Né
à Liège (Belgique), le 8 février 1741, au n° 34 de la rue des Récollets,
un élégant petit immeuble de type liégeois Louis XV (1), il était
le second fils de François-Pascal Grétry, musicien d'église et
professeur de violon et de Marie-Jeanne Desfossez.
Tout naturellement, son père lui
enseigne les premiers rudiments de musique. En 1750, à peine âgé de
9 ans, le jeune garçon entre à la maîtrise de la collégiale
Saint-Denis de Liège, où son père jouait dans l'orchestre comme
premier violon. Il y reste dix ans, chante tous les dimanches à la
grand-messe et suit l'enseignement de Renekin, organiste à
Saint-Pierre et d'Henri Moreau, maître de chapelle à Saint-Paul.
Sur les conseils d'un chanoine de la cathédrale Saint-Lambert, le
jeune Grétry se rend à pied à Rome, en compagnie d'un vieux
contrebandier qui connaissait le chemin, d'un jeune chirurgien et d'un
petit abbé. En 1760, il arrive à Rome, où il va rester plusieurs
années (1761-1765). Logé au collège liégeois, il suit les leçons
de Casali (1715-1792), maître de chapelle de Saint-Jean-de-Latran et
du père Martini (1706-1784), le futur maître de Mozart. Il se met sérieusement
à la composition (un De profondis, des motets, six quatuors
à corde, un concerto pour flûte) et se familiarise avec le style de
l'opera-buffa, qui oriente définitivement sa vocation.
Grétry décide ensuite de venir à Paris et, sur le chemin du retour,
s'arrête à Genève et à Ferney. Il rencontre Voltaire et réussit
à gagner son amitié et son estime. "Comment, Monsieur, vous êtes
musicien et vous avez de l'esprit!" lui lance un jour le vieux
philosophe. Grétry a de longues conversations avec lui sur la
prosodie et le chant. Pour les fêtes domestiques de Ferney, le jeune
musicien compose un petit opéra-comique, Gertrude, dont le livret est
tiré d'un conte... de Voltaire. Puis, encouragé par ce dernier, Grétry
se rend à Paris (automne 1767), où il va désormais faire toute sa
carrière et où il restera jusqu'à sa mort.
Bénéficiant
des nombreuses recommandations de Voltaire, Grétry est rapidement
introduit auprès de personnages susceptibles d'aider au succès de sa
carrière :
le critique La Harpe, l'abbé Arnaud, le
peintre Hubert Robert, le compositeur de Louet.
Très attiré par l'opéra-comique, il triomphe très vite avec Le
Huron (1768), livret de Marmontel emprunté à l'Ingénue de
Voltaire, qui, décidément lui porte chance, Lucile (1769), avec le célèbre
passage chanté "Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille
?", qui "présidait aux naïves accordailles, ramenait la
douce paix envolée, renouait les mains des amants désunis", Le
Tableau parlant (1769), un chef-d'oeuvre selon Grimm, Zémire et
Azor (1771), inspiré de la Belle et la bête, dédié à La
Du Barry et créé à Fontainebleau devant Louis XV et Gustave III de
Suède et qui eut une audience européenne.
Ses librettistes (Marmontel, Sedaine) lui fournissaient des textes en
accord avec la sensibilité parfois larmoyante du public. Et "Grétry
a su adapter avec habileté la musique aux paroles, laissant toujours
au premier plan la voix soutenue par une instrumentation peu chargée.
Cette suprématie de la mélodie, la perfection à laquelle il amena
l'air en forme de couplet, comme son souci de la vérité
psychologique, firent de lui une sorte de modèle dans les années
1770-1780" (Marie-Claire Le Moigne-Mussat). Grétry était pour
la prédominance du chant sur l'accompagnement, il disait : "Il
ne faut pas que le piédestal brille aux dépens de la statue."
