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LE BIGEHI Feuillet d'informations scientifiques et historiques |
Octobre 2004 |
LES PRIX NOBEL 2004
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Deux Nobel
nez à nez
Leurs
travaux ont ouvert une fenêtre inattendue sur l'intimité des
relations entre le nez et les odeurs. Les deux Américains ont en
effet montré que la «réception» des odeurs est verrouillée par
l'activité d'une immense famille de gènes, riche d'un millier de
membres. L'étendue de ce complexe génétique avait de quoi
surprendre les spécialistes de la génétique des organes sensoriels.
En effet, les gènes contrôlant la réception des stimuli du goût et
de la vision deux sens éminemment complexes sont à peine une
dizaine. Cependant,
Buck et Axel ont éclairé leur découverte en montrant que la réception
des odeurs est un système génétique hautement spécialisé, où
chaque gène orchestre la production d'un «récepteur olfactif»
une protéine dédiée au piégeage d'une molécule odorante particulière.
La combinatoire de ce millier de gènes serait la base de l'aptitude
humaine à reconnaître une dizaine de milliers d'odeurs. A
la fin des années 90, les deux chercheurs qui travaillaient désormais
en parallèle ont amorcé avec quelques succès une remontée de la
«filière olfactive», qui va de la capture d'un message odorant par
l'extrémité d'un neurone olfactif à son identification et sa
perception par le cerveau, via le bulbe olfactif, puis le cortex cérébral. La
découverte de la «porte d'entrée des odeurs» a eu pour heureux
effet de décupler les questions sur le fonctionnement du système
olfactif et ses pathologies, fréquentes chez l'homme et qui induisent
une déprimante perte du goût, celui-ci étant essentiellement un
effet de l'odorat. Les deux nobélisés ont toutefois essentiellement travaillé sur la souris, un animal qui a gardé un odorat
très
développé,
tandis que celui de l'homme s'est atrophié au profit de la vision,
comme l'ont démontré
des généticiens du Max Planck Institute en janvier dernier, au terme
d'une recherche sur les primates, humains compris. «63 % des gènes
des récepteurs olfactifs ne sont pas fonctionnels chez l'homme»,
rappelle Jean-Pierre Royer (CNRS, Lyon). Si
l'homme est faible du nez, il possède néanmoins, comme les autres
animaux, des neurones olfactifs qui font rêver tous les spécialistes
de la régénération du système nerveux (pour le traitement d'Alzheimer
ou de la paraplégie) : ils ont la capacité de se renouveler,
naturellement, avec intensité : tous les trente jours, un neurone
olfactif meurt, un neurone naît... du moins chez les sujets jeunes. D'où vient ce potentiel, et comment l'information acquise est-elle transmise d'une génération de neurones à l'autre ? A cette question, Buck et Axel ont suggéré récemment une réponse : les protéines de la réception olfactive qu'ils ont découvertes joueraient un rôle dans l'«éducation» des neurones émergents. «Un tel processus ouvrirait des perspectives à toute la recherche en neurobiologie, estime Patricia Duchamp-Viret (CNRS, Lyon). S'il est vérifié.» Inséparables,
les quarks vont par trois
Nobel.
Les physiciens américains Gross, Politzer et Wilczek ont été récompensés.
Dans
un proton. Aujourd'hui,
la réponse fait partie du «modèle standard» de la physique des
particules, qui décrit l'organisation de la matière au niveau
subatomique. Mais, lors de son élaboration, les physiciens étaient
plutôt déconcertés par cette étrange manie des quarks,
manifestement incapables de vivre autrement qu'en ménage, en général
à trois (dans un proton). Il a fallu, pour éclaircir cette situation
matrimoniale originale, recourir à une toute nouvelle mathématique
«les théories de jauge non abéliennes» que seuls
quelques initiés maîtrisaient. Poussés par leurs directeurs de thèse
(Gross et Coleman), les tout jeunes Politzer et Wilczek se sont donc
coltiné quelques mois de calculs, pour s'apercevoir que tout était «une
question de signe, positif ou négatif», résume Zinn-Justin.
Pour les autres interactions fondamentales (gravitation, électromagnétisme,
interaction nucléaire faible), l'intensité de l'interaction décroît
avec la distance entre deux objets, par exemple entre une étoile et
une planète. Situation inverse pour l'interaction nucléaire forte (réalisée
par l'échange de gluons entre quarks) : elle croît avec la distance,
comme pour deux boules liées par un élastique que l'on tente d'éloigner
l'une de l'autre.
Confinement.
