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                    N°8 avril 2005

  ACTUALITÉ

Une nouvelle baleine sort du désert 

Le piège infernal de la fourmi

Bombe à retardement pour les îles Marshall

Des poissons tout ouïes

«Eupelmus vuiletti», la guêpe qui gère son capital vie

 

Une nouvelle baleine sort du désert 

Sous les sables de Wadi Hitan, une vallée du Sahara égyptien, dorment un grand nombre d’ancêtres fossilisés de baleines et d’autres animaux marins. C’est là que des paléontologues américains et égyptiens ont mis au jour le fossile le plus complet de Basilosaurus isis, un cétacé vieux de 40 millions d’années aux allures de serpent de mer. Selon Philip Gingerich, de l’université du Michigan, qui dirige les fouilles, il s’agit du fossile le plus complet de cette espèce identifiée pour la première fois en 1905.

 Le squelette mesure 18 mètres de long. Basilosaurus isis, de la famille des Archaeocètes, ancêtres des cétacés, était en effet un très long animal allongé comme un serpent. Cette baleine archaïque possède encore des petites pattes devenues inutiles, témoignage de l’évolution de ces mammifères depuis la terre ferme vers la mer.

 

Wadi Hatan est l’ancien lit d’une mer où reposent un grand nombre de fossiles d’animaux marins. Des restes de requins, de crocodiles, de tortues et de plusieurs espèces de baleines y ont été découverts. Le site est classé patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO à cause de sa beauté et de son intérêt scientifique.                                                                                             C.D. (19/04/05) 

 

Le piège infernal de la fourmi

Les poches foliaires et le piège construit sur la tige sont visibles en haut. Les ouvrières à l’affût apparaissent sur l’image du bas réalisée au microscope électronique.

(Dejean et alii)

 

Pour capturer des proies qui font plus de dix fois leur taille, les fourmis arboricoles Allomerus de Guyane ont élaboré un piège ingénieux et surprenant. Elles construisent une galerie percée de trous le long de la tige d’une plante. Alain Dejean et ses collaborateurs décrivent précisément ce piège dans la revue Nature publiée aujourd’hui. 

 

Les ouvrières, qui mesurent seulement 2 mm, se cachent dans la galerie, sous les trous, ne laissant dépasser que leurs mandibules. Quand une proie, pouvant atteindre 3 cm, se pose sur la galerie, les ouvrières attrapent une patte ou un autre appendice et tirent en arrière, immobilisant ainsi l’insecte. Ensuite une armée d’ouvrières vient mordre et piquer la proie qui, une fois paralysée, est découpée en morceaux pour nourrir les larves dont c’est la principale source de protéine. Entre la capture et les premiers repas il s’écoule en général jusqu’à 12 heures.

Filmée en Guyane, dans les sous bois de la forêt tropicale, cette scène est la première description publiée montrant la capacité d’insectes sociaux à réaliser de telles constructions. 

«Les seules descriptions connues chez des invertébrés étaient celles de pièges collectifs chez des araignées vivant en société» explique Jérôme Orivel, coauteur et entomologiste au laboratoire Évolution et diversité biologique à l'université Paul-Sabatier de Toulouse.

Aussi fascinante que soit cette capture, le plus instructif reste encore la construction des galeries elles-mêmes. Ces fourmis vivent en symbiose avec une plante très poilue (Hirtella physiocrate). Pour construire les piliers du tunnel les fourmis coupent les poils de la tige pour ne laisser que deux rangées de poils alignés. Les fourmis ajoutent aux poils ainsi sélectionnés de la matière organique et agrègent le tout avec leurs propres secrétions. Le ciment qui consolide l’édifice provient lui d’un champignon qu’elles entretiennent. C’est lui qui donne sa couleur noire au tunnel. 