Sous l'Ancien Régime, il est un compositeur à la mode. Il a les
faveurs d'un public d'admirateurs, parmi lesquels on compte Diderot,
Grimm, l'abbé Arnaud, Jean-Jacques Rousseau, son ami le peintre J.B.
Greuze. Il se marie à Paris, le 3 juillet 1771, avec Jeanne-Marie
Grandon, fille de Charles Grandon, un peintre (portraitiste) lyonnais.
Ils auront trois filles : Jenny, Lucile et Marie-Antoinette (dont la
reine acceptera d'être la marraine).
Sa production d'opéras-comiques continue : La Rosière de Salency
(1774), La Fausse magie (1775), L'Amant jaloux (1778),
L'Épreuve villageoise (1784), Richard Coeur-de-Lion
(1784), livret de Sedaine, considéré comme son chef-d'oeuvre et dont
la romance "Une fièvre brûlante" inspirera à Beethoven
des variations pour le piano ; des opéras : La Double épreuve ou
Colinette (1782), La Caravane du Caire (1783), qui dépassera
la 500e représentation en 1830.
Grétry est nommé conseiller de l'évêque-prince de Liège (1783),
pensionnaire de la Comédie italienne et de l'Opéra, maître des
concerts de Marie-Antoinette, avec un traitement de six mille francs
par an. Et à partir de 1785, il habite un bel hôtel, au n° 7 du
Boulevard des Italiens, à Paris 2e (voir Répertoire mondial des
souvenirs napoléoniens, éditions SPM, p. 258) (2).
Sous la Révolution, il compose des oeuvres de circonstances : Guillaume
Tell (1791), La Rosière républicaine, Joseph
Barra, Diogène et Alexandre (1794).
Lors de la création du Conservatoire national de musique (août
1795), Grétry est nommé inspecteur des études, avec quatre autres
compositeurs : Gossec, Méhul, Lesueur et Cherubini. Membre de
l'Institut à sa création, en octobre 1795 (classe des Beaux-Arts,
section de la Musique). Il compose encore : Le barbier de village
et Lisbeth (1797), Elisca (1799).
Sous
le Consulat et l'Empire, on continue d'afficher les oeuvres de Grétry,
que le public aime et réclame, avec la belle voix du ténor Elleviou.
Napoléon, lui aussi, appréciait Grétry.
De Zemire et Azor, il disait :
"C'est divin, c'est parfait... J'aime beaucoup cette musique-là."
Il lui accorde une pension de quatre mille francs par an et le nomme
chevalier de la Légion d'honneur lors de la création de l'Ordre
(1803). Bien entendu, Grétry reste membre de l'Institut Impérial (3).
Il est reçu chaleureusement à Malmaison et David le représente dans
son vaste tableau sur le sacre de Napoléon (Salon de 1808).
Par décret impérial de mai 1808, il est fait chevalier de l'Empire.
Le 1er décembre 1809, une réception est donnée à Malmaison, en
l'honneur du roi de Saxe. On joue une oeuvre de Grétry, l'auteur est
dans la salle. Après la représentation, l'Empereur, fendant la foule
des invités, s'approche d'un vieillard qu'il ne reconnaît pas. Il
lui dit brusquement:
"–Comment vous nommez-vous ? – Toujours Grétry, Sire, répond
l'interpellé. – Ah! Monsieur Grétry, dit Napoléon, si je ne vous
reconnais pas, je reconnais toujours votre musique, c'est celle que
j'aime le mieux. Mais pourquoi ne vous voit-on jamais ? Ne faites vous
plus rien ? – Sire, quand le rossignol est vieux, il se cache et ne
chante plus. – Mais vous n'êtes pas comme lui, vous, on vous
chantera toujours" (4).
D'autre part, les orchestres et les musiques militaires ont des
morceaux de Grétry à leur répertoire. C'est ainsi que les musiques
de la Garde impériale jouaient aux Tuileries et en maintes
circonstances le célèbre passage de Lucile : "Où
peut-on être mieux qu'au sein de sa famille ?".
