Guillaume de MACHAU(L)T

Reims (?), vers 1300 / Reims, 1377

Biographie  Oeuvres  extrait(s)

BIOGRAPHIE

Lasse ! comment oublieray
Le bel, le bon, le dous, le gay
A qui entierement donnay
Le cuer de mi [...]

Guillaume de Machaut

De ce représentant majeur du courant de l'Ars Nova, on ne connaît pratiquement pas les étapes des vingt premières années.

 

probablement à Machaut en Champagne c'est là qu'il passe les premières années de sa vie. Vers 1323, il entre au service de Jean de Luxembourg, roi de Bohême, auprès de qui il restera attaché comme secrétaire, suivant son protecteur dans ses campagnes militaires et ses voyages à travers toute l'Europe. Son oeuvre la plus ancienne connue Bone pastor Guillaume, Bone pastor qui pastores est écrite en 1324 pour l'élection de Guillaume de Trie à l'archevêché de Reims. Dans cette même ville, Machaut est pourvu d'un canonicat (Bénéfice, revenu, de chanoine dans une église cathédrale, une collégiale) en 1335 (il avait auparavant exercé la charge de chanoine à Verdun et Arras), tout en continuant à servir le roi de Bohême jusqu'à la mort de celui-ci à la bataille de Crécy (1346). Après cette date, les plus grands seigneurs s'attachent le musicien - poète : Bonne de Luxembourg, Charles le Mauvais, roi de Navarre, Jean, duc de Berry, Amédée de Savoie et même le futur Charles V. La soixantaine passée, Guillaume de Machaut voue à la jeune Peronne d'Argentières une passion amoureuse qu'il retrace dans un long poème, le Veoir dict (le vrai récit). À sa mort, il est enterré dans la cathédrale, aux côtés de son frère Jean, chanoine comme lui.

 

Guillaume de Machaut peut être considéré comme le premier grand compositeur français, comme il fut l'un des plus grands poètes de son temps. Écrivain, il est l'auteur de récits destinés à ses protecteurs, les Dits. Poète, il signe environ 250 ballades, rondeaux, lais et virelais. Son oeuvre musicale est la fois profane et religieuse.

Dans les motets, qui au temps de Machaut ne comprenaient généralement que 3 parties, il en introduit une 4ème, la contre-teneur. Il fait également un usage fréquent de l'isorythmie (identité des rythmes dans les différentes parties) selon le modèle fixé par Philippe de Vitry. Les rapports entre fond et forme atteignent une réelle virtuosité poétique et musicale dans les rondeaux (cf. « Ma fin est mon commencement »), tandis que ses ballades proposent une grande diversité dans la combinaison des rythmes.

 

Dans le domaine de la musique religieuse, Machaut a composé Le Hoquet David et quelques Motets latins, mais c'est incontestablement la Messe Notre-Dame qui est ici la pièce 

maîtresse : Machaut est probablement le premier à avoir composé une messe complète (et à 4 voix...) à une époque où cette forme tenait davantage de la compilation d'éléments disparates.

 

Voir aussi: http://www.goldbergweb.com/fr/magazine/composers/1998/09/168_print.php

Oeuvres

323 motets, dont 19 à 3 voix, en majorité profanes, abordant des thèmes d'amour courtois. 242 ballades. 222 rondeaux à 2, 3 ou 4 voix 33 virelais et 19 lais, 1 complainte

1 chanson royale insérées dans le recueil poétique Remède de fortune

La Messe Notre-Dame

Le Hoquet David : double hoquet à 3 voix

Le remède de fortune : Motets, rondeaux et virelays

Liste des compositions de Guillaume de Machaut

EXTRAITS

 "Le remède de fortune"  Ensemble Guillaume de Machaut de Paris, ADES, réf. ADE 680

 "Je ne suis aussi"  CARMA

Guillaume de Machaut, musicien et poète
Michel Zink
Membre de l'Institut, professeur au Collège de France

Au Moyen Âge, la poésie est chantée. Le poète se doit donc d’être aussi musicien, à l’image de Guillaume de Machaut, le dernier à pratiquer les deux arts à la perfection.

