Depuis
longtemps intéressé par la philosophie orientale, les sujets mystiques
et l'astrologie, Gustav Holst (1874-1934) commence la composition des Planètes
en 1914. Mais il avoue également : «En règle générale, j'étudie
seulement des sujets qui me suggèrent de la musique.» L'évocation des
sept planètes que l'on connaissait à l'époque lui permet en outre d'écrire
une œuvre de grande dimension pour orchestre, tout en s'écartant des
schémas de la symphonie traditionnelle. Vénus et Neptune
ont cependant été supprimés lors de la première exécution publique,
le 27 février 1919 (le concert du 29 septembre 1918 était privé), de
crainte que le public ne puisse soutenir son attention durant la totalité
de l'œuvre.
Les mouvements font référence aux planètes, mais aussi aux dieux de
l'Antiquité, comme l'indiquent les sous-titres. Ils alternent tempos
rapides et tempos lents, et sont fortement contrastés dans le caractère
et l'orchestration. Mars est une marche implacable et menaçante,
qui a l'originalité d'être à cinq temps ; l'ostinato rythmique
s'allie à des sonorités violentes qui stylisent la musique militaire -
en particulier par l'usage des cuivres et de la caisse claire. Les
ruptures d'intensité, où la musique diminue brusquement pour augmenter
à nouveau, renforcent la puissance dramatique de cette page où la
tension ne se relâche jamais. Le morceau suivant, Vénus, en est
le double à la fois complémentaire et opposé : le timbre diaphane et
clair des flûtes et des harpes, la sensualité de l'harmonie et de
l'orchestration font à présent oublier la fureur guerrière de la pièce
précédente.
Mercure est l'un des deux scherzos de la partition. Son écriture
rythmique complexe et raffinée (qui introduit des syncopes dans une
mesure ternaire et superpose des mètres différents), sa texture légère
et transparente, donnent l'image d'un personnage insaisissable et
malicieux, à l'instar du Puck de Shakespeare. Au centre de l'édifice
musical domine Jupiter, que le compositeur peint sous les traits
d'un personnage enjoué, mais non dépourvu de majesté. Un bref motif
ascendant de trois notes sert à l'élaboration de tout le morceau ; on
le retrouve en particulier dans la mélodie solennelle de la partie
centrale qui, dotée de paroles, deviendra un hymne patriotique. Cette
habileté à écrire des mélodies au contour fermement dessiné, le
procédé consistant à faire dériver une section (voire tout un
morceau) d'un bref motif, qui se repère et se mémorise avec facilité,
sont d'ailleurs quelques clefs du succès de cette partition.
Saturne était le mouvement préféré du compositeur, où la sérénité
finit par chasser l'inquiétude. Sur un ostinato lancinant de deux notes
vient se greffer un court motif, implorant et désolé. Puis, une
marche, jouée par les cuivres et reprise par les cordes, se fait
entendre, mais l'effusion tourne court et laisse place à l'hypnotique
ostinato initial. On tente plusieurs fois d'abandonner cette atmosphère
sombre et cette impression de solitude. A la fin du mouvement, les
sonorités s'éclaircissent peu à peu (le timbre des cloches contribue
par ailleurs à donner une certaine religiosité à l'ensemble), le
registre s'élargit dans l'aigu. Après ces différents épisodes qui
ont révélé un conflit intérieur et une profonde angoisse, la sérénité
et l'apaisement sont enfin atteints, suggérant peut-être l'acceptation
de la vieillesse et de la mort.
Uranus est un scherzo très différent de Mercure : il adopte la
rythmique tournoyante d'une mesure ternaire (à laquelle se superposent
parfois des rythmes binaires), mais sans le caractère aérien du troisième
mouvement. L'utilisation du xylophone, l'écriture staccato des
vents, le jeu en pizzicati des cordes donnent à la musique un
caractère narquois et sarcastique. Le début, avec son motif sautillant
mais sombre, aux bassons, n'est pas sans rappeler l'Apprenti sorcier
de Dukas (1897), de même que les crescendos, où l'orchestre libère
une inquiétante violence. Cette danse effrénée et diabolique
s'interrompt brutalement, laissant dans l'expectative, dans un passage où
les cordes jouent en valeurs longues, ponctuées d'accords de harpe :
quel tour le magicien joue-t-il ici ? Le retour des sardoniques bassons,
suivi d'accords dissonants aux cuivres, vient rappeler soudain la présence
du mage, avant qu'il ne s'éclipse définitivement, sur d'ultimes coups
de timbales.
Neptune est un morceau lent et extatique, à l'atmosphère étrange,
où le temps semble aboli : les répétitions motiviques, les pédales
harmoniques et la lenteur du tempo génèrent une impression de statisme
que l'entrée du chœur vocalisé ne viendra pas troubler. Ces voix de
femmes, comme un chant surnaturel, s'évanouissent peu à peu, dans un
au-delà mystérieux. Holst montre une fois de plus la variété et
l'originalité de son langage, son imagination sonore et formelle, qui
donnent à sa musique une indéniable poésie. On peut sans doute
regretter que le succès des Planètes ait laissé dans l'ombre
le reste de sa production. Mais cet oubli est le revers d'une popularité
qui est le privilège des plus grandes réussites.
A la découverte de Pluton
A la demande de Kent Nagano, Colin Matthews (né en 1946) a composé une
pièce évoquant la dernière planète du système solaire. L'enjeu était
de proposer une nouvelle conclusion aux Planètes, tout en
respectant la cohérence du cycle : Pluton s'enchaîne donc à
Neptune, sans qu'il y ait d'interruption, et rappelle le caractère
vif-argent de Mercure, avec un tempo encore plus rapide ; par ailleurs,
la mesure à cinq temps, déjà utilisée pour Mars, crée un élément
de symétrie, comme pour refermer l'œuvre sur elle-même. A la fin du
morceau, dans lequel les «instruments à vent solaires» ont constitué
le point de départ du compositeur, la musique disparaît dans le
lointain, le chœur (dont c'est l'unique intervention) suggérant la présence
persistante du dieu Neptune.
Hélène Cao
http://www.radiofrance.fr/chaines/orchestres/journal/concert/fiche.php?conc=140000037
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