles elle prendra ;
B3 : il prend l'autre ;
B4 : c'est le loup qui choisit le chemin le plus court.

III. Chez la grand-mère.

A1 : Le loup arrive chez la grand-mère ;
A2 : apprend comment on ouvre la porte ;
A3 : mange la grand-mère ;
A4 : met de la chair de côté ;
A5 : du sang de côté ;
A6 : revêt les habits de la grand-mère ;
A7 : se met dans le lit.

B1 : La fillette arrive ;
B2 : apprend comment on ouvre la porte ;
B3 : dit qu'elle a faim ;
B4 : dit qu'elle a soif ;
B5 : le loup lui dit de manger la viande ;
B6 : de boire du vin (sang de la grand-mère) ;
B7 : un animal ;
B8 : une voix ;
B9 : dit à la fillette ce qu'elle mange ;
B10 : ce qu'elle boit.

C1 : Elle dit qu'elle a froid ;
C2 : qu'elle a sommeil ;
C3 : le loup lui dit de venir se coucher ;
C4 : elle se déshabille ;
C5 : demande où mettre chaque vêtement ;
C6 : le loup lui dit de le brûler ;
C7 : elle se couche.

D1 : étonnement de la fillette sur les grands bras ;
D2 : les grandes jambes ;
D3 : les grandes oreilles ;
D4 : les grands yeux ;
D5 : le corps velu ;
D6 : d'autres parties du corps ;
D7 : les grandes dents.

E1 : Dernière réplique du loup : "C'est pour te manger" ;
E2 : il dévore l'enfant.

IV. Fuite de la fillette, mort du loup.

A1 : La fillette demande à sortir :
A2 : pour satisfaire un besoin ;
A3 : elle part, attachée par un fil ;
A4 : se libère du fil ;
A5 : rentre chez elle.

B1 : Le loup la poursuit ;
B2 : va l'atteindre au moment où elle rentre chez elle.

C1 : Le loup est tué.

Extrait de Le Catalogue raisonné du conte populaire français. Maisonneuve et Larose, 1951.