 

Machaut écrivant
Cote : Français 1584 , Fol. Fv
Guillaume de Machaut, Prologue, France, Reims, XIVe siècle


« La poésie fout le camp, Villon / Allons boire à la chanson ! », disait Léo Ferré. Chanson et poésie sont aujourd’hui à nos yeux deux domaines nettement séparés. La première est devenue le pain quotidien d’une culture universelle, tandis que la seconde paraît ne survivre que dans un royaume clos à l’air raréfié. Léo Ferré savait-il pourtant que Villon appartenait aux premières générations de poètes qui ont renoncé à être des chanteurs ?
Car, lorsque apparaît au Moyen Âge une poésie composée dans les langues nouvelles nées sur les débris du latin parlé (le français, l’occitan, l’italien, le catalan, le galicien - portugais, le castillan, etc.), celle-ci est toujours chantée. Quelque deux ou trois cents ans plus tard, au XIVe siècle, Guillaume de Machaut est le dernier à être à la fois musicien et poète : il pousse chacun des deux arts à un degré de sophistication tel que nul après lui ne saura plus les maîtriser ensemble. 

Machaut et Amour
Cote : Français 1584 , Fol. 2
Guillaume de Machaut, Dit du verger, France, Reims, XIVe siècle

 

Au commencement était le chant

 

Un bref rappel de cette évolution permettra de mieux saisir la situation dans laquelle se trouve Machaut et l’apport qui sera le sien. Dans toute jeune littérature, le vers précède la prose, et la poésie est d’abord chantée. L’ensemble français et occitan ne fait pas exception. Les deux formes littéraires qui fleurissent d’abord, à la charnière du XIe et du XIIe siècle – la chanson de geste en français et le lyrisme des troubadours en langue d’oc –, sont l’une et l’autre strophiques et chantées. La forme versifiée non chantée (le « roman ») apparaît une cinquantaine d’années plus tard, la prose littéraire au bout de cinquante autres années, au début du XIIIe siècle. La mélodie des chansons de geste semble avoir été assez répétitive, tout juste rompue par une cadence en fin de laisse. Les chansons des troubadours occitans et un peu plus tard des trouvères français ont une tout autre richesse musicale et les poètes sont fiers de composer à la fois los motz el so : les paroles et la musique. Leurs mélodies sont monodiques, fortement marquées au départ par les modes grégoriens. La ligne générale, malgré les raffinements de l’ornementation, en reste suffisamment simple pour mettre en valeur le texte, qui est l’essentiel, sans risquer de le brouiller ou de le rendre inaudible.
Mais cet équilibre se trouve bientôt menacé par la double évolution, de la musique et de la poésie. Depuis la fin du IXe siècle, la musique sacrée connaissait, avec l’organum, une ébauche de polyphonie. Celle-ci se développe à la fin du XIIe siècle, tout particulièrement à Paris. Au siècle suivant, elle a ses théoriciens et gagne le domaine profane, où elle prend la forme du motet, pièce poétique et musicale dans laquelle chaque voix a pour support un texte différent. Le résultat est que, lors de l’interprétation, les textes deviennent incompréhensibles : le progrès de la technique musicale se fait au détriment de la poésie. Au même moment, cette dernière connaît sa propre mutation. À côté du lyrisme courtois, chanté, se développe une poésie récitée – le dit – qui prend la forme d’une mise en scène ou d’un récit du moi, caricaturé sous l’apparence de la confidence ou projeté dans l’univers allégorique et chargé de sens du rêve, selon un modèle popularisé par le prodigieux succès du Roman de la Rose. Ainsi se profilent une nouvelle répartition des formes poétiques et une nouvelle définition de la poésie, en elle-même et dans sa relation à la musique. 

Machaut, poète et musicien de cour

C’est dans ce contexte qu’apparaît Guillaume de Machaut. Né vers 1300 dans une famille obscure, il tire sans doute son surnom de son lieu de naissance, le village de Machault, dans le diocèse de Reims. Après des études poussées, devenu maître ès arts, il entre vers 1325 au service de Jean de Luxembourg, roi de Bohême, dont il est l’aumônier, puis le notaire et le secrétaire, et pour lequel il écrit le Jugement du roi de Bohême. Grâce à lui, il obtient plusieurs canonicats, dont celui de Reims en 1337. Il devient le protégé de sa fille, Bonne, épouse du futur roi de France Jean le Bon, à qui est sans doute dédié le Remède de Fortune.
Par la suite, il écrit pour le roi Charles de Navarre, dit Charles le Mauvais (Jugement du roi de Navarre en 1349 et Confort d’ami en 1357), mais, vers 1360, il se tourne vers la cour de France. En 1361, il héberge chez lui, à Reims, le futur Charles V, alors régent du royaume et dédie la même année le Dit de la Fontaine amoureuse à son frère, le duc Jean de Berry. Sa dernière œuvre, la Prise d’Alexandrie, est consacrée au roi de Chypre Pierre Ier de Lusignan. Il meurt en 1377.
Poète illustre, respecté et fêté sa vie entière, Guillaume de Machaut est tout autant un musicien. Sa première œuvre est un motet latin datant de 1324 et chacun connaît sa célèbre messe. Mais c’est surtout au contact de la poésie que son originalité de musicien se manifeste. Non seulement dans la pratique de la polyphonie, mais aussi, et presque à l’inverse, dans l’extrême attention prêtée à l’harmonie du mouvement musical et du rythme poétique, harmonie préservée ou mise en valeur par des trouvailles constantes.

