Pour
capturer sa lune Triton, Neptune a dû briser son couple
On les appelle les irréguliers. Autour des quatre géantes gazeuses
du système solaire extérieur (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune), ces
satellites se distinguent par leur comportement rebelle. La grande majorité
des lunes de ces régions sont rangées sagement sur une orbite circulaire,
à la fois proche de leur planète-mère et alignée dans le plan de son équateur.
Les irréguliers, eux, divaguent sur des orbites éloignées et inclinées,
qui ressemblent bien davantage à des ovales qu'à des cercles. La moitié
d'entre eux pousse l'excentricité jusqu'à tourner dans un sens opposé
(dit rétrograde) à celui de la rotation de leur planète.
Pour
les astronomes, tant de déviances ne peuvent avoir qu'une explication. Les
satellites irréguliers ne font pas partie de la famille, ils n'ont pas été
formés, comme les réguliers, en même temps que leurs planètes. Les
quatre géantes les ont sans doute capturés alors qu'ils étaient eux
aussi placés sur une orbite autour du Soleil (dite héliocentrique), après
avoir pris naissance dans les confins glacés de notre système.
KIDNAPPINGS
CÉLESTES
Plusieurs
hypothèses ont été émises sur les circonstances de ces kidnappings célestes.
Les atmosphères gazeuses des planètes, plus étendues dans le passé, ont
pu freiner les astres qui passaient trop près d'elles et les capturer. Un
accroissement rapide de leur masse a pu élargir brusquement leur zone
d'influence gravitationnelle. Un choc avec un satellite régulier aurait également
pu arrêter de force un visiteur.
Ces
scénarios présentaient le double défaut de paraître exagérément
alambiqués, et de ne pas justifier le cas de Triton. Avec ses
2 700 km
de diamètre, la lune principale de Neptune fait figure de mastodonte parmi
la population de satellites irréguliers. Et elle apparaît beaucoup trop
massive pour avoir été captée selon les différentes hypothèses en
vigueur. Pour régler ce vieux problème, deux astronomes américains, Craig
Agnor et Douglas Hamilton (universités de Californie et du Maryland) présentent,
dans Nature du jeudi 11 mai, "une solution très élégante",
selon Alessandro Morbidelli, de l'Observatoire de
la Côte
d'Azur, qui commente la trouvaille dans un article publié dans la même édition.
MÉNAGES
ASTRAUX
Ils
postulent qu'à l'origine, Triton était en ménage avec un autre astre. Ils
formaient un système binaire, dont chaque membre tournait autour de leur
centre de gravité commun. A chaque demi-tour, la vélocité de l'un d'entre
eux s'additionnait à celle de leur orbite. La vitesse relative de l'autre
était en revanche réduite puisqu'il allait dans le sens contraire de ce
mouvement général. Le plus "lent" des deux n'était momentanément
plus en mesure de résister à l'attraction d'une planète proche, telle que
Neptune. C'est ce qui dû arriver à Triton, irrémédiablement attiré par
la géante, tandis que son compagnon poursuivait, solitaire et anonyme, sa
route autour du Soleil.
Les
simulations menées par les deux chercheurs valident toutes les variantes de
ce scénario. Mais, pour être scientifiquement recevables, encore faut-il
qu'elles coïncident avec les observations actuelles. Or la ceinture de
Kuiper, vestige de la région qui a dû voir naître Triton, recèle encore
aujourd'hui environ 15 % de systèmes binaires. Cette proportion rend tout
à fait possible la rencontre entre Neptune et l'un de ces ménages astraux.
Parmi
ces couples, l'un est bien connu des astronomes. Il rassemble Pluton,
toujours considéré comme la neuvième planète de notre système solaire,
et son acolyte Charon. Par leur taille et leur masse respective, ces deux-là
ressemblent sans doute furieusement au duo que devaient former Triton et son
compagnon, avant que Neptune ne les sépare.
Jérôme
Fenoglio
LE
MONDE
Image
de triton NASA
|