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Les fouilles de l'ancien palais de Bruxelles sur le Coudenberg

La redécouverte de l’ancien palais de Bruxelles, ravagé en 1731 par un incendie accidentel puis rasé en 1775, se poursuit depuis plusieurs années par des fouilles archéologiques systématiques conduites par la S.R.A.B., sous la direction du Professeur P. Bonenfant, avec l’autorisation du Collège de la Ville de Bruxelles et l’appui des Services techniques.

Elles ont mis au jour d’importants vestiges de l’ancien palais de Bruxelles. Il s’agit essentiellement des espaces et des structures inférieurs qui ont résisté à l’incendie et à la destruction de l’édifice au XVIIIe siècle.
Cette représentation du « Koert de Bruxelles » montre les différents bâtiments qui formaient le palais ainsi que les espaces que vous allez visiter : une partie des caves du corps de logis (1), les salles basses sous la chapelle (2), le niveau inférieur de la grande salle d’apparat (3) et un tronçon de l’ancienne rue Isabelle (4)

Le "Koert de Bruxelles", XVIIe siècle, R.vanden Hoeye d'Amsterdam,
d'après B. de Momper
© Musée de la Ville de Bruxelles - Maison du Roi

Les plans rendent compte de la superposition du tracé de l’ancien palais par rapport aux bâtiments de la place Royale actuelle.

Les témoignages iconographiques et les récits de voyage sont précieux pour se rendre compte de l’aspect et de l’importance du palais. Le palais du Coudenberg était l’une des résidences royales les plus importantes d'Europe. Des descriptions anciennes nous sont parvenues le présentant comme « vraiment royal, assez vaste pour qu’on y pût loger l’empereur, les princes, les reines et les dames de la cour de leur suite avec tous les officiers de service » (Juan Christoval Calvete de Estrella, 1550).

 

Place Royale : vue d'ensemble des fouilles de l’Aula Magna (S.R.A.B.)

 

L’ancien palais se situait en partie seulement sous l’actuel Palais Royal. De 1995 à 2000, les chantiers ont révélé d’abord le plan complet du bâtiment de la salle d’apparat édifié au milieu du XVème siècle sous le duc de Bourgogne Philippe le Bon. Ce grand édifice occupait un quart de l’actuelle place Royale (l’angle Nord). Ensuite, un important tronçon du corps de logis apparut un peu plus loin sous la rue Royale.

Ces découvertes sont venues s’ajouter au plan, complet lui aussi, de la chapelle du palais, édifiée sous Charles Quint. Monumenten en Landschappen, MM. Celis et Van Eenoog, ont pu l’établir, dès avant les fouilles, par l’analyse des reconstructions du XVIIIème siècle liées à la création du bâtiment situé à l’angle de la place Royale et de la rue Royale (Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale).

Ainsi, toute l’aile Ouest de l’ancien palais est désormais connue. Son emprise de 100m x 20m regroupe la « grand salle » ou Aula Magna de Philippe le Bon (construction 1452-1460) et son prolongement : la chapelle de Charles Quint (construction env. 1525-1550).

Longeant extérieurement cette aile, un espace public, la rue  Isabelle, allait au XVIIème siècle relier directement le palais à la collégiale de Bruxelles (actuelle Cathédrale Saints-Michel-et-Gudule). Le dernier tronçon actif de cette rue devait disparaître à partir de 1923 dans la construction du palais des Beaux-Arts (architecte V. Horta).

Le corps de logis du palais se développait à peu près perpendiculairement à l’axe de la chapelle, vers l’Est. On en a retrouvé une grande et haute cave aux voûtes de pierres entièrement conservées (XIVème siècle). Elle avait été adossée, du côté Nord-Est, à un ancien mur défensif en pierre (XIIème – XIIIème siècles).

En 2003, c’est à l’angle Sud-Est de l’Aula Magna cette fois, et perpendiculairement à celle-ci, qu’est apparu un petit complexe de caves, privées malheureusement de leurs voûtes de briques. Il était desservi par un escalier. L’ensemble se situait sous le corps du bâtiment qui fermait la cour d’honneur. Les éléments mis au jour appartiennent au XVIIème siècle, lorsque fut construite l’imposante Tour de l’Horloge qui surmontait l’entrée cochère du palais. C’est près de celle-ci que débouchait l’escalier (il servira bientôt de sortie de secours au musée de site, à côté de la statue de Godefroid de Bouillon).