 

Machaut écoutant les oiseaux
Cote : Français 1584 , Fol. 9v
Guillaume de Machaut, Jugement du roi de Bohême, France, Reims, XIVe siècle

 

Les formes fixes : invention et virtuosité.

 

Mais, dira-t-on, les quelques œuvres citées plus haut relèvent du dit et non pas du lyrisme. Où se situe donc la place de la musique ? En réalité, Guillaume de Machaut est également l’auteur d’une œuvre lyrique non seulement abondante mais fondatrice, en ce qu’elle oriente définitivement (à l’échelle du Moyen Âge) la poésie lyrique vers les formes fixes, généralement à refrain, qui étaient auparavant tout juste bonnes à accompagner la danse. Elles seront désormais le lieu de toutes les virtuosités métriques et hardiesses musicales : le rondeau, la ballade et le chant royal, le virelai, dont Machaut fixe la structure. Ces pièces lyriques peuvent être isolées. Elles peuvent aussi, selon un procédé appelé à un grand succès, se succéder de façon à suggérer le déroulement d’un récit, comme le font les ballades de la Louange des dames. Elles peuvent enfin être insérées dans un dit en un montage très révélateur de l’évolution de la poésie à cette époque. Le dit prend en charge le récit ou le débat, dont les poèmes chantés à forme fixe qui y sont insérés assurent le commentaire affectif en ménageant les moments de l’effusion.
Ce procédé trouve toute sa force et tout son sens dans le chef-d’œuvre de Machaut,
le Voir Dit (« dit véritable »), composé en 1364. L’illustre poète, âgé et convalescent, engage avec une très jeune admiratrice une correspondance littéraire qui devient vite sentimentale. Les lettres en prose et les poèmes à forme fixe qu’ils échangent, avec leurs mélodies, sont insérés dans la trame du récit en couplets d’octosyllabes. Ainsi les modes divers de la lecture et l’audition musicale se mêlent pour scander les étapes de cette histoire banale et unique. 

 

Machaut méditant
Cote : Français 1584 , Fol. 22v
Guillaume de Machaut, Jugement du roi de Navarre, France, Reims, XIVe siècle

http://gallica.bnf.fr/Catalogue/noticesInd/MAN01114.htm

 

Le plus grand et le dernier…

 

À la fin de sa vie, Machaut a lui-même pris soin de rassembler son œuvre, précédée d’un Prologue général qui est un art poétique sous forme allégorique. On y voit Nature donner à Guillaume de Machaut trois de ses enfants, afin qu’ils l’aident à célébrer l’amour, tâche pour laquelle elle l’a formé. Ces trois enfants sont Sens (la raison ordonnatrice des pensées et des sentiments), Rhétorique (l’art des vers, des rimes et des rythmes) et Musique. C’est dire que poésie et musique sont à ses yeux indissociables. Elles seront pourtant dissociées tout de suite après lui, voire de son vivant même. Ni Jean Froissart, dont la poésie s’inspire si étroitement de la sienne, ni Eustache Deschamps, qui se proclame son disciple et qui était peut-être son neveu, ne sont musiciens. Le premier, invité à composer des poèmes à danser pour les divertissements de la cour d’Angleterre, se contente d’écrire les textes. Le second, dans son Art de dictier et de fere chansons, valorise la « musique naturelle » (la poésie) au détriment de la « musique artificielle » (la musique).
L’union de la poésie et de la musique atteint donc avec Guillaume de Machaut un apogée, aussitôt menacé par le degré de complexité qu’elles ont atteint l’une et l’autre. Mais elle se prolongera dans un registre plus humble. La chanson courtoise, ancien genre noble que, par une sorte de chassé-croisé, les formes fixes avaient supplanté dans la poésie savante, survit sous un aspect popularisant auquel les milieux princiers, folkloristes avant la lettre, trouveront au XVe siècle un certain charme. Ce sont les ancêtres des vieilles chansons françaises qui ont bercé notre enfance. Elles alimenteront ainsi pendant des siècles une source ténue et limpide où se mêlent la musique et la poésie.

http://www.cndp.fr/revuetdc/som872.asp

Voir aussi :

 

Chronologie du Haut Moyen âge