LE BIGEHI

Feuillet d'informations scientifiques et historiques

Alan Turing

Mathématicien anglais (Londres, 1912- Wilmslow, Cheshire, 1954)

Par ses travaux théoriques dans les domaines de la logique et des probabilités, Alan Mathison Turing est Alan Turing considéré, sinon comme le fondateur des ordinateurs, en tout cas comme l'un des pères spirituels de l'intelligence artificielle.

Né le 23 juin à Paddington (Londres), Alan est le fils de Julius Mathison, officier de l'armée des Indes et d'Ethel Sarah Turing, fille d'un ingénieur des chemins de fer à Madras. A l'âge d'un an, il est confié par sa mère, qui rejoint alors son mari aux Indes, à la garde d'amis. Le couple ne reviendra en Angleterre qu'en 1926, à la retraite de Julius. Benjamin de la famille, Alan connaît une scolarité sans éclat malgré un esprit brillant et de nettes dispositions pour les sciences. En 1928, à Sherborne School où il est entré deux ans plus tôt, il fait la connaissance de Christopher Marcom. Cette rencontre provoque en lui un déclic et l'amène à s'intéresser réellement à la science et plus exactement aux mathématiques. La relation des deux adolescents s'achève tragiquement en février 1930 avec la mort de Christopher.

De 1931 à 1934, Alan Turing est étudiant en mathématiques au King's College de l'Université de Cambridge. Au cours de cette période, il prend connaissance des travaux de John von Neumann sur la mécanique quantique. Stimulé par ces recherches, il se lance dans l'étude de problèmes de probabilités et de logique. L'arrivée du nazisme en Allemagne ne le laisse pas indifférent et il commence à fréquenter les milieux pacifistes, sans pour autant tomber dans le marxisme. C'est aussi au King's College qu'il rencontre des théoriciens de l'économie comme John Keynes et Arthur Pigou.

Diplôme en poche, il apprend à l'été 1936 les avancées de Max Newman concernant l'élaboration d'une théorie mathématique sur l'incomplétude de Gödels et la question de la décidabilité de Hilbert. La décidabilité repose sur la possibilité pour une proposition mathématique d'être validée (vrai ou faux) par un algorithme. Si pour beaucoup de propositions il est facile de trouver un algorithme, qu'en est-il de celles pour lesquelles l'algorithme, pas assez rigoureux, est insuffisant à valider la proposition ? Doit-on en déduire qu'elles ne peuvent être validées ? C'est désormais dans ce sens que vont s'orienter les recherches du logicien.

Principe de la Machine de Turing

Dix-neuf cent trente-six est également l'année de la reconnaissance pour Turing ; il reçoit le prix Smith pour ses travaux sur les probabilités, publie On Computable Numbers with an application to the Entscheidungsproblem et émet le concept de la Machine de Turing. Ce concept constitue la base de toutes les théories sur les automates et plus généralement celle de la théorie de la calculabilité. Il s'agit en fait de formaliser le principe d'algorithme, représenté par une succession d'instructions – agissant en séquence sur des données d’entrée – susceptible de fournir un résultat. Cette formalisation oblige Turing à développer la notion de calculabilité et à déterminer des classes de problèmes "décidables". Cela le conduit à introduire une nouvelle classe de fonctions (les "fonctions calculables au sens de Turing") dont il démontre qu’elles sont identiques aux fonctions lambda définissables de Stephan Kleene et Alonzo Church.

Au cours de son doctorat à l'Université de Princeton, de 1936 à 1938, Turing conçoit l'idée de la construction d'un ordinateur. De retour à Cambridge, il poursuit ses études mathématiques et s'intéresse aux fonctions zeta de Georg Friedrich Riemann.
EnigmaLa seconde Guerre Mondiale lui offre bientôt l'opportunité de mettre en pratique ses théories. C'est au département des communications du Ministère des affaires étrangères britannique qu'il se retrouve confronté au secret d'Enigma, nom de code de la machine utilisée par la marine allemande pour communiquer avec leurs sous-marins. Le cryptage utilisé par les Nazis échappait toujours aux modes d'investigation classiques. Mais avec la collaboration de W. G. Welchman, Turing réussit à percer le code en appliquant sa nouvelle méthode et, de façon indirecte, contribue ainsi à la victoire de la bataille de l'Atlantique.

La guerre achevée, Turing intègre le National Physical Laboratory où il entreprend, en concurrence avec les projets américains, de créer le premier ordinateur. Les avancées technologiques lui laissent entrevoir la réalisation de cet objectif dans un avenir proche. Mais en raison de son homosexualité, il est bientôt écarté des grands projets gouvernementaux anglais.

En 1948, grâce à Newman, il obtient un poste de chargé de cours en mathématiques à l'Université de Manchester qu'il occupera jusqu'à la fin de sa vie. Deux ans plus tard, il participe avec Frederic Williams et Tom Kilburn à la réalisation d’un calculateur électronique, le Mark I, et conçoit à cette occasion un manuel de programmation. Dans la foulée, il publie Can a machine think ? dans lequel il fait la synthèse des bases mathématiques et conceptuelles de l’ordinateur électronique programmable et résume sa philosophie de la "machine intelligente". Il énonce également le célèbre Test de Turing ; ce test se résume à une expérience dans laquelle un homme tient une conversation avec une machine. Comment dans ce cas, un observateur, par l'unique analyse des messages échangés, pourra-t-il distinguer l'homme de la machine ? Turing était convaincu que tout n'était qu'un problème d'information et que le développement des technologies permettrait d'ici cinquante ans aux machines de tenir en échec l'être humain au moins cinq minutes.

ZébruresEn 1951, consécration suprême : il devient membre de la Royal Society. En dehors des mathématiques, il poursuit des recherches sur la parthénogenèse et détermine ce qu'on appellera par la suite les structures de Turing dans Bases chimiques de la morphogenèse (1952) ; il imagine un système chimique très simple pouvant expliquer la formation d'ensembles comme les tâches et les rayures de la peau des animaux.

Inculpé en 1952 pour ses mœurs controversées, considérées alors comme un crime, il choisit pour éviter la prison de se soumettre à un traitement chimique basé sur des injections d'œstrogènes. On le retrouvera mort dans sa chambre le 7 juin 1954 ; l'enquête conclura à un suicide par empoisonnement au cyanure.