Le
calcul des trois physiciens a permis de mettre au point la «chromodynamique
quantique», théorie décrivant l'interaction nucléaire forte. Puis
de la vérifier avec une précision extraordinaire par les
expériences
menées au grand accélérateur d'électrons (LEP) du Cern , le
laboratoire européen de physique des particules installé près de
Genève. Pourtant, elle n'a pas résolu le mystère du «confinement
des quarks» dans les protons.
Que sont donc vraiment ces
particules élémentaires qui refusent d'apparaître isolées ? Cette
contradiction recèle-t-elle une faille de la théorie, ou l'indice
d'une autre physique sous-jacente, liée aux espoirs d'une théorie
unifiée de toutes les interactions fondamentales ? Pour creuser la
question, les physiciens aimeraient bien observer les quarks délivrés
de leur ménage à trois. Et puisqu'il est impossible d'en isoler un,
la solution se situe dans la fabrication d'une «purée de
quarks», où
la température serait trop élevée pour permettre à un proton de
subsister. Au début du Big Bang, l'Univers tout entier a connu un tel
état. Plus modestement, les physiciens, précise Zinn-Justin, «espèrent
le réaliser de manière fugace en accélérant des paquets d'ions de
plomb dans le futur accélérateur du Cern, le LHC, puis en les
obligeant à entrer en collision». De la purée, alors, jaillira
peut-être la lumière. Le
Nobel de chimie 2004 est attribué à deux Israéliens et à un Américain Deux
Israéliens et un Américain distingués pour l'étude d'une substance
impliquée dans la dégradation des protéines. La
destruction est au cœur des travaux couronnés, mercredi 6 octobre,
par le prix Nobel de chimie. Leurs auteurs, les Israéliens Aaron
Ciechanover et Avram Hershko, de l'Institut Rappaport d'Haifa, et l'Américain
Irwin Rose, de l'université de Californie à Irvine, ont montré, au
début des années 1980, qu'une molécule, l'ubiquitine, était
impliquée dans la dégradation constante des protéines dans les
cellules vivantes.
Les
protéines, qui peuvent se compter en centaines de milliers dans les
cellules, remplissent nombre de fonctions vitales. Elles sont sans
cesse renouvelées, selon les besoins de l'organisme qui les abrite.
Ce processus de destruction, étudié depuis les années 1950, prend
plusieurs formes. Il peut être passif, sans dépense supplémentaire
d'énergie de la part de la cellule, grâce, par exemple, au lysosome. Mais
ce "contrôle de qualité" peut aussi passer par des
mécanismes actifs, impliquant une dépense d'énergie. L'ubiquitine
en est alors l'un des acteurs-clés : elle a en effet pour fonction de
se coller à la protéine indésirable, laquelle, alors reconnue par
le protéasome, sorte de nettoyeur cellulaire, sera réduite en
peptides de 7 à 9 acides aminés qui pourront ensuite être réemployés.
"La découverte de l'ubiquitine est extraordinaire, et l'on a
compris, depuis, l'importance de ce système qui oriente tout le
devenir des protéines dans les cellules", souligne Frédéric
Becq, professeur de physiologie à l'université de Poitiers. Isolée
en 1975, l'ubiquitine doit son nom au fait qu'on la retrouve dans la
majorité des organismes, bactéries exceptées. LE
BAISER DE LA MORT A
la fin des années 1970, Joseph Etlinger et Alfred Goldberg (université
Harvard, Etats-Unis) avaient montré que des dégradations de protéines
anormales pouvaient survenir dans des extraits de globules rouges
immatures, les réticulocytes. Reprenant ces expériences, Aaron
Ciechanover et Avram Hershko ont tenté d'éliminer l'hémoglobine,
qui perturbait les observations. Ce faisant, ils ont constaté que
l'extrait se séparait en deux fractions, inactives. Mais lorsqu'elles
étaient réunies, la dégradation des protéines reprenait. Ils ont
montré avec Irwin Rose, lors d'un séjour dans son laboratoire du Fox
Chase Cancer Center de Philadelphie, que l'un des composants, l'APF-1
(principe actif dans la fraction 1), pouvait s'attacher de façon très
stable aux protéines de l'extrait. Et ils ont ensuite constaté
qu'une même protéine pouvait être marquée par plusieurs APF-1,
alias l'ubiquitine. L'équipe
a ensuite décortiqué les différentes étapes menant au "baiser
de la mort" donné par l'ubiquitine. Elle a développé un modèle
mettant en jeu trois types d'enzymes, E1, E2 et E3, dont
l'intervention successive permet de sélectionner précisément les
protéines destinées à être détruites par les protéasomes. L'ubiquitine
