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                    N°3 novembre 2004

  ACTUALITÉ

Une étrange arithmétique amazonienne.

Marcher sur l'eau, petit miracle de la robotique

"Homo sapiens", parent d'une vieille et imposante famille

Actualité

Une étrange arithmétique amazonienne.

Sans mots pour désigner les nombres, pas de calcul précis possible.  

Est-il possible de calculer sans disposer de mots pour désigner les nombres ? La réponse pourrait bien venir d'Amazonie. Certaines tribus amérindiennes ne disposent en effet que de quelques termes pour désigner les nombres. C'est le cas des quelque 2 000 Mundurucus vivant dans l'Etat de Para, au Brésil. Leur vocabulaire numérique va de 1 à 4 ou 5, selon les individus. Ces mots sont composés, "ebapug" désignant 2 + 1 et "ebadipdip", 2 + 1 + 1, "eba" signifiant "tes bras". Le chiffre 13 se dit "tous les doigts d'une main et un peu plus". Ces caractéristiques font peut-être des Mundurucus les juges entre trois théories linguistiques. La première postule que les capacités arithmétiques découlent des facultés langagières. La deuxième considère que la plupart de nos pensées symboliques préexistent sous une forme non verbale. L'étude des petits enfants et des animaux, qui sont capables d'apprécier des quantités sans disposer des symboles pour les manipuler, appuie cette conception. 

 

               http://www.cnrs.fr/SHS/recherche/article.php?id_article=84

Une voie médiane s'appuie sur le fait que les compétences arithmétiques des enfants explosent quand ils acquièrent un système symbolique adéquat, la séquence des nombres "discrets".

C'est avec ces débats en tête que Pierre Pica, de l'unité structures formelles du langage (CNRS-Paris-VIII) et Stanislas Dehaene, de l'unité de neuro-imagerie cognitive du centre hospitalier Frédéric-Joliot d'Orsay (CEA-Inserm) ont décidé de comparer les capacités arithmétiques des Mundurucus et d'un groupe témoin français (Science du 15 octobre). Pierre Pica, qui étudie les Mundurucus depuis 1998, a testé 55 d'entre eux à l'aide d'un ordinateur portable alimenté par un capteur photovoltaïque. Il leur était par exemple demandé de désigner le plus grand de deux groupes de points. Ou encore de donner le résultat de la soustraction de quatre graines d'un ensemble de six.

 

CRISTALLISATION DES NOMBRES

Les résultats sont très nets : alors qu'ils obtenaient des scores comparables au groupe témoin dans l'estimation de nuages de points, les Indiens ne parvenaient pas à calculer avec exactitude 6 - 4 ou 7 - 7. Pour Pierre Pica et Stanislas Dehaene, s'ils échouent dans ce type de tâche, c'est peut-être parce qu'ils utilisent doigts et orteils pour compter, ce qui ne favoriserait pas l'accès à la "cristallisation des nombres"sur une sorte de ligne mentale, qui intervient chez les enfants occidentaux : vers l'âge de 3 ans. ceux-ci prennent conscience que chaque mot désignant un nombre fait référence à une quantité finie.

L'exemple des Piraha est tout aussi troublant. Ces Amérindiens, qui vivent le long de la rivière Maici, n'ont pas de mots pour désigner les couleurs, leur mythologie est centrée sur les excréments, ils ne pratiquent pas le dessin. Leur lexique numérique, comme celui des Mundurucus, est de type "environ un", "à peu près deux", puis "beaucoup". Peter Gordon (Columbia University), qui a étudié leurs capacités arithmétiques, très frustes, estime qu'ils illustrent l'hypothèse selon laquelle le langage détermine les pensées.

 Mais Daniel Everett (Université de Manchester), après 27 ans parmi les Piraha, insiste sur le paramètre culturel. Selon lui, leur incapacité à calculer ne serait pas liée à une déficience linguistique, mais plutôt un trait culturel. Le même qui les a conduits à se tenir le plus possible en marge de la modernité.