La particularité rare de ces découvertes bruxelloises est de nous faire découvrir, en réel, le plan terrier et même de nous mettre en présence d’importantes parties toujours en élévation. Les hauteurs conservées ont permis, après les fouilles, de réaliser des accès pour le public sous la surface moderne rétablie. Cet état de choses exceptionnel s’explique par la transformation radicale de la topographie originelle du Coudenberg à la fin du XVIIIème siècle et continuée au XIXème siècle.

En fait, lorsque vers le XIIème siècle au plus tard, un point fort fut aménagé sur le Coudenberg, la hauteur offrait un relief très dominant et bien circonscrit, position clé pour la défense de Bruxelles qui était alors exclusivement une ville basse située en contrebas du versant abrupt. Deux ravins segmentaient nettement le rebord du plateau ; c’était, au Sud, le ravin large et marécageux où coulait un petit affluent de la Senne, le ruisseau de Ruysbroeck – à l’emplacement de la rue du même nom – et, au Nord, celui plus encaissé au fond duquel se trouvait le Coperbeek (sous les rues Terarken et des Sols). Ces deux cours d’eau, qui prenaient leurs sources vers la porte de Namur, ont aujourd’hui à peu près disparu de la ville.

Du côté du Coperbeek allaient se construire, en bordure du versant, le premier château, puis le premier palais, tous deux nettement séparés du parc (Warande) qui leur faisait face. Le château, devenu purement résidentiel à partir du XIVème siècle, profitait d’une vue superbe, non seulement sur le fond du ravin devenu espace d’agrément, mais aussi sur la première enceinte désaffectée et contiguë aux bosquets de la Warande. L’accès au fond du vallon allait être aménagé systématiquement par un étagement de terrasses, de rampes et d’escaliers.

Après l’incendie de 1731, vers la fin du siècle, s’élabore le projet de créer une vaste entité urbanistique, notamment au prix d’un énorme travail de comblement : le Coudenberg, devenu place Royale, va rejoindre le vaste quadrilatère du parc et des rues qui l’encadrent, établis sur la Warande. Les « bas fonds » se trouvent dès lors largement gommés. Le comblement allait aussi gagner l’angle Nord de la nouvelle place où devait s’établir un nouvel hôtel particulier, précédé d’une cour d’honneur qui repoussait d’autant le corps de cette habitation sur la pente du versant de la Senne (ancienne cour des Comptes et futur siège de la présidence de la Région de Bruxelles-Capitale).

A vrai dire, le besoin d’une extension sur les versants est déjà perceptible dès le XIVème siècle. On avait alors aménagé une haute cave de pierre afin de mettre au niveau du Coudenberg le corps de bâtiment qui devait la surmonter. Le gain était encore minime. L’effort d’extension fut plus net avec la construction de l’Aula Magna située en bonne partie à la rencontre des versants de la Senne et du Coperbeek. L’effort devint tout à fait flagrant lors de l’édification de la chapelle de Charles Quint, implantée carrément sur la pente du ravin.

Le XVIIIème siècle a poussé cette entreprise d’élargissement jusqu’à sa conclusion ultime, par encavement ou comblement. Ce sont l’une ou l’autre de ces deux opérations qui nous ont valu le maintien de la grande cave du XIVème siècle, ou l’encavement de tout l’étage inférieur des salles basses de la chapelle de Charles Quint, ou les élévations de plusieurs mètres encore en place dans la partie Nord de l’Aula Magna, ainsi que, hors château, la longue descente de la rue Isabelle et une grande partie de l’ancien hôtel Lalaing-Hoogstraeten (rez-de-chaussée et, partiellement, caves et premier étage). Enfin, sous les épais remblais de la place du Palais, les bases architecturales des terrasses, rampes et escaliers, évoqués plus haut, descendant vers le fond du ravin ont de grandes chances d’exister toujours.

R. Cantagallina, Veduto di Brussela, Chapelle du Palais et Hôtel d'Hoogstraeten, 1612

(Pierre noire et sanguine, lavis d’encre brune sur papier beige.

Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts)

 

En bien comme en mal, ce bouleversement profond résulte d’une volonté urbanistique nouvelle, sans précédent dans l’histoire de Bruxelles, et qui produisit le plus vaste programme d’architecture urbaine jamais réalisé jusqu’alors dans la ville. Ce programme servira de point de départ à la création des grandes perspectives du XIXème siècle.


Résultats des fouilles en suivant l’ordre chronologique des constructions 

1°) Sous le début de la rue Royale (entre le Musée Bellevue et le Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale) : les témoins architecturaux les plus anciens connus sur le Coudenberg. Il s’agit d’un mur de défense (XIIème siècle ?) intégré au XIVème siècle dans les premiers éléments archéologiquement connus du château résidentiel bâti alors.

