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N°18 février 2006

 

Grippe aviaire


Portrait d'un tueur en série, le H5N1

Audrey Pinson et Frédéric Lewino

Tout savoir sur le virus de la grippe aviaire et l a possibilité qu'il a de se muer en virus capable de créer une pandémie.

Les virus de la grippe appartiennent à une famille nombreuse. Certains (genres B et C) fréquentent quasi exclusivement les organismes humains. D'autres (genre A) préfèrent nettement les volatiles (poulet, dinde, oiseaux d'eau, surtout), mais à l'occasion ne dédaignent pas de séjourner chez certains mammifères, comme l'homme ou le porc, les félins et les petits carnivores.

Les virus responsables de la grippe aviaire (ou grippe du poulet) se distinguent entre eux par la nature de deux protéines présentes à leur surface : l'hémagglutinine (H) et la neuraminidase (N). Il existe 15 H et 9 N différentes, avec toutes les combinaisons possibles. L'un des cocktails les plus virulents est le H5N1 identifié en 1959 en Ecosse et décelé chez l'homme pour la première fois en 1997 à Hongkong. Sa grande facilité à muter et à absorber les gènes d'autres virus de la grippe le rend particulièrement dangereux.

Sa transmission d'un animal à l'autre se fait très facilement par contamination aérienne, par ingestion des sécrétions respiratoires et des matières fécales. Alors que les virus de la grippe humaine ne contaminent que les voies respiratoires de sa victime, ses cousins aviaires s'immiscent dans tous les organes !

Qu'attend H5N1 pour s'en prendre directement à l'homme ?

Pour l'instant, les personnes contaminées, une centaine, sont des éleveurs ou des vendeurs de volailles ayant été en contact étroit avec les animaux malades. C'est en respirant la poussière de matière fécale ou les sécrétions respiratoires qu'ils ont absorbé le virus de la grippe aviaire.

Pour l'Organisation mondiale de la santé (OMS), aucune preuve formelle de contamination d'homme à homme n'a encore été fournie. Pourtant, dans au moins trois cas, le doute est fortement permis. A Hongkong, en 1997, entre un malade et un médecin ; en Thaïlande, en 2004, entre deux frères ; au Vietnam, en 2004, entre une mère et sa fille.

Pour l'instant, le virus H5N1 n'est donc pas capable de se développer facilement dans les cellules humaines, mais il ne demande qu'à apprendre. Il lui suffirait de rencontrer, chez l'homme ou le porc, un virus de la grippe humaine pour enfanter un véritable tueur.

Celui-ci cumulerait la contagiosité du virus de la grippe humaine et des protéines de surface du virus de la grippe aviaire contre lesquels les cellules humaines n'ont pas eu le temps de développer des anticorps. Tous les experts s'accordent pour dire que ce scénario catastrophe est inévitable. Question de délai.

Quels symptômes chez l'homme ?

Après une incubation pouvant durer sept jours, la maladie démarre comme une grippe banale (fièvre supérieure à 38 °, maux de gorge, douleurs musculaires, toux), puis s'aggrave spectaculairement avec des troubles respiratoires. Il n'y a pas de test de diagnostic spécifique à la grippe aviaire. Elle tue 60 % de ses victimes.

Quel bilan à ce jour ?

Au 31 août 2005 , le bilan était le suivant :

20 cas, dont 7 décès, à Hongkong 4 décès au Cambodge 17 cas, dont 12 décès, en Thaïlande 90 cas, dont 40 décès, au Vietnam, et plusieurs cas en cours d'investigation. 1 décès avéré en Indonésie (2 autres probables).

Les pays asiatiques sont-ils capables d'enrayer une épidémie parmi les volatiles ?

La réponse est clairement : non ! Réunis à Kuala Lumpur en juillet, des experts de l'OMS, de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et de l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) ont dressé la liste des mesures à prendre par les pays infectés pour réduire le risque d'épizootie et de contamination humaine. Avant qu'elles ne soient adoptées strictement, H5N1 a encore de beaux jours devant lui. Les millions d'éleveurs de volailles asiatiques restent encore très mal informés, la plupart continuant à élever ensemble poulets, cochons et canards. Par ailleurs, ils rechignent souvent à signaler les maladies pour éviter l'abattage et ses conséquences financières. Aussi les experts réclament-ils un système d'indemnisation (déjà existant en Thaïlande) pour encourager les fermiers à déclarer les cas suspects. La vaccination des animaux, qui est efficace, est encore loin d'être pratiquée systématiquement. Il faudrait améliorer les conditions sanitaires déplorables des marchés aux volailles, favorisant la propagation de l'épidémie. « Nous n'avons pas d'illusion sur la difficulté à appliquer ces recommandations », note le docteur Shigeru Omi, directeur régional de la région Pacifique Ouest de l'OMS. Le plan préconisé par les experts de Kuala Lumpur est estimé à 100 millions de dollars.

D'où vient la pandémie ?