Pierre Pica et Stanislas Dehaene préfèrent distinguer compétence et performance. Les Mundurucus manifestent une compétence arithmétique universelle dans l'approximation des grandes quantités. Si leur performance est mise en défaut pour les calculs exacts, c'est faute d'un "outil technologique", comme le boulier, ou des mots spécifiques pour les nombres. Un retour au Brésil est prévu pour le vérifier.

Hervé Morin

Biomimétisme

Marcher sur l'eau, petit miracle de la robotique

LE MONDE | 14.09.04 |

Des chercheurs américains ont réussi à reproduire le mode de locomotion d'une "araignée d'eau". 

Pourquoi les petits insectes qui vont sur l'eau ont-ils des pattes ? Parce que s'ils n'en avaient pas, ils ne rameraient pas efficacement. C'est la réponse apportée par des équipes de Massachusetts Institute of Technology (MIT) et de l'université Carnegie Mellon, qui ont à la fois étudié le comportement des gerris - une punaise aquatiques connue aussi sous le nom de patineur d'eau, ciseau ou encore tic-tic - et mis au point de petits robots capables de reproduire leurs mouvements. 

Metin Sitti, responsable du Nanorobotics Lab de Carnegie Mellon, vient ainsi de fabriquer une "araignée d'eau" mécanique, constituée essentiellement de huit pattes faites de fines tiges métalliques recouvertes de matière plastique hydrophobe et longues de 7 centimètres environ. Son corps en fibre de carbone supporte des actionneurs piézo-électriques, qui font office de muscles en se déformant en fonction du courant électrique qui les parcourt. Pas de cerveau ni de source propre d'énergie : la bestiole reçoit l'électricité par des fils, et trois circuits permettent de contrôler ses mouvements.  Ce gramme de technologie, non seulement tient sur l'eau sans y sombrer, mais "baratte" en avant et en arrière, grâce à deux pattes mobiles qui agissent comme des rames. Metin Sitti n'est pas peu fier de ce résultat. "Je pense que construire ce type d'engin, c'est le défi ultime de la microrobotique, a-t-il confié à l'agence Associated Press. Il faut que ce soit très léger et très compact."

PROPULSÉ PAR UN ÉLASTIQUE

Il ne s'agit, pour l'heure, que d'un prototype assez simple, mais son créateur imagine une version plus élaborée qui pourrait effectuer des mesures chimiques, par exemple, sur des eaux stagnantes.  

  A vrai dire, la question : "Comment ça marche ?" a devancé l'inévitable "A quoi ça sert ?" dans la démarche des chercheurs. L'équipe de John W. M. Bush, du département de mathématiques et de génie mécanique du MIT, y a répondu, durant l'été 2003. Elle a décrit, dans la revue Nature, le mode de locomotion des Gerridae, qui se déplacent à 1 m/s, soit plus de 700 km/h, s'ils avaient taille humaine.  Leur capacité à se maintenir à la surface de l'eau n'est pas un grand mystère : elle découle de la tension de surface entre ce milieu et l'air environnant. Les poils qui couvrent les pattes des insectes augmentent leur surface de contact et pourraient, théoriquement, permettre la sustentation de spécimens mesurant 25 centimètres.  Le débat, chez les entomologistes, portait sur la propulsion des "Jesus bugs": comment mettaient-ils en œuvre la troisième loi de Newton, qui veut que, pour avancer, il faille exercer une force dans la direction opposée ? Certains pensaient que les pattes s'appuyaient sur des vagues minuscules - dites capillaires - créées par leur mouvement à la surface de l'eau. Mais comment expliquer le déplacement des jeunes gerridés, incapables de faire battre leurs membres à 25 cm/s, vitesse minimale pour engendrer ces vagues ?

En les plaçant dans de l'eau teintée et sous une caméra à haute vitesse, M. Bush et ses collègues ont découvert le secret. En fait, les hémiptères poussent l'eau vers le bas, créant des tourbillons en forme de fer à cheval, lesquels se traduisent par un mouvement d'eau en sens inverse - à l'instar des vortex créés par les oiseaux et les poissons pour évoluer dans leurs fluides respectifs.