Quand on sait que la fourmi Allomerus vit sur cette plante en se logeant dans de petites poches foliaires, qu’elle se nourrit d’un nectar produit par cette dernière en échange d’une protection contre les insectes herbivores, que le champignon ne doit son développement sur la plante qu’à la présence des fourmis, il y a de quoi se passionner pour cet exemple

d’association qui profite à chacune des espèces

Isabelle do O’Gomes    (21/04/05)

 

Bombe à retardement pour les îles Marshall

 

 

Cinquante ans après l’explosion de la bombe H BRAVO sur l’atoll de Bikini, les habitants des îles Marshall développent des cancers liés aux radiations qu’ils ont reçues lors de ce test nucléaire américain. D’après un rapport remis à une commission du Sénat par l’Institut national du cancer (NCI), il faut s’attendre à 9% de cancers supplémentaires dans la population exposée à l’époque, sachant que la moitié de ces cancers liés aux radiations ne se sont pas encore déclarés.

 

Entre 1946 et 1958, les Etats-Unis ont mené 66 essais nucléaires, répartis en sept séries, sur les îles Marshall. L’explosion de la bombe BRAVO en 1954 fut la plus dangereuse pour la population de l’atoll Bikini et de ses voisins Rongelap, Alinginae et Utrik. L’Etat américain a versé 270 millions de dollars de compensation dans les années 80 mais les habitants des îles Marshall demandent une réévaluation des dommages subis. C’est dans ce cadre qu’un comité du Sénat a demandé un rapport au NCI.

 

Les auteurs du rapport, remis en septembre mais rendu public seulement maintenant, évaluent à près de 14.000 personnes la population exposée aux retombées de l’explosion de 1954. Sans ce test, on pouvait s’attendre à 5.600 cancers, selon le NCI. Suite aux fortes doses radioactives reçues par la population, le nombre de cancers devrait être de 6.130, soit un excédent de 530 cancers. Les gens ayant été exposés très jeunes, la moitié de ces cancers sont à venir, selon les auteurs.
C.D. (18/04/05)

 

 

Des poissons tout ouïes

Par Aline BRACHET

 Libération

Les poissons reconnaissent-ils les bruits familiers ? La question n'est pas nouvelle, mais elle vient de trouver un ultime rebondissement : il est désormais prouvé que les bruits des récifs aident les poissons qui ont dérivé à l'état larvaire à retrouver leur récif d'origine. Autrement dit, les bruits sous-marins jouent un rôle important dans ce que l'on nomme le «recrutement», c'est-à-dire la colonisation d'un lieu.

Des chercheurs anglo-saxons ont reconstitué 24 morceaux de récif dans la Grande Barrière de corail d'Australie (1), équipés de haut-parleurs retransmettant des bruits du récif. Quelle n'a pas été leur surprise de voir ces récifs artificiels colonisés par plusieurs centaines de poissons de deux espèces récifales majeures : 

le poisson-cardinal (80 % des espèces étudiées) 

http://pierre.lempereur.free.fr

 

et le poisson-demoiselle (15 %).

http://www.pacific-promotion.com.fr/

 

 

Par quel mécanisme les poissons parviennent-ils à repérer les bruits d'un récif ? «C'est assez simple», répond Loïc Charpy de l'IRD (Institut de recherche pour le développement), directeur de recherches au centre d'océanologie de Marseille. «L'océan est rempli d'une quantité importante de bruits divers, très souvent inaudibles par l'homme. La biomasse de l'océan est dispersée et les bruits y sont diffus. En revanche, les récifs contiennent une faune multiple et dense qui émet des sons très spécifiques. Il suffit de penser aux crustacés, aux pinces des langoustes ou au bruit des vagues sur le récif. Même après avoir dérivé à plus de 1 000 km, les larves devenues des poissons adultes peuvent identifier ces bruits.» Et rentrer au bercail pour le peupler.