De même, sur un air de La Caravane du Caire de Grétry,
David Bühl compose la célèbre sonnerie de cavalerie : La
Victoire est à nous, qui sera jouée sur les champs de bataille
de l'Empire et, en particulier, lors de l'entrée de la Grande Armée
à Moscou, le 14 septembre 1812 (5) (6).Pour faire
honneur à l'Empereur et lui marquer leur confiance, les musiciens de
la Vieille Garde jouèrent Où peut-on être mieux qu'au sein de
sa famille pendant la retraite de Russie, entre Smolensk et
Krasnoië. Napoléon les arrête et leur dit : "Jouez plutôt Veillons
au salut de l'Empire" (7).
Mais depuis de nombreuses années, Grétry ne jouissait plus
pleinement de la gloire que ses oeuvres lui avaient apportée. Ses
trois filles étaient mortes successivement, minées par la
tuberculose, avant d'avoir atteint leur vingtième année. Peu après,
il eut également à déplorer la mort de sa femme. Pendant ses dernières
années, il vécut soigné par l'une de ses nièces (il avait fait
venir à Paris les sept enfants de son frère et les avait élevés).
Lucile (1773-1793), sa deuxième fille, avait révélé un beau
talent. Elle n'avait que treize ans lorsqu'elle écrivit les mélodies,
"avec leur basse et un léger accompagnement de harpe", d'un
divertissement en un acte en prose mêlé d'ariettes : Le mariage
d'Antonio. Son père avait complété cet opéra qui fut joué,
avec succès, à la Comédie italienne le 29 juillet 1786. L'année
suivante, elle donne un divertissement en deux actes mêlé d'ariettes
: Toinette et Louis, joué à la Comédie italienne le 22
mars 1787. Mariée cette année-là, elle meurt six ans plus tard,
emportée par la maladie.
À
partir de 1803, Grétry réside le plus souvent à Montmorency
(Val-d'Oise), dans une propriété (l'Ermitage) qu'il avait achetée
en 1797, où Jean-Jacques Rousseau avait habité en 1756-1757 et
commencé "La Nouvelle Héloïse" (8).
Grétry avait publié Mémoires ou
Essais sur la musique (1789, 2e édition augmentée en 1797), De
la vérité sur ce que nous fûmes, ce que nous sommes, ce que nous
devrions être (1801) et Réflexions d'un solitaire (ouvrage
posthume).
Il meurt dans sa propriété de l'Ermitage, à Montmorency, le 24
septembre 1813, à 72 ans. Des obsèques grandioses célébrées à
Paris, le 27 septembre, ont honoré le père de l'opéra-comique, le
Molière de la musique. De nombreuses personnalités du théâtre, de
la musique et de la politique et une foule immense suivaient le char
funèbre. Un orchestre exécutait la Marche funèbre de
Gossec. Le convoi s'arrêta devant le Théâtre Feydeau et l'Opéra
(rue de Richelieu). Puis, c'est la cérémonie religieuse à l'Église
Saint-Roch et l'inhumation au cimetière de l'Est, dit du Père
Lachaise, 11e division (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens,
p. 296), où Méhul fait un discours (Le Moniteur Universel, 29
septembre 1813 ; Revue de l'Institut Napoléon, n° 168,
1995-III, p. 18) (9).
Grétry a recueilli les plus grands honneurs de son vivant : une rue
de Paris 2e (près de l'actuel Opéra Comique), ouverte en 1780, porte
son nom (1785); d'autre part, il a pu voir sa statue dans le vestibule
du Théâtre Impérial de l'Opéra Comique (1809) alors situé rue
Feydeau.
À Liège, sa statue, oeuvre du sculpteur bruxellois Guillaume Geefs
(1842), trône sur la place du Théâtre (aujourd'hui place de la République
Française) et, dans le socle, se trouve l'urne de bronze contenant le
coeur du compositeur qui, après des péripéties judiciaires entre la
ville de Liège et les héritiers, a pu finalement être transférée
à Liège (1828).