  Pour parfaire sa démonstration, l'équipe Bush a fabriqué une araignée d'eau en métal, propulsée par un élastique. M. Sitti a reproduit ce petit miracle. Sous sa forme plus élaborée, il n'a demandé que des pièces existant dans le commerce et ne coûtant, tout compris, pas plus de 10 dollars...

Hervé Morin

Vidéo du robot sur : http://www.me.cmu.edu/faculty1/sitti/nano/projects/waterstrider/

"Homo sapiens", parent d'une vieille et imposante famille

LE MONDE | 04.11.04 |

Pour retracer rapidement l'évolution humaine, il faut simplifier l'arbre de nos ancêtres à l'extrême. Car les paléoanthropologues eux-mêmes ne s'accordent pas sur les divers embranchements de cet arbre généalogique.

En revanche, tous estiment que le premier homme, Homo habilis, est apparu en Afrique il y a 2,5 millions d'années, alors que les préhumains, les Australopithèques, n'avaient pas encore disparu. 

Le premier à tailler des outils - d'où le qualificatif d'habilis -, ce premier homme ne disparaît que vers 1,8 million d'années. 

Il y a environ 2 millions à 1,6 million d'années, l'Afrique de l'Est a été le berceau d'une nouvelle espèce, Homo erectus, résultat d'une très longue évolution. Les formes transitoires entre Homo habilis et Homo erectus sont souvent appelées Homo ergaster.

Les représentants d'Homo erectus sont plus grands que leurs prédécesseurs et "taillés" pour la marche. Le squelette de l'enfant de Nariokotome (Kenya), vieux de 1,6 million d'années et appartenant à un adolescent âgé de 13 ans, mesure 1,60 m. Ces êtres avaient le front bas, le crâne allongé, une mandibule sans menton et des orbites surmontées d'un important bourrelet (torus). Le volume de leur cerveau variait de 800 cm3 à 1 200 cm3.

COLONISATEUR INFATIGABLE

 Ce petit cerveau n'a pas empêché Homo erectus d'être inventif. Vers 1,2 million d'années, il fabrique les premiers bifaces, des outils de pierre qui présentent une symétrie bilatérale et bifaciale. Et beaucoup plus tard, vers 400 000 ans, il maîtrise le feu, ce qui représente une véritable révolution technologique et sociale.Homo erectus

Colonisateur infatigable, Homo erectus se répand "rapidement" sur l'ensemble du continent africain, et notamment dans sa partie sud vers 1,5 million d'années.

Puis il quitte ce berceau africain, passe par le couloir du Levant (Proche-Orient) et arrive aux portes de l'Europe, à Dmanissi (Géorgie), il y a 1,7 million d'années. Ensuite, on retrouve sa trace dans tout le sud de l'Europe à partir de 1 million d'années. Il explore aussi l'Asie (Chine, Inde et Indonésie), puis l'Australie. L'île de Java comporte de très nombreux restes de ces hominidés âgés de 1,8 million d'années à 100 000 ans.

Issu d'un Homo erectus "immigrant" bloqué en Europe par les glaciations, l'homme de Neandertal, au corps trapu et massif adapté au climat froid, occupe l'Europe et le Proche-Orient entre 100 000 et 35 000 ans. Homo neandertalensis  Neanderthal range http://anthro.palomar.edu/homo2/neandertal.htm est ensuite supplanté par l'homme de Cro-Magnon, un Homo sapiens sapiens plus grand et plus élancé, doté de caractères modernes et arrivé d'Afrique par le couloir du Levant.

Ces caractères nouveaux apparaissent sur certains restes fossiles d'Homo erectus découverts en Afrique et vieux de 200 000 à 100 000 ans : front plus élevé, prognathisme facial moins important et torus au-dessus des orbites moins prononcé.

Christiane Galus