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Bruckner
: Symphonie n° 4 Romantique
...La
version initiale de la Quatrième Symphonie de Bruckner fut écrite
de janvier à novembre 1874. Elle sera publiée dans l'édition Nowak
en
1975 seulement, et créée à Linz cette même année. De 1878 à 1880,
Bruckner remania les deux premiers mouvements, remplaça le Scherzo
initial par un nouveau Scherzo, et récrivit entièrement le Finale.
Cette version, publiée par Robert Haas en 1936, fut créée à Vienne
par les Wiener Philharmoniker dirigés par Hans Richter, le 20 février
1881, et dédiée au prince Constantin Hohenlohe.
Couramment dénommée «Romantique», la Symphonie en mi bémol
majeur est une symphonie à programme, si l'on considère les
intentions "médiévisantes" et un peu naïves de Bruckner. La première
de ses quatre symphonies écrites en mode majeur (il reviendra au mineur
pour les deux dernières) est éclairée d'un sentiment de profond
attachement à la forêt allemande. Elle baigne dans une lumière
souvent légendaire où dominent les cors, instrument dont le cycle du Knaben
Wunderhorn a assuré la filiation poétique jusqu'à Bruckner et Mahler, et auquel il revient d'exposer les thèmes initiaux (premier et
dernier mouvements).
Quatre mouvements, comme toujours chez Bruckner
Le premier mouvement, Animé mais pas trop rapide, est classiquement
organisé selon la forme sonate. Un premier thème ample et noble est énoncé
par le cor parmi un tremblement de cordes d'une forte teneur mystique.
La tonalité de si qui donne sa beauté prenante à toute la symphonie,
se fait aussitôt entendre dans l'harmonie accompagnant le thème. Puis,
bois et cuivres engagent un dialogue selon une harmonie modulante proche
de Schubert et l'espace semble se creuser, donnant des aperçus sur
l'infini. Le développement se construit en quatre sections, avant que
la ré-exposition ne récapitule les thèmes dans l'ordre initial A la
fin du mouvement, les appels de cor font réentendre l'au-delà de la
forêt, et attirent vers le merveilleux.
Le deuxième mouvement, Andante quasi Allegretto (4/4), en ut mineur,
est une marche funèbre, prise dans des froideurs mélancoliques et des
teintes pâles droit venues de Schubert. Cordes avec sourdines,
simplicité des motifs, beauté endeuillée d'un thème aux
violoncelles, pizzicati ponctuant avec pudeur un aveu de l'incertitude
d'être, lumière inattendue d'un crescendo puissant, le paysage déroule
un temps et un espace de recueillement légendaire.
Le Scherzo, indiqué en allemand «agité», est en si bémol. Il fait
entendre une «scène de chasse» dans laquelle les cors, comme il se
doit, jouent un rôle prépondérant. C'est l'une des pages les plus célèbres
de Bruckner. Appels, signaux, trouées de lumières dans la brume,
galops dans les clairières du songe : on est ici dans un climat de
fantastique évoquant les contes de Ludwig Tieck ou les errances des
personnages d'Eichendorff. Le Finale, «animé, mais sans précipitation»,
commence pianissimo (si bémol mineur). Puis insensiblement la musique
nous porte vers un ut mineur pour un second climat harmonique et thématique.
Énoncé fortissimo par l'orchestre entier et uni, un thème violent déchire
bientôt le calme mystérieux des sous-bois. Bruckner, avec une science
de l'harmonie que pourtant on ne lui reconnaît pas d'ordinaire, réussit
à unifier une grande variété de thèmes dans un mouvement
contraignant qui conduit inéluctablement dans une coda à la magnifique
ré-exposition du thème initial, cette fois aux cuivres sur des triolets
des cordes, et conclut toute la symphonie dans sa tonalité première.
On voit Bruckner tantôt comme un naïf dont l'écriture regarderait
avec nostalgie vers le passé, tantôt comme un émouvant précurseur
romantique de la musique répétitive. Un Schubert attardé ou un
Philip
Glass avant l'heure. Un esclave de la contrainte ou un maître de la
redite. On lui reproche ses marches harmoniques prévisibles et
interminables, ses cuivres brutaux, ses cordes sentimentales. La Quatrième
Symphonie dément ces critiques. Cette vaste méditation sur le passé,
l'infini et la mort est aussi une irrésistible mise en scène sonore de
la fragilité humaine.
Michel Schneider |