Généralement, on estime que l'influence de Grétry sur l'évolution
ultérieure de l'opéra comique français a été durable. Boieldieu,
Auber, Adam et même Rossini (1792-1868) peuvent, à des degrés
divers, être considérés comme ses héritiers spirituels.
Actuellement, on assiste à une certaine redécouverte de Grétry : le
merveilleux petit théâtre baroque du château de Drottningholm (Suède)
a présenté à Paris, en mai 1994, Zémire et Azor, au Théâtre
des Champs-Élysées ; l'Orchestre de Picardie a redonné à Compiègne,
en novembre 1995, Céphale et Procris (1773), une autre
oeuvre de Grétry ; enfin, pour le Printemps des arts de Nantes (mai
1997), Zémire et Azor a été joué selon la tradition des
théâtres de marionnettes d'opéras, chère aux cours princières du
18e siècle (10).
Auteur : Marc Allégret
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 416
Mois : janv.-févr.
Année : 1998
Pages : 35-36
Notes
(1) La maison natale de
Grétry, située dans le quartier Outre-Meuse, comporte une plaque
commémorative. Elle est transformée en un riche musée (Répertoire
mondial des souvenirs napoléoniens, p. 441), inauguré le 13
juillet 1913 par le roi Albert et la reine Élisabeth.
(2) L'Almanach Impérial de 1812 (p. 544)
indique que Grétry demeure encore 7, boulevard des Italiens.
(3) L'Almanach Impérial de 1812 (p. 651) le
mentionne au titre de l'Institut Impérial, 4e classe, 5e section.
Musique (composition).
(4) Voir B. Chevallier, Ch. Pincemaille, L'Impératrice
Joséphine, Presses de la Renaissance, 1988, p. 249.
(5) Sur David Bühl, trompette et compositeur de la
Garde et sur La Victoire est à nous, voir Napoléon et
la Garde impériale, par le commandant H. Lachouque, pp. 344-345,
348, 974.
(6) La Victoire est à nous (D. Bühl) exécutée
par la Musique de la Garde républicaine de Paris est reprise dans la
cassette éditée pour le 50e anniversaire de la fondation du Souvenir
Napoléonien, face 2, n° 27.
(7) L'hymne Veillons au salut de l'Empire est
extrait d'un opéra-comique de Nicolas Dalayrac, Renaud d'Ast (1787).
Il figure dans la cassette éditée pour le 50e anniversaire de la
fondation du Souvenir Napoléonien, face 2, n° 36.
(8) À l'époque où Jean-Jacques Rousseau l'avait
habitée, cette petite propriété appartenait à Mme d'Épinay. Elle
est située 10, rue de l'Ermitage, à la limite de la forêt. Elle est
aujourd'hui occupée par une clinique. Regnault de Saint-Jean-d'Angély
s'y était réfugiée pendant la Terreur.
(9) Où se trouvait Napoléon le 27 septembre 1813 ?
À Dresde, où il séjournait depuis la victoire de même nom (26-28
août 1813), préparant les opérations suivantes (batailles de Wachau,
Leipzig et Hanau, 16-30 octobre 1813).
(10) Autres sources : Michaud, Biographie
universelle, tome 17 (1857), p. 500 ; Roman d'Amat, Dictionnaire
de biographie française, t. 16, p. 1193 ; Dictionnaire Napoléon,
p. 841, notice "Grétry" par Marie-Claire Le Moigne- Mussat
; Encyclopédie des grands compositeurs, Club Français du
Livre (1956), p. 265 ; Denise Leprou, Napoléon et la musique :
RSN n° 342, août 1985 ; J. Tulard et L. Garros, Itinéraire
de Napoléon au jour le jour 1769-1821 (Tallandier, 1992).
http://www.napoleon.org/fr/salle_lecture/biographies/files/andre_ernest_gretry.asp
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