La plupart des experts s'accordent pour dire qu'une pandémie est inévitable et probablement imminente. Des équipes américaines et britanniques l'ont simulée sur ordinateur. Dans le pire des scénarios, l'hécatombe vaut celle de la grippe espagnole de 1918, à savoir entre 20 et 40 millions de morts. Pourtant, la pandémie pourrait être stoppée à temps, à condition de réagir immédiatement. Ce qui signifie pouvoir identifier le nouveau virus avant qu'il ne fasse une trentaine de victimes. Puis administrer immédiatement un traitement antiviral à quelque 20 000 personnes vivant dans l'entourage des malades. Le docteur Ira Longini, de l'université d'Atlanta, a posé l'hypothèse de l'apparition d'un virus pathogène pour l'homme dans une population rurale de 500 000 personnes en Thaïlande. La pandémie pourrait être enrayée à condition de pouvoir distribuer en moins de vingt et un jours 350 000 traitements antiviraux et que chaque malade n'infecte pas plus de 1,4 personne en moyenne. Au-dessus, il faudrait décréter une quarantaine, obligeant la population à rester chez elle pour stopper l'épidémie. Le 11 août, les douze pays asiatiques en première ligne décidaient de constituer un stock régional d'antiviraux pour réagir à la moindre alerte. Leurs gouvernements ont demandé au laboratoire Roche l'autorisation de fabriquer des génériques du Tamiflu. Toujours en négociation.

A quand un vaccin pour l'homme ?

Un vaccin efficace ne pourra être fabriqué que lorsque la souche du virus responsable de la pandémie sera connue. Ce qui implique un délai de plusieurs mois pour isoler la souche, élaborer un vaccin et, enfin, le produire en quantité suffisante. Néanmoins, pour gagner du temps, d'ores et déjà, des études cliniques portent sur la souche de la grippe aviaire H5N1. Ainsi, quand la pandémie se déclarera, il n'y aura plus qu'à appliquer la méthode avec le nouveau virus tueur. En France, Sanofi Pasteur a débuté au mois de mai des tests sur trois cents adultes sains. Les résultats sont attendus pour la fin de l'année.

Pour ceux qui se posent la question, précisons que le vaccin contre la grippe humaine est totalement inefficace contre la grippe aviaire.

Les traitements antiviraux sont-ils efficaces ?

Les seules armes actuellement disponibles pour combattre un virus de la grippe aviaire s'attaquant à l'homme sont les molécules antivirales, dont l'efficacité est variable. Seules deux d'entre elles ont des autorisations de mise sur le marché, l'oseltamivir (Tamiflu, fabriqué par Roche, 24,91 E) et le zanamivir (Relenza, élaboré par GlaxoSmithKline). Néanmoins, le Tamiflu s'avère plus universellement efficace et plus facilement administrable. Ces molécules servent surtout pour traiter un organisme malade. Contrairement à un vaccin, l'antiviral ne protège pas à long terme.

Peut-on continuer à manger du poulet et du canard ?

En l'état actuel des connaissances, la contamination par la nourriture bien cuite est exclue. L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) poursuit une étude sur le risque lié à la consommation de viande crue. A la rigueur, seuls les volaillers chargés d'enlever les plumes de l'animal pourraient attraper la grippe. Et encore...

Recommandations aux voyageurs

Aujourd'hui, l'OMS ne préconise aucune restriction de déplacement. Simplement, le ministère de la Santé conseille aux voyageurs d'éviter, dans les pays concernés par l'épizootie, tout contact avec oiseaux d'eau, poulets et porcs, morts ou vivants. De même, mieux vaut s'abstenir de visiter élevages et marchés de volailles. Il est interdit de rapporter un volatile vivant de ces pays, en particulier un oiseau d'ornement (décision européenne du 29 janvier 2004 ). La consommation de poulets, de porcs et d'œufs bien cuits ne pose aucun problème. Au retour d'une zone contaminée, si le voyageur présente des symptômes grippaux sévères, il lui faut prendre contact avec le 15.

Doit-on craindre une arrivée dans l'Hexagone du virus aviaire par les oiseaux migrateurs ?

A ce jour, l'Afssa considère le risque de « faible à négligeable ». D'après la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), « les oiseaux migrateurs qui fréquentent notre pays et l'Europe occidentale sont surtout originaires du nord de l'Europe, de la Scandinavie , de la côte est du Groenland et de la Sibérie polaire. [...] Les oiseaux migrateurs d'Asie centrale et orientale migrent vers le sud, soit vers l'Inde ou la Thaïlande , et non vers l'Europe ».

Les responsables du dossier aux Nations unies sont plus réservés. Ils évoquent une possible importation du virus par des oiseaux venant du sud de la Sibérie vers les Balkans, donc aux portes de l'Europe ! Un autre danger pourrait être une importation indirecte du virus aux retours des migrations hivernales. Finalement, la question est loin d'être évacuée. Les experts de l'Afssa doivent rendre un second avis définitif d'ici à quelques semaines.

http://www.lepoint.fr/dossiers_sciences/document.html?did=167258

Voir aussi:

 La grippe aviaire (Institut Pasteur)

 Le dossier de la FAO sur la grippe aviaire

 Les informations de l'OMS sur la grippe