Roland
de Lassus est un compositeur franco-flamand surnommé l' "Orphée
belge" ou le "Prince de la musique" par les musiciens de son
époque. Il est considéré comme le plus illustre polyphoniste du XVIe
siècle et l'un des plus grands musiciens de tous les temps.
D'après les témoignages de l'époque, il est enfant de chœur à
Saint-Nicolas-de-Havré. En 1544, il est engagé au service de Ferdinand
Gonzague, général de Charles-Quint et vice-roi de Sicile. Comme Charles
Quint ne se déplaçait point sans ses chantres, qui devaient chaque jour célébrer
le divin office, Lassus suit son protecteur en France, et rencontre ainsi à
Fontainebleau les musiciens de la chapelle de France,
Claudin
de Sermisy et Pierre
Certon.
On pense qu'il quitte le service de Gonzague lorsqu'il perd sa voix
enfantine. C'est un adolescent qui suit alors à Naples Constantino
Castrioto, chevalier de Saint Jean de Jérusalem, grand amateur de musique.
Il réside chez le marquis della Terza, humaniste distingué et poète à
ses heures; auprès de lui, il s'imprègne de culture italienne.
Il se rend ensuite à Rome où, en 1553, il devient maître de chapelle à
Saint-Jean de Latran. C'est également à Rome qu'il rencontre Palestrina
qui exerçait alors à la chapelle Giulia.
Mais, l'année suivante, un intrigant gentilhomme napolitain l'entraîne à
sa suite en Angleterre. Cet inquiétant personnage voulait approcher la
reine Marie Tudor, fort entichée de musique. Mais les arrière-pensées
politiques de l'aventurier sont vite découvertes: il est emprisonné et
expulsé... et Lassus avec lui.
Après son retour en Flandre, où il apprend le décès de ses parents, il
passe les années 1555-1556 à Anvers, participant intensément à la vie
musicale de la ville et publiant ses premiers recueils de madrigaux et de
motets.
C'est d'Anvers, en 1556, que Lassus est appelé à Munich où il se voit
offrir un poste très convoité de ténor à la chapelle de la cour du duc
Albert V de Bavière. En 1558, il épouse Regina Wäckinger, fille d'une
dame de la cour bavaroise. Il prend la direction de la chapelle ducale en
1560 et la garde jusqu'à sa mort. Quelques voyages en Italie pour recruter
des chanteurs (1562, 1567, 1574, 1578 et 1585), ainsi qu'un voyage à Paris
(1571) viennent seuls interrompre ce long séjour bavarois.
En 1570, l'empereur Maximilien II lui attribue un titre honorifique, et en
1574, le pape Grégoire XIII le nomme chevalier de l'Eperon d'Or.
Il décline l'invitation de la cour de France et de celle de Dresde,
restant, jusqu'à sa mort, au service de la cour bavaroise où les ducs
Albert et Guillaume le tinrent en grande considération et lui témoignèrent
leur amitié.
A partir de 1580, Roland de Lassus s'éloigne de la cour pour se consacrer
à la composition. En 1590, victime d'une attaque, il subit une grave dégradation
morale et physique. Mais il se remet courageusement à la composition. Ses
fils Ferdinand, Rodolphe et Ernst l'assistent dans son service à la
chapelle. Roland de Lassus est enseveli au cimetière franciscain de Munich.
Oeuvres
Son
oeuvre abondante (près de deux mille compositions authentifiées), élargit
et sublime toutes les formes pratiquées jusqu’alors et opère une
synthèse grandiose des styles italien, allemand et français. Grand
voyageur, génie universel s’incarnant dans une œuvre évoluant entre
l’expression d’une foi rigoureuse et celle d’un amour parfaitement
charnel de la vie, il fera du motet le terrain privilégié où
s’épanouira sa personnalité et un des plus beaux moment de la
polyphonie. Au cours des années, ses compositions prendront un tour plus
nostalgique pour atteindre un dramatisme réel. L’inventaire de son oeuvre
comprend : en musique sacrée : près de mille motets, cinquante messes, une
centaine de magnificat et quatre passions à cinq voix; en musique profane :
deux cents madrigaux italiens, villanelles et moresques à trois et dix
voix, cent cinquante chansons françaises à trois et huit voix,
nonante-trois lieder à trois et six voix et quelques pièces profanes sur
des vers antiques ou de la Renaissance.
Commentaire:
Malgré l'abondance et la qualité de sa production profane, Lassus a été
surtout un compositeur de musique sacrée. Profondément croyant, Lassus est
très marqué
par la Contre - Réforme à laquelle il a ardemment adhéré. Il
compose 53
messes et 37
magnificat, mais ce sont les
motets - il en écrivit
700 - qui constituent la part la plus admirable et la plus significative de
son oeuvre. Ils sont à la fois l'aboutissement de la polyphonie flamande et
son épanouissement sous l'influence italienne. C'est aussi le mode
d'expression dans lequel il se révèle le plus inventif, surprenant
constamment par les ruptures de ton, l'opposition de l'homophonie et de la polyphonie, ou encore l'usage du chromatisme et de la déclamation. Dans le
Double chœur, enfin, Lassus touche à des sommets d'émotion et de
spiritualité, comme dans les cycles des Prophéties des Sybilles,
les Lamentations du prophète Jérémie ou les Psaumes de la pénitence
à 5 voix.
La musique de Roland de Lassus témoigne d'une haute culture; comparée à
celle de ses prédécesseurs, elle fait apparaître une facture plus forte,
une déclamation plus énergique, un maniement plus souple du contrepoint,
une alternance de passages en imitation avec d'autres, sinon homophones, du
moins en écriture verticale, alternance commandée par la signification des
textes. Enfin, il use de dissonances dues à des retards savamment ménagés
pour exprimer des émotions. Face à l'idéal de pureté formelle d'un
Palestrina, le style de Lassus paraît plus complexe, plus varié, au
service d'une pensée plus profonde.
Contrairement à ses prédécesseurs, il laisse le texte déterminer la
forme musicale, conférant ainsi une vérité et une fermeté à un genre
d'expression jusque-là plus maniériste. Avec Lassus, la Chanson française,
pittoresque, burlesque, grivoise ou élégiaque, apparaît comme la synthèse
des différentes illustrations du genre vers le milieu du XVIe siècle, après
Janequin.
L’œuvre de Roland de Lassus est l'aboutissement suprême de l'art du
contrepoint qui, en rayonnant à partir de nos régions, ont donné à
l'Europe ses modèles d'écriture pendant deux siècles. Mais 1594, année
de sa mort marque symboliquement la fin d'une époque. Au même moment, l'opéra
naît à Florence. Le contrepoint subit des critiques très vives : on lui
reproche alors sa complexité et sa sévérité. En opposition à lui, un
style nouveau apparaît en Italie. Basé sur le principe de la "monodie
accompagnée", il est ressenti comme une libération sur le plan de
l'expression. Il est d'abord considéré comme essentiellement italien, mais
bientôt le "goût italien" est concurrencé par le "goût
français" et les Allemands essayent de faire prévaloir une manière
qui les concilie. En tant que procédé systématique d'écriture, le
contrepoint a été considéré comme vieilli et progressivement abandonné.
C'en était fini de l'hégémonie des musiciens des Pays-Bas à travers
l'Europe. |