2°) Sous la rue Royale : la haute cave du XIVème siècle.

3°) Sous la place Royale, l'Aula Magna du XVème siècle : la totalité des bases du grand édifice bâti au XVème siècle, à partir de 1452, pour abriter une vaste salle d’apparat qui disparaîtra suite à l’incendie de 1731.

4°) Sous le centre de la place Royale : les bases d’un élément du corps de bâtiment (XVIIème siècle) séparant la cour d’honneur de l’espace public de la place des Bailles.

5°) Sous la place Royale, longeant les fondations du Musée des Instruments de Musique : le tronçon d’une rue disparue de Bruxelles, la rue Isabelle.


1°) Sous le début de la rue Royale (entre le Musée Bellevue et le Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale) : les témoins architecturaux les plus anciens connus sur le Coudenberg

Au XIVème siècle, une vaste cave de pierre allait intégrer, du côté Nord-Est, des pans de murs préexistants dont l’un montre deux meurtrières dirigées vers le Nord-Est (ravin du Coperbeek) : premier témoin à nous parvenir de la fonction militaire originelle du Coudenberg. C’est un mur en calcaire gréseux d’un moyen appareil régulier, haut d’au moins 3m75. Le parement interne est bien identifiable ; il n’en va pas de même extérieurement.

Le sol de circulation des défenseurs devait se situer 1m60 environ au-dessus du niveau de la cave. Stratégiquement, ce mur défensif est complémentaire de la première enceinte urbaine. Il en diffère architecturalement.

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2°) Sous la rue Royale : la haute cave du XIVème siècle

La cave en pierre (calcaire gréseux) qui s’est adossée à ce mur ancien est de plan rectangulaire (9m60 sur 7m75), construite en deux travées et voûtée d’arêtes avec quelques réparations de briques. Son sol est de terre battue. Il est épais de 15 cm. Les tessons découverts sont du XIVème siècle.

La hauteur totale atteint 3m75. L’accès se faisait du côté de la cour d’honneur, par une porte à deux battants vers laquelle descendait un escalier dont on ne connaît encore que les dernières marches. L’aération devait se faire par les meurtrières, partiellement obturées par la voûte. L’abandon du mur militaire est manifeste et entraîna le creusement du terre-plein de circulation sur 1m60 de profondeur, jusque dans le sable bruxellien.

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3°) Sous la place Royale : l’Aula Magna du XVème siècle

L’Aula Magna ou « grand salle » caractéristique des résidences princières médiévales, était une salle destinée aux réceptions d’apparat : banquets, grandes assemblées de toutes espèces, privées et officielles.

Les textes d’archives nous indiquent le commencement des travaux en 1452 et l’achèvement du gros œuvre en 1460. Le projet était avancé par le duc de Bourgogne (et de Brabant), Philippe le Bon, qui obtint la participation de la Ville.

Cette salle correspondait en fait à tout l’étage noble d’un édifice qui, par ses salles basses comme par les très nombreuses pièces des combles, formait un tout fonctionnel, architecturalement bien individualisé.

En plan, il s’agit d’un grand rectangle renforcé aux quatre angles par une tour polygonale assurant les circulations verticales. Une cinquième tour s’ajoute du côté de la cour d’honneur. Les hautes toitures à deux versants sont en ardoise.

Il est difficile, à partir des vues anciennes, de déterminer la hauteur totale de l’édifice. En première approximation, on peut avancer une trentaine de mètres entre le faîte du toit et le niveau de la circulation extérieure du côté de l’angle Nord.

L’accès à la salle d’apparat se faisait par un escalier extérieur couvert et à double volée, dont il ne reste que quelques fondements. C’était la seule partie ornée de cet édifice, par ailleurs d’une architecture extrêmement dépouillée.

Le niveau de la cour d’honneur s’établissait à 59m60 (niveau absolu), soit 1m60 sous le pavé actuel ; le niveau du palier supérieur, et donc celui de la salle elle-même, pourrait s’être situé de prime abord une soixantaine de centimètres au dessus du pavé moderne.

La salle, totalement disparue, était d’une venue, sans colonnes ni piliers. Elle était originellement éclairée par des fenêtres hautes percées dans les quatre murs et surmontées, dans les murs gouttereaux, d’un rang de fenêtres rectangulaires.