est d'abord activée par E1, puis transférée à E2, tandis qu'E3 se
colle à la protéine-cible. Cette dernière étape est répétée à
plusieurs reprises, jusqu'à former une chaîne d'ubiquitine qui sera
ensuite reconnue par le protéasome. Ce broyeur moléculaire pourra
alors faire son office. Quelle
pouvait être la fonction de ce mécanisme ? Toujours au début des
années 1980, il a été constaté par une équipe de Boston que des
cellules de souris mutantes cessaient de se répliquer lorsqu'on élevait
la température. Il est apparu alors que la protéine sensible à la
chaleur était E1. Ces observations démontraient que l'activation de
l'ubiquitine était cruciale dans le fonctionnement cellulaire. Depuis
lors, on a constaté qu'elle intervenait aussi pour limiter l'autofécondation
des plantes, source d'appauvrissement génétique. Mais également
dans la régulation du cycle cellulaire, dans la réparation de l'ADN
(p53), comme dans diverses pathologies - dont la mucoviscidose - liées
à l'anomalie d'une protéine. Dans
la majorité des cas de mucoviscidose, et en particulier dans les plus
graves, il existe une mutation baptisée "F508 del". Elle
affecte un acide aminé
appelé phénylalanine du gène gouvernant la synthèse de la protéine
CFTR. Cette protéine CFTR mutée est reconnue comme anormale. Au lieu
de se diriger naturellement vers la membrane cellulaire où elle
assure une fonction connue sous le nom de canal chlore, elle est en
fait retenue dans la cellule pour être orientée vers le processus de
dégradation dans lequel intervient l'ubiquitine. Or les scientifiques
ont montré que, même mutée, la CFTR peut fonctionner correctement
si elle parvient à la surface de la cellule. NOMBRE
DE PATHOLOGIES Tout
se passe comme si un impitoyable contrôle de qualité dirigeait vers
le broyeur une protéine qui, même mutée, peut assurer efficacement
son rôle. "Théoriquement, l'état clinique et fonctionnel
des personnes porteuses de la mutation "F508 del" serait
notablement amélioré si leur protéine CFTR mutée échappait à la
destruction, explique Frédéric Becq. C'est donc un vaste
domaine de recherche qu'ont ouvert les travaux des trois lauréats du
prix Nobel de chimie 2004." Ce
schéma mettant en jeu un problème de routage et d'adressage se
retrouve dans nombre de pathologies où intervient l'anomalie d'une
protéine. C'est le cas de maladies neurodégénératives comme la
maladie d'Alzheimer. Et aussi celui de l'emphysème pulmonaire, où
l'anomalie porte sur l'alpha 1-antitrypsine. Le couple ubiquitine-protéasome
est encore impliqué dans certaines formes de diabète, où existe une
erreur d'adressage du récepteur de l'insuline. Il
en va de même pour les mutations du "gardien du génome",
la protéine p53, qui est un agent suppresseur de tumeurs dont le taux
normal résulte d'un équilibre entre sa production et sa dégradation.
Processus qui met en jeu l'ubiquitine. En cas d'altération de l'ADN,
la dégradation s'interrompt et le taux de p53 s'élève. Cela stoppe
le cycle cellulaire, le temps que l'ADN soit réparé, ou conduit, si
la lésion est irréparable, vers la mort cellulaire programmée. La dégradation
des protéines p53 porteuses d'une mutation empêche l'élévation de
la protéine p53 dans la cellule et la mise en route des mécanismes
de réparation. Rien d'étonnant, donc, à ce que l'on retrouve une
mutation de la p53 dans 50 % de l'ensemble des cancers humains. Paul Benkimoun et Hervé Morin Une
application anticancéreuse Certains
traitements contre le cancer se proposent d'empêcher la dégradation
de certaines protéines marquées par l'ubiquitine. A l'inverse,
d'autres visent à favoriser leur dégradation. C'est ce que permet le
bortezomib, un médicament commercialisé sous le nom de Velcade, dont
la Food and Drug Administration (FDA) a autorisé, en 2003, la mise
sur le marché américain après une procédure accélérée. Cet
inhibiteur du protéasome, administré par injection, est indiqué
dans le traitement du myélome multiple, un cancer hématologique
affectant la production de cellules immunitaires par la moelle
osseuse. Il est destiné à des patients victimes d'une rechute et qui
ont déjà suivi deux autres traitements dont le dernier a entraîné
un phénomène de résistance de la maladie. Pour l'instant, "il
n'y a pas d'étude contrôlée avec le Velcade montrant l'existence
d'un bénéfice clinique, comme l'amélioration de la survie",
indique la FDA. |