La querelle des bouffons

 Le premier août 1752 une petite troupe italienne, de trois chanteurs seulement, entame une série de représentations d’opéras bouffe, alors quasi inconnu d’une France culturellement très repliée sur elle-même. Parmi ces œuvres La Serva Padrona de Pergolesi, dont les premières représentations en 1746 avaient pourtant été un échec, enthousiasme les parisiens par sa musique simple et chantante, très éloignée de la pompe de la tragédie lyrique. Deux partis se forment, le coin du Roi - et de sa favorite Madame de Pompadour - forcément favorable à l’opéra français de Lully et Rameau, et le coin de la Reine résolument pro-italien, c’est la Querelle des Bouffons.

     Ce qui s’annonce au départ comme une petite polémique entre factions rivales prend une importance subite lorsque Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) envenime le débat par sa Lettre sur la musique française (1753), violent réquisitoire anti-français qui expose surtout l’insuffisance de ses connaissances musicales. Il faut dire que le philosophe, compositeur amateur, avait des raisons personnelles d’en vouloir à Rameau qui avait souligné, avec son manque de tact habituel, les imperfections de son opéra-ballet - français bien sûr ! - Les Muses galantes. Rousseau composera ensuite Le Devin du village, suite d’ariettes à caractère populaire dont il n’assure, d’ailleurs, ni l’harmonisation ni l’orchestration. Une soixantaine de pamphlets, anti ou pro-italiens, seront écrits en réponse par divers beaux esprits du temps, élargissant la discussion à une lutte entre un art nouveau populaire et l’art officiel conventionnel. Beaucoup de philosophes, comme Diderot ou D’Alembert, gardent cependant leurs distances avec la querelle et Rameau met les choses au point en 1755 dans son Erreurs sur la musique dans l’Encyclopédie où il démontre la faiblesse des arguments de Rousseau. En 1754, un édit royal met fin aux représentations et à la querelle par la même occasion.

     Malgré le bruit considérable fait autour de cette Querelle des Bouffons, notamment par l’abondante littérature qui y a été consacrée, il ne faudrait pas cependant en exagérer l’importance purement musicale. On peut certes y voir les prémices d’une rébellion des philosophes contre le pouvoir royal, plus de trente ans avant la révolution, même si les plus grands philosophes de l’époque n’y ont pris qu’une part modérée. Mais cette querelle montre surtout le mélange d’attraction et de répulsion qu’éprouvent les français vis à vis de l’opéra italien. L’art vocal français, très critiqué à l’étranger et que les italiens appellent l’urlo francese, le cri français, repose en effet sur des bases totalement différentes du bel canto italien. Il s’agit avant tout de retrouver une déclamation naturelle, proche de la déclamation de la tragédie et qui en imite les accents sans faire de concessions à la virtuosité gratuite, même si elle peut être parfois redoutable. Le récitatif secco accompagné au seul clavecin est inconnu, seul existant le récitatif accompagné par tout l’orchestre. D’autre part, les spectateurs français sont avant tout attentifs à la correction, morale et esthétique, du livret et n’apprécient pas du tout le mélange des genres pratiqué dans l’opéra italien ou les saveurs populaires de l’opera buffa.

     Ainsi, les opéras italiens représentés en France le sont-ils dans des versions arrangées et traduites de façon à choquer le moins possible les oreilles et les habitudes culturelles françaises. La Serva padrona n’échappe pas à cette règle et était en fait donné surtout dans sa version française La Servante maîtresse, arrangée par Pierre Baurans dès 1752 sous forme d’un opéra-comique avec des récitatifs parlés. L’opéra italien a certes été présent en France, mais rarement sous sa forme originale et son influence a donc toujours été indirecte. Les compositeurs étrangers désirant être représentés à l’Opéra de Paris devaient en effet se plier aux usages français dans le choix des tessitures, prendre des livrets édifiants en français, incorporer des ballets, proscrire les récitatif non accompagné et, surtout, composer une musique respectant les règles de la déclamation et de la prosodie française. Les œuvres non composées expressément pour la scène française étaient donc systématiquement arrangées et traduites, quitte à en devenir méconnaissables, et ce jusqu’au début du XXème siècle !

     En fait, les conséquences véritables de cette querelle, plus idéologique que musicale, sont donc réduites. Pratiquement, son seul résultat est le développement de l’opéra-comique, genre populaire né sur les tréteaux des foires parisiennes aux premières heures du XVIIIème siècle, équivalent français de l’opera buffa.

http://www.resmusica.com/imprimer.php3?art=375

Pour en savoir plus sur :

la querelle des bouffons

http://sitelully.free.fr/polemique1.htm

http://www.memo.fr/article.asp?ID=MOD_LUM_011

http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Jean-Philippe_Rameau--La_querelle_des_bouffons_par_Helene_Laberge

 

la Serva Padrona

 

Pergolèse