Au sol, un dallage de pierres bleues et beiges dont on a retrouvé de nombreux exemplaires. En couverture, un plafond charpenté divisé en caissons carrés. Une couche carbonisée des bois de plafond et de charpente a été retrouvée sur le dallage écroulé.

Ci-dessus : escalier montant vers l’ancienne cour

d’honneur du palais (Photo R. Dekock)

L’essentiel des informations archéologiques concernent les salles basses qui supportaient l’étage d’apparat. Pour l’essentiel, ce n’était nullement des caves : vaste cuisine ou office, salles d’eau et sans doute aussi corps de garde. L’organisation en plan est simple, mais de fortes différences de niveaux la compliquent. Le rectangle est divisé longitudinalement en deux par un couloir qui dessert une série d’espaces situés à 56m75 du côté Est : corps de garde, sans doute avec âtres, et escalier débouchant directement dans la cour d’honneur. Du côté Ouest : salles d’eau surélevées de près de 1m70. Du Sud au Nord et sur toute sa longueur, le couloir s’abaisse de vingt centimètres pour assurer l’écoulement de la rigole alimentée par des eaux venues de ces salles.

Du côté Nord, la cuisine (espace G) était établie 50 cm plus bas que le couloir.

Elle se dispose en L avec un grand âtre du côté du mur et trois autres du côté du pignon. Le sol de briques est traversé par la canalisation évacuant les eaux de la rigole jusqu’à la rue.Toutes les salles basses étaient voûtées. La cuisine et les salles du corps de garde avaient des clés de voûtes en pierre, sculptées à l’emblème personnel de Philippe le Bon : le briquet de Bourgogne (pièce de fer en forme de B dont on battait le bord rectiligne avec un silex pour faire jaillir l’étincelle).Les murs gouttereaux et plus encore les murs pignons sont extrêmement épais en fonction des élévations à atteindre : respectivement 2m35 et 2m65. Faits d’un moellonnage brut, mêlé de briquaillons noyés dans un mortier de chaux, ils étaient revêtus d’un parement de pierres blanches, largement récupéré au XVIIIème siècle. Des conduits verticaux étroits ont été ménagés dans le corps du mur de place en place. Ils aboutissent à des cavettes voûtées indépendantes, situées dans les fondations du mur et ouvrant dans la rue extérieure, chacune par un soupirail.

Le matériel archéologique recueilli est extrêmement abondant : pierres sculptées ornementales où le briquet de Bourgogne est omniprésent, pièces en fer extrêmement nombreuses : clés, serrures, verrous, pentures, clouterie très diversifiée, quelques armes dont un petit canon en fer ; vaisselle de terre cuite usuelle. On retiendra surtout les armures retrouvées sous un escalier effondré et dans les remblais, une statue en pierre, grandeur nature, du XVème siècle. Ce matériel est en cours de restauration et d’étude.  Quelques témoins stratigraphiques suggestifs ont été conservés en place et en particulier plusieurs mètres carrés du dallage de la salle d’apparat, tombés d’une pièce sur le sol de la grande cuisine lors de l’explosion des voûtes opérée en 1775.

Ci-dessus : briquet de Bourgogne (reconstitution moderne)

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4°) Sous le centre de la place Royale : le corps du bâtiment fermant extérieurement la cour d’honneur

En 2000 déjà, puis en 2003, à l’occasion de l’aménagement d’une sortie de secours dans l’angle Sud de l’Aula Magna, au centre de la place Royale, il fut possible de fouiller un petit complexe de caves jouxtant l’édifice.

Extérieurement, il fut possible de mettre en évidence deux niveaux : celui de la cour d’honneur et celui de la place des Bailles. De ce côté, en façade, des emplacements de boutiques en bois où les artisans actifs dans le palais écoulaient une partie de leur production ont été retrouvés. Les boutiques ont fonctionné jusqu’à l’incendie de 1731.

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5°) La rue Isabelle

Les fouilles de la place Royale ont permis de retrouver le niveau exact et des lambeaux encore en place du pavage tel qu’il existait avant l’incendie. Il s’agit d’une rue descendant à flanc du versant. Sa largeur permettait le passage aisé des charrettes et voitures. Elle était recouverte par des déversages méthodiques de décombres de toutes natures venus de différents points de la ville, conformément au règlement qui avait été pris en vue du remodelage topographique du Coudenberg.

Peu de choses antérieures en rapport direct avec le palais ont été rencontrées, sinon des débris de bouteilles de vin du début du XVIIIème siècle, portant le cachet de la dernière gouvernante Marie-Elisabeth.