«Mais attention, une telle étude ne signifie pas que les poissons ont une mémoire sonore individuelle », prévient Loïc Charpy. «Tout juste montre-t-elle que les poissons ont un comportement inné, comme une "mémoire de l'espèce" qui leur permet de retrouver leur milieu d'origine», reprend le chercheur. Si les bruits de l'océan masquent peu les bruits particuliers des récifs, l'activité humaine en revanche peut faire des ravages. Ainsi le passage des bateaux touristiques le long de la Grande Barrière provoque beaucoup de bruit et peut réduire le recrutement des poissons sur les récifs. «Cette étude nous ouvre plein de perspectives : créer des réserves de pêche et même repeupler des récifs désertés», conclut Loïc Charpy.

 

«Eupelmus vuiletti», la guêpe qui gère son capital vie

Une équipe de chercheurs a étudié la nutrition de l'insecte durant sa courte existence.
Par Aline BRACHET

pixLibération

 

C’est une petite prouesse dans le monde de l'entomologie. Pour la première fois, une équipe de scientifiques vient de dresser le bilan énergétique d'une petite guêpe tropicale de 5 mm de long, Eupelmus vuiletti, au prix d'une observation quasiment en continu.

«Jusqu'à présent, des chercheurs avaient réalisé des bouts d'expériences sur des insectes, en quantifiant les entrées alimentaires en protéines ou bien en lipides, par exemple», affirme Jérôme Casas, le directeur de l'Institut de recherches sur la biologie de l'insecte (Irbi, université de Tours-CNRS) et coauteur de l'étude (1). «Notre équipe, pour la première fois, a mesuré les entrées et les sorties alimentaires et a chiffré les dépenses énergétiques de la guêpe tout au long de sa vie.»

Les scientifiques ont ainsi compté le nombre de prises de nourriture et réalisé les mesures biochimiques de leur teneur en protéines, sucres, glycogène et lipides. Ils ont également analysé la composition des nutriments que la femelle alloue à ses oeufs et mesuré expérimentalement toutes ses dépenses énergétiques. Pour ce faire, les chercheurs ont étudié plusieurs groupes d'insectes. Dans l'un, ils ont réalisé des mesures à la naissance des femelles, dans un autre, au moment de leur mort, puis dressé le bilan. Sachant que les guêpes enfermées dans une petite boîte sont plutôt nonchalantes et volent peu, «on a ainsi une mesure de leur métabolisme de base», souligne Sylvain Pincebourde, coauteur de l'étude.

Le comportement de la guêpe est frappant : l'insecte parvient à déterminer sa durée de vie, qui peut aller de huit à quinze jours, en effectuant des choix stratégiques dans la gestion de ses substances nutritives, catégorie par catégorie. Ses décisions, multidimensionnelles, varient tout au long de sa vie. «En fonction de l'état de ses réserves, l'insecte peut décider de consacrer ses réserves à la ponte plutôt qu'à sa propre nutrition», explique Jérôme Casas.

Quelques points d'ombre demeurent dans cette étude, notamment la question des lipides. Car la guêpe, qui acquiert son «capital lipide» au stade larvaire, ne peut pas le renouveler et le consacre spécifiquement à la reproduction. Des études restent donc à faire pour identifier ce mécanisme physiologique particulier qui permet à l'insecte de vivre sans fabriquer de nouveaux lipides. «Notre étude dépasse le cadre de cette petite guêpe, ajoute le directeur de l'Irbi. Nos mesures pourraient être adaptées à d'autres organismes, comme aux plantes. On s'interroge aussi sur l'application éventuelle à l'être humain et à sa gestion des corps gras.»

En attendant, ces travaux devraient permettre de mieux comprendre les fluctuations des populations de guêpes : que se passe-t-il en termes de dynamique de population si l'insecte choisit d'assurer sa reproduction ou bien à l'inverse sa survie ? Quelles sont les répercussions sur le nombre d'individus ? Autant de questions qui posent le problème de la stabilité de l'espèce. «Un grand sujet d'écologie», conclut Jérôme Casas.

(1) Ecology de mars 2005.